Le Cas Richard Jewell – Critique aisée n°201

Critique aisée n°201

Le Cas Richard Jewell
Clint Eastwood – 2019 – 129 minutes
Paul Walter Hauser, Sam Rockwell, Jon Hamm, Kathy Bates

Il est incroyable, le vieux. Il y a un an, il nous avait donné La Mule (vous pouvez cliquer sur le titre) que, dans un bel élan moutonnier, tous les critiques, moi y compris, avait appelé un film testament. Eh bien, voilà qu’il nous en sort un autre : Le cas Richard Jewell.

Moins personnel, moins original, moins testamentaire que La Mule, Le cas Richard Jewell n’en est pas moins le film parfait ; allez, disons presque parfait.

Mettons que vous ayez 90 ans et que vous vouliez faire un film parfait, enfin presque parfait. Comment vous y prenez-vous ?

C’est simple :

— vous prenez d’abord une histoire vraie, et surtout connue, comme ça, tout le monde connaît déjà la fin ou peut la connaître par un simple petit tour sur Wikipédia. On pourrait penser que ça va ruiner le suspense, mais comme vous avez de l’expérience et même un sacré paquet, ça ne vous fait pas peur, ce n’est qu’une contrainte de plus, et les contraintes à la création, vous aimez ça. Le suspens sans effet TATATAAM (1), sans porte qui grince, sans forme derrière le rideau, vous savez faire.

— ensuite, vous prenez un acteur inconnu, au physique d’obèse, vous le coiffez comme un idiot, vous l’habillez comme un plouc, vous lui donnez l’accent du Sud et vous le faites parler lentement, si possible avec des expressions toutes faites. Pour l’acteur, Paul Walter Hauser, c’est le rôle de sa vie. Après ça, il lui sera difficile de jouer les golden boys de Wall Street, mais c’est le rôle de sa vie.

— après, vous prenez Sam Rockwell. Récemment, il avait joué à la perfection deux seconds rôles dans deux films inégaux : un flic raciste dans  Les Panneaux de la vengeance (un titre ridicule pour un très bon film) et le président G.W.Bush dans « Vice » (un titre ambigu qui, en France, a dû faire se méprendre plus d’un spectateur !). Là, vous donnez à Sam le rôle très classique du petit avocat de province qui a monté son cabinet, mais qui ne réussit pas très bien mais qui est bon, honnête et adulé par sa jolie secrétaire. Et en retour, Sam vous donne tout ce que vous lui demandez : la lassitude, la barbe de trois jours, la tenue négligée, le sarcasme, l’opiniâtreté, le sens de la liberté et de la justice. Classique, quoi ? Tellement Série Noire , non ? Mais tellement ce que l’on aime et ce que l’on cherche.

— ensuite, vous prenez Jon Hamm, archétype de l’homme américain à qui l’on peut faire confiance : grand, beau, viril, solide avec son visage carré et son air d’honnêteté viscérale. Vous essayez de ne pas remarquer que Jon a du mal à sortir de son rôle principal de Mad Men et vous lui demandez, avec tout ça, d’incarner l’une des institutions les plus respectées (sauf par Trump) des USA, le FBI, mais pas si respectable que ça.

— et après, vous prenez une belle fille délurée, dans le genre Sharon Stone, pour lui faire incarner une journaliste et, par la même occasion, la Presse toute entière, et vous l’habillez en garce provocante et prête à tout pour obtenir une story.

— en dernier, vous demandez à Kathy Bates d’être la mère douloureuse de l’ennemi public n°1 que deviendra son fils. Et Kathy fait ça de la belle manière.

A ce stade, vous avez l’histoire, les personnages et les comédiens. Ne reste plus qu’à faire la mise en scène, et ça, ça coule tout seul.

— vous commencez par montrer le bonhomme Jewell, psychorigide plein de bonne volonté, d’abord flic puis vigile, se faire virer de partout pour exercice pointilleux et abusif de son autorité, et passer en quelques heures du statut de clown involontaire dont tout le monde se moque à celui de héros national puis d’ennemi public numéro 1.

— en parallèle, vous montrez comment le FBI envisage parmi d’autres la thèse classique du pompier pyromane, mais comment une journaliste — ah ! la garce — va transformer cette piste de pure routine en scoop et faire croire à l’Amérique entière que c’est le pompier qui est le pyromane.

— vous faites ça de manière tellement habile que le spectateur, qui connait pourtant le fin mot de cette histoire vraie et à qui vous n’avez rien caché de la mise en place de la bombe, se prend à douter pendant quelques minutes de l’innocence du pompier.

— par de petites scènes intercalées, vous montrez la résignation de la victime, le désespoir de sa mère, la frustration de son avocat.

— vous en profitez pour passer votre message comme quoi la Presse est un danger pour l’individu et le FBI, pas le chevalier blanc que tant de films ont dépeint.

— et puis, vous achevez votre film avec la réaction et finalement la victoire de l’homme seul contre le système. Il le faut bien, parce que c’est l’Amérique, c’est ce qu’aime Clint Eastwood et c’est ce qui s’est réellement passé.

Et c’est comme ça que vous obtenez le film parfait ; allez, disons presque parfait.

Note 1 : Qu’est-ce que l’effet TATATAAM ? En technique cinématographique, je suis sûr qu’il y a un mot pour définir ce genre d’effet, mais je suis incapable de me le rappeler et je ne sais pas comment le rechercher. Pour moi, l’effet TATATAAM, c’est un effet très souvent utilisé au cinéma pour surprendre le spectateur, le faire sursauter, et si possible, lui faire cracher son chewing-gomme dans les cheveux de la personne qui est assise devant lui. (Quand ce dernier résultat est obtenu, on parle d’effet TATATAAM de niveau 3, la simple surprise étant un TATATAAM de niveau 1, le sursaut, de niveau 2. L’absence de surprise caractérise ce que l’on appelle un TATATAAM de niveau nul, autrefois appelé BIDE). Le TATATAAM est en général obtenu à l’issue d’une scène assez longue et calme, dans laquelle par exemple, l’agneau qui vient de naitre s’abreuve dans le cours de la rivière, la scène devant être interrompue de façon soudaine par une élément inattendu et de préférence terrifiant. Cette année, le niveau zéro du TATATAAM sera obtenu avec l’apparition diurne et subite d’un canis lupus vulgaris, qui ne fait plus peur à personne depuis sept générations. On pourra se hisser au niveau 1 en tournant la même scène en « nuit américaine », mais c’est un peu cheap comme procédé. On pourra obtenir un TATATAAM 2 acceptable en remplaçant le loup par l’ALIEN de Ridley Scott. Dans le cadre imposé ci-dessus, pour un TATATAAM de niveau 3, je ne vois que l’aplatissement de l’agneau par la chute brutale et inopinée d’un bateau de croisière de bonne taille, mais pour ça il faut de gros moyens financiers.
Comme ça, là, tout de suite, je n’ai en mémoire que deux TATATAAM de niveau 3++.
Le premier, c’est bien sûr dans Alien 1, quand ce qu’on ne sait pas encore être la créature qui porte Alien saute au visage de l’astronaute à travers son casque. Le second, c’est dans le film Paul , un film britannico-américain méconnu mais que je vous recommande très chaudement, quand la méchante Sigourney Weaver est instantanément écrabouillée par une soucoupe volante que personne, pas même le scénariste, n’avait vu venir.

Si vous n’avez toujours pas compris ce qu’est l’effet dont je parle, prononcez seulement son nom d’une voix un peu grave et avec emphase : TATATAAM, et vous comprendrez.

 

7 réflexions sur « Le Cas Richard Jewell – Critique aisée n°201 »

  1. Eh bien, je ne suis pas d’accord.
    Sur les vingt ou trente dernières années, disons depuis notamment que la guerre du Vietnam est sortie de l’actualité, la plupart des films de guerre, en dehors des épopées historiques, ont choisi de s’achever avec un « tragic ending ». Même les meilleurs, et peu importe qu’ils soient plus ou moins explicitement engagés : Full metal jacket, Sauver le Soldat Ryan, Platoon, etc… (On laissera Rambo de côté, voulez-vous).
    L’originalité de 1917, l’une d’entre elles tout au moins, c’est justement ce happy ending, qui, il est vrai était de mise dans les westerns et films de guerre des années 50.
    (Que ceux qui n’ont pas vu le film arrêtent ici leur lecture)
    Pour mieux mettre en évidence les horreurs et l’absurdité de la guerre, pour mieux choquer le spectateur, le scénariste pouvait choisir d’autres fins, tout aussi prévisibles : l’un ou l’autre des deux soldats meurt, les deux meurent, ils ne meurent pas mais leur intervention n’arrive pas à empêcher la charge du régiment. J’ai pensé à toutes ces fins possibles au cours du film et j’avoue que j’ai craint le cliché suprême, celui où le colonel (Benedict Cumberbatch) déplierait l’ordre écrit de renoncer à la charge prévue, mais ne l’exécuterait pas par folie guerrière. Le scénariste d’ailleurs l’a bien vu et a joué avec ce cliché puisque l’officier supérieur donne un long moment toute l’apparence de vouloir passer outre l’ordre reçu, pour changer d’avis au dernier moment.
    Le happy ending, cliché d’autres temps que les moins de vingt ans etc…, est devenu une originalité, et même une surprise.

  2. Le temps et le talent me manquent pour ajouter des commentaires aux critiques aisées de Philippe et aux réponses argumentées de chacun d’entre vous que je lis avec intérêt, mais sachez qu’il y a des lecteurs silencieux qui apprécient vos échanges. Pour ma part en phase avec la critique de Philippe sur Richard Jewell, mais pas du tout sur 1917 dont on devine après quelques minutes tout le déroulement dans un scénario américain type, avec faux suspens, incohérences et happy end. Dès que j’atteins l’âge de ralentir mon rythme de travail, j’en écrirai davantage.

  3. Je suis bien d’accord avec toi Philippe. Quand l’histoire et sa fin sont connus, le suspense sera celui que le spectateur se crée au départ ou durant le film et ce sera tout l’art de toute l’équipe du tournage, depuis le scénariste, le réalisateur, les acteurs, etc. de délivrer l’émotion attendue. Paddy a évoqué Beethoven et la 5ème symphonie. Je connais par coeur chacune d’elles, surtout par les enregistrements que j’en ai. Et pourtant, chaque fois que je vais à un concert de l’une d’elles (mais pas que pour les symphonies de Beethoven, encore plus pour les concertos pour un instrument, violon ou piano par exemple), c’est le suspense, par exemple dès le BANG d’ouverture pour la 3ème. Ce suspense réside dans l’exécution que le chef et l’orchestre (et le soliste dans le cas d’un concerto) en donneront. Il m’arrive souvent de ressortir ravi, enthousiaste, et même boulversé parfois, mais aussi d’autres fois dégoûté par l’exécution. C’est comme au cinéma (ou à l’opéra)!
    Cf encore une fois Anatole France cité dernièrement à propos de l’art de donner la forme à une vieille idée.

  4. A propos du suspense dans des films dont on connaît nécessairement la fin, comme le jour le plus long, la question que se pose le spectateur et qui crée le suspens n’est pas est-ce qu’ils vont réussir ce débarquement oui ou non, ou est-ce que quelqu’un va oser réveiller Hitler à temps pour qu’il envoie ses panzer divizions en Normandie. C’est plutôt est-ce que cet officier anglais avec sa cornemuse va se faire descendre ou non. Notre grande bonté naturelle porte notre inquiétude sur ce gentil soldat venu d’Oklahoma ou sur ce « gallant british officier »
    Dans le cas Richard Newell, le suspense provient de notre inquiétude sur le moment exact où Jewell va découvrir la bombe, est-ce que ce gentil couple qui passe devant elle aura le temps de s’éloigner, quand est-ce que Jewell va cesser d’aider ceux qui cherchent à le faire plonger, etc…
    Ces rapports personnels qui s’établissent entre le personnage et le spectateur créent, sans effet TATATAM, le suspense là où il n’y a pas de doute sur l’issue générale de la situation.

  5. Hey Paddy! Je suis d’accord avec ton popopopommm mais le suspense c’est pas « vont-ils réussir de p… de débarquement » puisqu’on connait l’histoire mais « va-t-il réussir ce p… de film »!

  6. Si! Un petit mot à ajouter, l’effet suspense du fameux POPOPOPOMM bethovènien dans le film « Le jour le plus long ». On connait l’histoire, on connait la cinquième de Bethov, et pourtant le suspense s’installe. Bien vu Philippe!

  7. C’est une bonne critique. Je le dis d’autant plus volontiers que je n’ai pas vu le film et donc j’irai le voir. Mon jugement viendra après.
    L’effet TATATAAM est une bonne façon de décrire cette technique cinématographique du suspense. Histoire d’ajouter mon grain de sel, j’ajoute que prononcer ce TATATAAM à haute voix est une bonne façon encore de comprendre cet effet sans le décrire. C’est la façon « vous comprenez ce que je veux dire » (« you know what I mean ») propre à beaucoup d’interviewers à la télé, d’ici ou d’ailleurs, incapables de formuler leur question de façon intelligible en bon français (ou en anglais). Et voilà justement où je voulais en venir: le son, en plus de l’image, peut apporter beaucoup à l’effet cinématographique recherché, d’où l’apport parfois essentiel de la musique. Ceci dit, le cinéma muet s’en sortait très bien dans le genre film d’épouvante rien que par l’image, parfois avec l’ajout tout de même d’un pianiste à côté de l’écran. Je ne peut m’empêcher d’ajouter que beaucoup de jeunes compositeurs à l’époque du cinéma muet accompagnaient les films au piano, généralement en improvisant, avant de devenir plus tard de véritables compositeurs de « bandes son ». En prononçant les trois notes de TATATAAM, avec la longue en finale, vous avez instinctivement chanter un air de musique. À la façon par exemple que l’on prononce les quatre premières notes de la cinquième symphonie de Beethoven, mais là c’est plutôt POPOPOPOMM… Voilà, la musique sous toutes ses formes, voire le silence (oui, oui! Le silence, l’absence de son, ça fait partie de la musique, c’est une façon!) peut grandement contribuer à l’effet suspense recherché. Ce sera mon dernier mot, je n’ai plus rien à ajouter! POPOPOMM…..

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