Le mécanisme d’Anticythère – Chapitre 11-2 – François Coulon

Il allait épouser Seirina, tout de suite, demain, le plus tôt possible. Il allait la réveiller, l’emmener dans un grand restaurant et lui demander sa main à la fin du repas. Le King George du Megali Britannia serait le meilleur endroit pour ça. Il était encore connu là-bas et il pourrait glisser un billet au maître d’hôtel pour qu’il arrange quelque chose de somptueux mais qui aurait l’apparence de l’impromptu. Ce serait parfait.
Il s’avance, ébloui, et touche doucement l’avant-bras de Seirina.

Chapitre 11-2 – François Coulon
Hiver 1902

Seirina s’est réveillée. Elle est restée quelques instants immobile, les yeux dans le vague, grand ouverts. Puis elle s’est habituée à la demi-obscurité. Elle a vu le visage de Tim qui la regardait avec un air idiot. Elle a voulu tourner la tête pour regarder autour d’elle, mais son cou lui a fait mal. Avec prudence, elle s’est redressée un peu et s’est assise au fond du fauteuil.

—Ça va, Seirina ? a demandé Tim en se penchant vers elle, l’air préoccupé.

Elle n’a pas répondu.

—Tu veux que je t’aide à te lever, mon amour ? a-t-il continué en lui prenant doucement le bras.

Elle s’est dégagée d’une secousse en grognant quelque chose d’incompréhensible.

—Du grec, pensa-t-il.

Puis elle a répété, en anglais cette fois-ci :

—…soif…donne-moi à boire…

Tim a cherché un instant dans le désordre, puis il est sorti du laboratoire en disant :

—Je vais te chercher ça en bas. Ne bouge pas, Seirina, je reviens tout de suite.

Trois secondes plus tard, il était de retour dans la pièce. Il a redressé le projecteur. Seirina a poussé un cri en cachant ses yeux de son avant-bras.

—Éteins ça, imbécile ! … mal aux yeux.

—Mais, ma chérie, il fait bien que je retrouve mon pantalon. Je ne peux pas descendre comme ça. Les Agrafiotis sont surement en bas.

Elle a grogné quelque chose qu’il n’a pas compris.

—Encore du grec, s’est-il dit à nouveau.

Il a trouvé son pantalon et l’a enfilé en dansant d’un pied sur l’autre, puis il a allumé la petite lampe de cuivre de son bureau. Il a éteint le projecteur et il est sorti en répétant :

—Ne bouge pas, mon amour, ne bouge pas. J’en ai pour une minute.

Seirina s’est retrouvée seule dans le laboratoire. Elle s’est levée péniblement du fauteuil. Elle s’est étirée. Sa nuque lui faisait encore un peu mal. Elle a parcouru lentement la pièce à la recherche de sa robe. Elle l’a retrouvée accrochée sous le chapeau qui coiffait la machine.

Elle a pouffé : ça lui faisait comme une traîne… En enfilant sa robe, elle réfléchissait à cette fin d’après-midi. Elle n’avait jamais vu Tim comme ça. Ça devait être à cause de son excitation, à cause de cette fichue machine. Il avait découvert quelque chose d’extraordinaire, disait-il, quelque chose qui le rendrait célèbre. Les hommes sont souvent comme ça : il leur suffit de croire qu’ils ont réussi un truc, et ils se sentent tout puissants. Et Tim n’était plus cet amant timide et froid, facile à contenter, qu’il avait été depuis leur rencontre.

Bien sûr, il venait de lui dire à plusieurs reprises qu’il l’aimait, qu’il ne pourrait plus vivre sans elle, mais Seirina connaissait la valeur de ce genre de déclarations, faites pendant l’amour. Ce qui l’inquiétait, c’est qu’au cours de l’après-midi, il s’était montré de plus en plus sûr de lui, de plus en plus exigeant, et elle, de plus en plus complaisante et docile. Ce n’était pas que cette situation lui déplût, au contraire, mais depuis qu’elle avait rencontré son riche Anglais, elle avait d’autres choses en tête. Elle ne se faisait pas d’illusions. Elle savait bien que sa liaison avec Tim ne durerait pas toujours, et qu’un jour ou l’autre, il rentrerait dans son pays en la laissant sur le quai. Mais en attendant ce moment, elle avait bien l’intention de se mettre à l’abri du besoin en se faisant offrir le plus de bijoux possibles, et pourquoi pas une petite maison au bord de la mer, ou bien un commerce dans un quartier chic. Elle craignait que la nouvelle assurance de son amant, si elle devait durer, ne fasse qu’il ne se lasse d’elle pour aller chercher ailleurs de nouvelles sensations.

Il fallait donc qu’elle reprenne le dessus sur son amant. Elle savait comment faire.

A SUIVRE

 

 

 

3 réflexions sur « Le mécanisme d’Anticythère – Chapitre 11-2 – François Coulon »

  1. « Redresser le projecteur » est une expression française désuète mais souvent utilisée dans les Cahiers du Cinéma. Elle a été remise à la mode dans les années soixantes par un célèbre metteur en scène de la Nouvelle Vague (qui aimait les femmes).

  2. Chacun appelle ça comme il veut, mais je n’y aurais pas pensé parce que je n’en ai jamais vu qui fasse de la lumière.

  3.  » il a redressé le projecteur » , elle poussa un cri.
    Suis je la seule à avoir mauvais esprit et penser que cette phrase à ete écrite avec un sourire ironique…
    Ou suis je contaminée par l’esprit libertin qui gagne notre petit déjeuner?

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