Sacrée soirée ! (16)

16

Françoise est repartie en cuisine et Renée ne sait pas quoi faire du bouquet qu’elle a couché sur la table. Elle se lève, le saisit, fait deux pas vers la cuisine, se ravise, le pose sur sa chaise, repart vers la cuisine, revient vers la table, reprend le bouquet et finalement se rassoit en gémissant :

— Mon Dieu, mais quelle soirée ! C’est une catastrophe !

Mais la mère Wu est là pour la consoler :

— Mais pas du tout, chère amie. Il y avait longtemps que je n’avais pas assisté à une soirée aussi intéressante.

— Ah ? Vous trouvez ? C’est gentil de dire ça, dit Renée en souriant pauvrement.

— Absolument. Vous savez, parler de la dernière expo chez Vuitton ou de l’entrée d’Alexis Michalik au répertoire de la Comédie Française, ça devient assommant à la longue ! Tandis que ce soir… la grippette de Gérald, le plagiat de l’écrivain, la Chine cachottière, les laboratoires complices, quel feu d’artifice !… Et pour finir, le chauffeur de taxi !…

Ah, oui ! Tu parles d’un bouquet final ! Et à mes frais en plus ! Je suis sûr qu’Anne va lui donner au moins vingt balles !

— C’est vrai qu’il était rafraichissant. Ah ! Le brave homme !

C’est Charles qui vient d’approuver. C’est pour se faire bien voir, certainement. Et voilà qu’il continue, l’hypocrite :

— Vous vous rendez compte qu’il est rentré à vide de Roissy, juste pour rapporter un bouquet, juste parce qu’il fallait qu’une femme reçoive ses fleurs. Quelle élégance ! Et de la part d’un taxi ! Votre épouse a raison, Gérard. Cet homme est un gentleman !

Un gentleman ! Tu parles ! Il espérait le gros pourboire, oui ! Allez ! Je préfère ne rien dire, va ! La naïveté de ces gens… Enfin… Tiens ? Mon téléphone vient de biper ! j’ai un message : « Sur instruction du Premier Ministre, nous diffusons le message suivant : Le Président de la République prendra la parole dans l’heure à venir pour délivrer une allocution de la plus haute importance. Vous êtes priés de rester là où vous vous trouvez actuellement à proximité d’un poste de radio ou de télévision. Si vous êtes à l’extérieur, veuillez rejoindre une habitation au plus tôt. L’allocution du Président sera diffusée par toutes les chaines de radio et de télévision à couverture nationale ou locale. Restez à l’écoute. Fin du message. » Pendant que je lisais, tous les téléphones se sont mis à sonner, à vibrer, à tinter ou à jouer la Cucaracha. Chacun fouille fébrilement dans sa poche ou dans son sac pour en extraire l’appareil. C’est le moment que choisit Anne pour réapparaitre à la porte de la salle à manger.

— Quel type extraordinaire, ce taxi ! Nous avons bavardé cinq minutes dans l’entrée, et si vous saviez ce qu’il…

Mais elle se rend compte que personne ne lui prête attention, tous trop occupés à consulter leur messagerie.

— Mais qu’est-ce qui se passe ? Vous faites un jeu ? Je peux jouer moi aussi ? demande-t-elle

— La ferme, Anne ! C’est sérieux !

C’est Renée, toute énervée, qui vient de lui parler aussi sèchement. Je m’attends à une réplique cinglante. En tout cas, c’est ce qui me serait arrivé à moi si j’avais parlé à Anne sur ce ton. Mais rien, juste un timide « Mais, Renée, enfin… » Un instant, tout le monde se regarde, étonné ; et puis c’est la cacophonie ; on ne s’entend plus.

— Vous avez vu ce message ?

— Ah ! Vous avez le même…

— Vous y comprenez quelque chose, vous ?

— Qu’est-ce que ça veut dire, ça, restez là où vous êtes ? Ils vont quand même pas… Non mais sans blague !

— Attendez ! Je vais appeler Robert. Il est au Ministère des Armées. Il doit être au courant…

— J’appelle mon beau-frère. Il est journaliste. Il doit bien savoir ce qui se passe…

— Docteur, vous croyez que c’est à cause du virus ?

— Dites, y a pas de réseau ! J’ai pas de réseau. Vous avez du réseau, vous ?

— Oui, oui ; je suis en train d’appeler. Meeeerde, y a plus de réseau !

— Qu’est-ce que je vous disais ?

— Il faut absolument que j’aille à ma Mairie ! Je vais appeler un taxi…

— Marc-Antoine ! Mon Dieu ! Il va me faire une crise…il faut lui donner ses médicaments… il faut que j’appelle chez moi…

— Ah ! Écoutez, vous ! Foutez-nous la paix avec votre chien, c’est vraiment pas le moment !

— Non, mais dites-donc ! Est-ce que je…

— Renée, vous avez un fixe ?

— Désolée, je n’ai plus de fixe ; il y a longtemps que j’ai résilié. D’ailleurs, personne n’appelait plus sur le fixe. C’est complètement dépassé… ça ne sert plus à rien…

— Sauf dans des cas comme ça, peut-être, non ?

— Désolée ! Plus de fixe ! Ah ! Et puis, la barbe ! Faites-vous une raison, qu’est-ce que vous voulez ! Ce n’est tout de même pas de ma faute si…

— Ils ont dit qu’il fallait allumer la TV. Où est-elle, votre télévision ? Au salon ?

— Non, dans ma chambre. Vous savez, la télévision… quand on vit seule… c’est plutôt dans sa chambre qu’on…

— Ah oui ! … Bon ! Allons-y !

— J’aimerais mieux pas ! Vous savez… les petits secrets d’une femme… et puis elle est dans un désordre ! Non vraiment, ça me gêne…

— Alors, un poste de radio, un transistor ?

— Je crains que non… mais j’y pense : j’ai toujours la chaine Marantz de Fernand. Je l’ai conservée précieusement, bien sûr…

— Elle a la radio, cette chaine ?

— Je ne suis pas sûre.  Finalement je ne crois pas… Non, j’en suis certaine, elle n’a pas de radio.

— Franchement, Renée, vous n’y mettez beaucoup pas du vôtre…

— Ah ! Il y a bien le vieux poste de Françoise, dans la cuisine…

Et nous voilà partis vers la cuisine. En queue de cortège, j’entends Anne qui se lamente :

— Mais qu’est-ce qui se passe ? Mais enfin, qu’est-ce qui se passe ? Est-ce que quelqu’un va me dire ce qui se passe, oui ou non ?

Eh bien, ça ne sera pas moi, ma chère et tendre ! Fallait pas courir derrière Jo-le-taxi ! À propos, elle ne m’a pas rendu mon portefeuille, la vache ! … et je ne sais même pas combien elle lui a donné, au chevalier du taximètre !

A SUIVRE

 

2 réflexions sur « Sacrée soirée ! (16) »

  1. C’est prévu pour lundi. 18ème épisode où l’on découvrira l’utilité d’un Pizon Bros de 1953.

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