HHH, NYC, USA. Chap.5

HHH Building
610 Madison Avenue

Chapitre 5- Richard

La région de Richard Dunbar, c’est SOUTH-USA. Richard est d’origine écossaise, mais il est né à Savannah, comme son grand-père, son père et sa mère. Il a cinquante et un ans et il habite Roosevelt Island, entre Manhattan et le Queens. Son grand plaisir le matin pour se rendre à son bureau, c’est de prendre le téléphérique au-dessus de l’East River. Quand il est dans la cabine qui oscille silencieusement dans le soleil, dans la brume ou sous la pluie, il regarde à chaque fois avec la même émotion les façades des immeubles de Manhattan avancer lentement vers lui. Une fois arrivé à la gare de la 2ème Avenue, il salue Khan, le vendeur ambulant de la 59ème, lui achète un café géant dans un gobelet en carton et se rend à pied jusqu’à Madison. Mais il sait qu’il va bientôt devoir quitter son ile, à la fois si calme et si proche de la fièvre du cœur de la ville. Il est en instance de divorce et la procédure est loin d’être amiable. La pension alimentaire qu’il va devoir verser à sa femme, le partage de leurs quelques biens, les frais d’université de leur dernière fille, tout cela ne lui permettra pas de garder son appartement avec vue sur Manhattan par-dessus la rivière.

Mais aujourd’hui, les soucis de Dunbar ne se limitent pas à sa future ex-femme. Depuis presque un an, la région SOUTH ne donne plus ce qu’elle devrait donner. A moins que ce ne soit Dunbar qui ne donne plus ce qu’il devrait donner. Les résultats sont mauvais, de plus en plus mauvais. Bob l’a déjà convoqué une fois à ce sujet. C’était il y a deux mois. Richard s’en est sorti tant bien que mal avec quelques promesses d’amélioration rapide. Mais vendredi dernier, il a pris l’ascenseur avec Huge. Après lui avoir demandé joyeusement des nouvelles de sa femme – personne au bureau ne sait rien de son divorce – et de ses dernières vacances, G.H. lui a dit :

     -Ah, Richard, à propos, si vous avez cinq minutes, passez donc me voir après la grand’messe de lundi prochain. Vous êtes libre ? Parfait, on fumera un cigare ensemble. Vous fumez toujours le cigare ?

Dunbar n’a jamais fumé de sa vie. Depuis cette cordiale invitation, Richard a passé un très mauvais week-end.

Quand Mary s’est interrompue à l’entrée d’Harry, Martinoni a repris la parole :

     -Salut, Harry. Je vois que tu es encore à l’heure de la côte ouest. Tes vacances ont été bonnes ? <<…bon sang, ce type manque les deux dernières réunions et il arrive en retard à la troisième ! …se fout du monde !…>>

     – Extra cool ! Super ! Je t’en souhaite beaucoup des comme ça, Bob, répond Harry d’un ton joyeux. .

Harry a peut-être fait une entrée un peu hésitante, mais maintenant il se sent plutôt bien. La qualité de sa réplique à son patron direct l’a rendu confiant, presque euphorique. <<…mais c’est que je suis en grande forme, moi !… il avait raison, le gars du drugstore, elles sont super ces pilules…>>

Martinoni n’est pas très sûr de l’intention mise par Harry dans sa réponse. Insolence, désinvolture, ou simple bonne humeur ? Il préfère ne pas relever.

     -Maintenant que Monsieur Weissberg est bien installé, Mary, si tu veux bien reprendre…

     -C’est ça, Mary, si tu veux bien reprendre…, dit Harry avec une extrême politesse.

<<…y a pas de doute, il se fiche de moi…quand même, il est drôlement bizarre, ce matin…>>

Bob fait comme si il n’avait pas entendu et insiste :

     -Mary, je crois que tu nous parlais de l’Afrique…

     -Effectivement. Je disais que notre récente implantation sur ce continent ne permet pas de prévisions fiables. La prolongation de la tendance constatée sur les douze …

<<…je m’emmerde…qu’est-ce que je m’emmerde…>>

     -…virgule trois pour cent serait une imprudence, compte tenu de la faiblesse de l’assiette. Par contre…

     – Mary ! Hé, Mary ! Tu vois pas que t’emmerdes tout le monde ?

Harry a parlé d’une voix douce sur un ton gentiment interrogatif et légèrement ironique. Mary s’est interrompue, décontenancée. Elle regarde Harry, puis Bob, puis Harry à nouveau. La question a figé toute l’assistance. Pendant quelques interminables secondes, on n’entend plus dans la salle 1101 que le soufflement discret de l’air conditionné.

La langue pratiquée de manière courante lors des réunions des Sales managers n’est pas particulièrement châtiée. Sans que cela soit fréquent, il arrive pourtant que des jurons ou des grossièretés soit prononcés. De même, il peut se produire qu’à l’occasion de désaccords professionnels ou d’inimitiés personnelles, une certaine agressivité puisse percer dans les échanges. Pourtant, jusqu’à présent, les agressions verbales avaient toujours été habillées d’un excès de politesse d’autant plus appuyée que l’agression était plus forte. Mais jamais encore, on avait assisté à une telle attaque, aussi directe, aussi crue, aussi sarcastique.

Bob Paulsen s’est renversé sur son fauteuil. Il regarde le plafond avec attention.

<<…c’est vrai qu’elle nous casse les pieds avec ses degrés de fiabilité, ses fourchettes d’incertitude et ses écarts-type…>>

986-6TH AVENUEA SUIVRE

Prochain épisode le 28 octobre

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