Elles ont toujours été là, ces plaques. Du plus loin que je me souvienne, elles ont toujours été là. Je les ai vues, enfant, quand je descendais du carrefour de l’Observatoire vers le Luxembourg pour prendre le commandement de l’un de ces petits bateaux en bois le temps de quelques traversées de bassin. Elles étaient là quand, adolescent, je fréquentais les cinémas du Boulevard Saint Michel, puis, plus tard, étudiant, quand je partageais mon temps entre le Lycée Saint Louis, les cafés de la place de la Sorbonne et les fauteuils ensoleillés du Luco. Elles étaient toujours là quand j’ai emmené mes enfants au Luxembourg faire ce que j’y avais fait avant eux. Parfois, un petit bouquet de fleurs passé dans un anneau les soulignait. Parfois, je prenais le temps de les lire… Raymond Bonnand, 19 ans, Jean Bachelet, 24 ans… et parfois, un sentiment d’inconfort me prenait, mélange de culpabilité, de pitié et d’admiration envers ces garçons qui ne connaitraient plus jamais ce que, moi, j’allais connaitre : le soleil, les filles, les voyages, les amis, la famille, les enfants… Et puis, bien sûr, je passais à autre chose. Quoi de plus normal ? Mais quand même, toutes ces années, le nom du lieutenant Martinet est resté gravé dans ma mémoire.
Il parait que, dans Paris, il y a plus de deux cents plaques commémoratives de la mort de ceux, jeunes pour la plupart, qui se sont fait tuer en combattant pour la libération de Paris à la fin du mois d’aout 1944, il y a exactement 75 ans.
En voici quelques-unes, glanées dans mon quartier en quelques semaines de promenades :
25 Août Boulevard Saint Michel Lieutenant Martinet 46 ans
25 Août Boulevard Saint Michel Raymond Bonnand 19 ans
25 Août Boulevard Saint Michel Jean Revers
25 Août Boulevard Saint Michel Jean Montvalier-Boulogne 24 ans
25 Août Boulevard Saint Michel Jean Bachelet 24 ans
25 Août Boulevard Saint Michel Jean Arnould
25 Août Boulevard Saint Michel Pierre Bounin
24 Août Place Louis Lépine Jean Montauron
22 Août Rue de Bièvre Guy Basseau
21 Août Quai de Montebello Gaston Thibous
21 Août Quai de Montebello Georges Rouze
21 Août Quai de Montebello André Vannereau
21 Août Quai de Montebello Maurice Roux
21 Août Quai de Montebello Alfred Biard
19 Août Rue de Buci Fred Palacio 21 ans
22 Août Rue de Solferino Paul Boehm
25 Août Avenue de Saxe Jean Marie Plessier 20 ans
19 Août Square Honoré Champion Louis Hélié
21 Août Quai de Montebello William Bulvestre
19 Août Quai de Montebello Gabriel Delaender
19 Août Quai de Montebello Alfred Delette
24 Août Quai de Montebello Pierre Fredon
21 Août Quai de Montebello Louis Moreau
19 Août Quai de Montebello Léonard Nectoux
19 Août Quai de Montebello Henri Places
20 Août Quai de Montebello René Richard
19 Août Quai de Montebello Marcel Bouillon
20 Août Quai de Montebello Jean Rubeaux
20 Août Place Saint André des Arts Raymond Boisson 29 ans
21 Août Place Saint André des Arts Joseph Lahuec
20 Août Avenue des Gobelins Joseph Suire
20 Août Rue Claude Bernard Guy Rouzaud 23 ans
25 Août Rue des Quatre Vents Marcel Raoul 45 ans
Si beau et presque timide ce témoin d’un jeune homme mort pour la patrie, presque anonyme, un héros, des héros avec un nom sans visage.
Ah, la plaque pour Jean-Marie Plessier dont j’ai parlé dans mon commentaire précédent était déjà placée dans la collection présentée. Je viens de m’en rendre compte en revoyant chaque plaque une par une. J’en suis ravi pour lui, il le mérite d’être deux fois cité.
J’approuve ce digne rappel par le JDC que nombre de jeunes combattants perdirent la vie pour la Libération de Paris avec cette collection de photos de plaques commémoratives. Il y a une plaque en bas de chez moi au coin de la rue que je connais par coeur: Jean-Marie Plessier, 20 ans, combattant volontaire, élève de l’Ecole des Beaux Arts, routier scout de France au Bon Conseil (sorte de patronage situé à côté), tombé là le 25 août 1945. Il faisait partie d’une cellule de résistants animée par un prêtre du Bon Conseil, l’Abbé Roger Derry, mort en déportation (autre plaque). D’autres du Bon Conseil trouvèrent la mort le 25 août en divers points de Paris.
Les rues de Paris forment un véritable cénotaphe. Comme celles des rues de province. Tout cela reste discret, c’est bien. Se souvienne qui veut.
Il existe à Moissac une grande maison de brique inhabitée qui servit de refuge et de lieu de passage à des tas d’enfants juifs : rien ne la signale, pas le moindre panonceau, sinon que sa façade est belle. C’est regrettable. Tout est oublié…