Archives de catégorie : Thème imposé

La fin de l’écriture

La fin de l’écriture suivie de La fin de la lecture
par Lorenzo dell’Acqua

Cher ami,

         Avez-vous su que pour sa centième édition, la NRF a demandé à Marcel Proust de lui transmettre son œuvre avec la dictée vocale de son iPhone ? Grâce à la nouvelle fonction lecture orale, ses admirateurs pourront désormais entendre la voix de l’auteur lisant lui-même son texte. L’idée est a priori excellente et je ne saurais trop vous inciter à y réfléchir. Votre blog lu de votre voix enrouée, cela devrait faire un tabac dans les manufactures.

         J’ai donc déjeuné avec mon ami Marcel Proust qui ne parvenait pas à écrire son premier chapitre en utilisant la dictée vocale. Chaque fois, l’appareil inscrivait : « Longtemps, je me suis couché de bonheur »1. J’avais beau lui dire que ce n’était pas si mal, il ne voulait rien savoir. J’ai tenté de l’amadouer en lui expliquant que certains de ses collègues étaient Continuer la lecture de La fin de l’écriture

Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? 
En voilà une question idiote ! Et pourtant, elle a fait la célébrité d’un petit bibliothécaire de province, Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716).
En voici quelques autres, tout aussi existentielles et tout aussi bêtes. Leurs auteurs ont préféré demeurer dans l’anonymat. C’est pas comme ce prétentieux de Gottfried.

Pourquoi les femmes ne peuvent-elles se mettre du mascara
la bouche fermée ?

Pourquoi faut-il cliquer sur « Démarrer » pour arrêter Windows ?

Pourquoi le jus de citron est-il fait de saveurs artificielles
et le liquide vaisselle est fait de vrais citrons ?

Pourquoi n’y a-t-il pas de nourriture pour chat à saveur
de souris ?

Pourquoi est-ce qu’on appuie plus fort sur les touches
de la télécommande quand ses piles sont presque à plat ?

Pourquoi les pilotes Continuer la lecture de Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

La reconversion de Coupy et Coupot

temps de lecture : 9 minutes 

Avant, j’étais agriculteur. J’avais une toute petite ferme, vingt hectares que je louais et vingt autres bien à moi. Chaque année, j’élevais une dizaine de veaux pour la viande ; j’avais une vingtaine de poules pour les œufs et un potager pour le reste. Quelques pommiers aussi, pour le cidre. Mais pas de femme. Vécu plus de quarante ans comme ça !

Mais ça, c’était avant. Avant que je prenne ma retraite.
Maintenant, je suis touriste.
J’ai vendu mes terres, mes bêtes et mon matériel à Derry, mon voisin. Je lui aurais bien vendu aussi mes poules, mais il n’avait plus d’argent, alors je les ai vendues à mon autre voisin, Dieudeville. Bref, j’ai tout vendu, sauf la maison, la 207, la machine à laver le linge et les congélateurs.
Et je suis devenu touriste.
Enfin, pas tout de suite. D’abord, je suis allé à Château, chez Leclerc Continuer la lecture de La reconversion de Coupy et Coupot

Andromaque de Cyrénaïque

temps de lecture : 5 minutes

Avertissement : ce texte a été écrit dans le cadre d’un atelier d’écriture. Le thème de l’exercice était : Écrire une courte nouvelle dont la première phrase est celle-ci : « Rien ne serait arrivé si je n’avais pas changé de coiffeur. »  C’est le jeu de l’incipit qui recommence. Celui-ci, on l’aura reconnu, figure en tête d’une nouvelle de Eric-Emmanuel Schmitt.

Rien ne serait arrivé si je n’avais pas changé de coiffeur. Mais pourtant, il fallait bien que j’en trouve un autre : le mien, le Gaulois que j’avais acheté l’année passée pour trente deniers sur le marché de la Prata Flaminia, avait attrapé le typhus. Il m’en fallait donc un autre de toute urgence. C’est pourquoi je m’étais rendu sur l’Aventin, chez Podalydès, le Grec affranchi, celui qui s’est spécialisé dans les esclaves pour soins du visage et du corps.

Je passai en revue sa marchandise et finit par tomber sur une petite nubile de Cyrénaïque qui, m’assura Podalydès, ferait très bien l’affaire. Elle savait couper les cheveux à ravir, friser, coiffer, raser la barbe, le torse et les jambes et faire des massages décontractants.

—Trente-cinq deniers, me dit-il.

Je pris un air hautain et offusqué à la fois.

—Tu plaisantes sans doute, méchant Grec !

—Vous savez, noble Seigneur, aujourd’hui, c’est le prix, m’assura-t-il. Les pirates de Cilicie, nos principaux fournisseurs, sont de plus en plus exigeants. On ne trouve plus rien de correct à moins de trente deniers, et cette petite Disiset est exceptionnelle, vous verrez.

—Disiset, tu dis ? Qu’est-ce que c’est que ce nom ridicule ?

—C’est celui d’une déesse égyptienne ou quelque chose comme ça, je ne suis pas sûr, mais ça peut se changer sans problème.

Comme j’hésitais encore, il me fit une proposition qui me parût honnête :

—Bon, allez, je vous fais un cadeau : vous la prenez à trente-deux deniers, mais sans garantie. Par contre, je vous propose une assurance à six deniers : si elle meurt avant deux ans, je vous la remplace gratuitement. Ça vous la fait à trente-huit deniers, mais avec une sécurité totale pendant deux ans ! Alors, noble Seigneur, qu’est-ce que vous en dites ?

Nous finîmes par nous mettre d’accord sur trente-neuf deniers avec une garantie de quatre ans.

Je repartis de chez Podalydès suivi par mon achat. Tout en redescendant les pentes de l’Aventin, je réfléchissais. « Trente-neuf deniers, me disais-je, c’est quand même cher pour une toute petite coiffeuse de Cyrénaïque. Elle n’a surement pas d’expérience, et en plus elle s’appelle Disiset ! On n’a pas idée ! Je me suis encore fait avoir ! Ah, c’est bien vrai ce qu’on dit : Méfie-toi du Grec quand il te fait un cadeau ! » D’un autre côté, je me disais aussi qu’avoir le cheveu bien coupé, bien frisé et bien soigné était indispensable pour tenir le rang qui depuis peu était devenu le mien. « De plus, un bon massage des fessiers, dont Disiset était spécialiste, ne pourra me faire que du bien après ma chevauchée matinale », pensai-je en me rappelant que mon Gaulois massait comme un barbare. Je pris aussitôt deux décisions : premièrement celle de couper par le Champ de Mars pour rentrer directement chez moi et deuxièmement, celle de changer le nom ridicule de Disiset en Andromaque, un vrai nom de coiffeuse, celui-là. C’est alors qu’en arrivant du côté du Théâtre de Pompée, je vis une grande assemblée de personnes debout sur les marches de la Curie. Je pouvais reconnaitre quelques sénateurs et chevaliers de ma connaissance ainsi que deux généraux. Le reste de la troupe était composé de la foule romaine habituelle, patriciens, marchands, soldats, esclaves… Tout à coup, je distinguai la haute silhouette de Marc-Antoine. Il riait très fort au milieu d’un petit groupe de soldats de sa garde. Je m’approchai et il me reconnut aussitôt. Nous tombâmes dans les bras l’un de l’autre.

—Ave, Marcus Antonius ! le saluai-je. Que se passe-t-il ici donc ce matin ?

—Ave, Quintus Tertius ! Nous allons tenir une séance du Sénat dans le Théâtre de Pompée. Nous attendons César.

—Mais toi qui ne daignes jamais venir à ces séances, pourquoi es-tu là aujourd’hui ?

—Par sécurité. On craint un attentat contre César. Mais tant que je serai à ses côtés, ces lâches ventripotents de sénateurs n’oseront pas lever la main sur lui. Tu vois là-bas, c’est Brutus. Regarde cet air avantageux qu’il prend. Pourtant il suffirait que j’éternue pour qu’il prenne peur et s’enfuie ventre à terre. Mais parlons d’autre chose, mon vieux Quintus, qu’est-ce que c’est que cette petite chose toute bronzée que tu traines derrière toi ?

—Ça ? C’est Andromaque, ma nouvelle coiffeuse. Je l’ai depuis ce matin. Je ne l’ai pas encore essayée.

—Vraiment ? Écoute : comme d’habitude, César va arriver très en retard. J’ai donc un peu de temps devant moi. Cela t’ennuierait-il beaucoup si j’essayais Andromaque à ta place ?

—Tu sais bien que je ne peux rien refuser à celui qui m’a sauvé la vie à Alésia et à Pharsale. Mais ne me l’abîme pas, hein ! Elle est toute neuve.

Je regardai Marc-Antoine s’éloigner de son pas de géant, entrainant derrière lui ma petite coiffeuse. Je m’assis sur la margelle de la fontaine pour réfléchir sérieusement. J’étais là à penser au style qu’Andromaque pourrait donner à ma nouvelle coiffure quand une clameur s’éleva de l’autre bout de la place. « César, César ! Vive Jules César ! Vive le Dictateur, Vive le Roi ! » C’était sans doute César qui approchait. Et Marc-Antoine qui n’était pas là ! Je me dressai sur la pointe de mes sandales et, par-dessus la foule, je réussis à apercevoir l’Imperator qui pénétrait dans la Curie, suivi de peu par Brutus. Et Marc-Antoine n’était pas toujours pas là ! Il allait surement se faire réprimander par César. Eh bien tant pis pour lui, après tout. On ne peut pas tout avoir à la fois, les honneurs et le plaisir. Devant les marches de la Curie, la foule s’était dispersée et je m’étais remis au frais près de la fontaine. J’en étais à penser aux massages des fessiers quand des cris se firent entendre. Derrière un Brutus exalté qui, la toge en sang, brandissait un poignard en hurlant, des sénateurs excités sortaient de la Curie en criant « Le tyran est mort ! Nous avons tué César ! Vive la République ! Vive Brutus ! ». De l’autre côté de la place, Marc-Antoine, affolé, à peine habillé, sans armes, arrivait vers moi en courant et en criant « César ? Où est César ? ». Lorsqu’il passa à côté de moi, je lui demandai :

—Et ma coiffeuse ?

Il ne prit même pas la peine de me répondre et poursuivit sa course vers la Curie.

Je n’ai jamais revu Andromaque, ni César d’ailleurs. Trente-neuf deniers, quand même !

Qu’est-ce qu’on peut bien trouver dans la littérature ?

Dans littérature, il y a rature
Dans écrivain, il y a vain
Dans écrire, il y a rire
Dans livre, il y a ivre
Dans roman, il y a ment

Dans amant aussi, d’ailleurs
Dans mariage, il y a âge
Dans conjoint, il y a joint (et pas que)
Dans sexe, il y a ex

Dans espérance, il y a rance
Dans espoir, il y a poire
Dans désespoir aussi, d’ailleurs

Dans communiquer, il y a niquer
Dans insupportable, il y a portable
Dans crétin, il y a éteint

Dans ces phrases, il y a rase
Et dans ces lignes, il n’y a rien.

  • BON, D’ACCORD, MAIS POUR DEMAIN ,
  • 28 Fév,           Ah ! Les belles boutiques – 34
  • 1 Mar,             La manducation des gnous
  • 2 Mar,              Absence

Variations de tension

temps de lecture : 5 minutes 

Cet exercice de style a été exécuté dans le cadre d’un atelier d’écriture. Il s’agissait de raconter quatre fois la même histoire en augmentant la tension du récit à chaque fois . Il a déjà été publié ici il y a quatre ans. 

 

Basse tension
L ‘homme s’approcha de l’entrée, poussa la porte et pénétra dans la salle d’attente. Au fond de la pièce, une femme d’âge moyen tapait à la machine derrière un bureau.
— Bonjour, monsieur. Vous désirez?
— Bonjour madame, je souhaiterais voir le docteur Cottard.
— Est-ce que vous avez rendez-vous?
— Hélas non, mais c’est important.
— Je suis désolée, mais c’est impossible. D’ailleurs, le docteur est absent. Il faudra prendre un rendez-vous.
— Bon, tant pis, je repasserai.

Moyenne tension
L ‘homme paraissait agité. Il s’approcha de la grande porte vitrée et la poussa avec hésitation. La salle dans laquelle il venait de pénétrer Continuer la lecture de Variations de tension

Pour faire un oeuf à la coque

Recette n°18

Pour faire un œuf à la coque :

1—Tout d’abord, acheter une résidence secondaire à la campagne. La choisir avec soin, pas trop chère, mais pas trop loin non plus. La toiture devra être en bon état, mais le nombre de pièces est indifférent. La surface du terrain ne devra pas être inférieure à cinq cents mètres carrés.

2—Si nécessaire, défricher le terrain. Abattre quelques arbres pour avoir du soleil, c’est important, mais en laisser quelques-uns pour avoir de l’ombre, c’est primordial. Au besoin, planter.

3—Labourer, sarcler, emmotter, semer du gazon, rouler, arroser à bon escient mais avec parcimonie.

4—Ajouter quelques fleurs et quelques herbes folles pour faire joli.

5—Attendre.

6—Au printemps, si le gazon a poussé de plus de Continuer la lecture de Pour faire un oeuf à la coque

¿ TAVUSSA ? (51) : Shutdown, Gilets Jaunes et Brexit

Le shutdown de l’administration fédérale US,
c’est la conséquence du désaccord entre Le Donald Président et la Chambre des Représentants sur le budget. Celui-ci n’étant pas voté, l’État ne peut plus dépenser d’argent pour, notamment, payer ses employés. Le résultat est que les fonctionnaires fédéraux, sauf quelques exceptions de sécurité, sont mis au chômage. Le désaccord porte sur la demande du Donald de près de 6 milliards $ pour la construction du mur à la frontière du Mexique que les Démocrates refusent d’accepter.

Le mouvement des Gilets Jaunes,
pour ceux qui auraient débarqué ce matin de la planète Mars, c’est un mouvement dont l’origine se situe Continuer la lecture de ¿ TAVUSSA ? (51) : Shutdown, Gilets Jaunes et Brexit

Les pastiches de Lorenzo – 2

Les  magrikeruhles  élémentaires
pour  Uhlbec

Ce livre est avant tout l’histoire d’un groupe limité d’hommes et de femmes (appelés les magrikeruhles élémentaires) qui vécurent la plus grande partie de leur vie en Europe occidentale, durant la seconde moitié du XX ème siècle. Généralement ensemble, ils furent de moins en moins souvent en relation avec d’autres hommes et femmes. Ils vécurent en des temps malheureux et troublés où la CARMF, l’URSSAF et tous les impôts augmentaient frénétiquement. Le pays qui leur avait donné naissance basculait lentement, mais inéluctablement, dans la zone économique des pays moyen-pauvres ; fréquemment guettés par la misère, les hommes de leur génération passèrent en outre leur vie dans la solitude et l’amertume. Les sentiments d’amour, de tendresse et de fraternité humaine subsistaient pourtant dans le petit groupe des Magrikeruhles élémentaires qui faisaient preuve de plus en plus souvent dans leurs rapports avec leurs contemporains d’indifférence, voire de cruauté. Ce livre est l’histoire de Continuer la lecture de Les pastiches de Lorenzo – 2

L’effet papillon

C’est au moment où le marchand allait procéder à la pesée que le papillon s’était posé sur le côté gauche du fléau, celui auquel était suspendue la petite coupelle qui contenait la poudre d’or. L’acheteur d’or, le propriétaire de la balance, n’avait rien vu, tout occupé qu’il était à disposer les poids dans l’autre coupelle avec sa petite pince. Le chercheur d’or, celui qui l’avait enfin trouvé et qui le vendait, l’avait bien vu lui, le papillon, mais il n’avait rien dit. Vous pensez, vendre un papillon au prix de l’or, c’était Continuer la lecture de L’effet papillon