RENDEZ-VOUS À CINQ HEURES (61)

RENDEZ-VOUS À CINQ HEURES (61)

24/08/2020

La guêpe1

Tout à l’heure, alors que j’étais en pleine écriture du huitième chapitre du « Cujas », je m’interrompis un instant, le temps de procéder au choix délicat d’un temps de narration : passé simple, imparfait ou passé composé ?  La question est délicate et récurrente. Délicate, parce qu’elle marque souvent plus qu’on ne le voudrait le style d’un texte, compassé, soutenu, percutant ou léger, et qu’elle impose le temps de narration de la suite du récit. Récurrente parce que, les manuels d’écriture autorisant et même recommandant de changer de temps en temps de temps de narration  (ça, ça s’appelle une répétition voulue), la question du choix se présente à nouveau à chaque nouveau changement  (et ça, c’est une répétition maladroite).

Donc, j’étais sous mon parasol Castorama, appuyé contre le dossier de mon fauteuil Alinea de jardin, à peser les avantages et les inconvénients du passé simple, du passé composé et de l’imparfait.

Je dus prendre un peu trop de temps dans cette pose — ou dans cette pause, c’est comme on veut — car une guêpe vint se poser (elle aussi ! Mon  Dieu que la langue française est difficile !) sur le clavier de mon MacBook Air 13 pouces. Si je voulais être drôle à bon compte, je pourrais vous dire que l’insecte s’était juché sur le Q et broder la-dessus pendant quelques lignes pleines de délicatesse et de subtilité. Mais en fait, l’invasif volatile avait choisi le J. De là, il passa en hésitant quelques secondes sur le H, puis sur le U pour revenir bien vite sur le J. Son choix était fait (mais le mien toujours pas). En d’autres temps, par exemple le vieux temps où j’écrivais au stylo-bille Reynolds sur des papiers quadrillés Clairefontaine, j’aurais, avec crainte mais sans hésitation, écrabouillé le dangereux bestiau d’un coup de bloc-note de chez Rhodia. Mais dans ces temps merveilleux d’électronique et de virtualité, je ne me voyais pas terminer cette guêpe avec mon iPad mini ou une nouvelle feuille Excel. J’aurais pu, bien sûr, rabattre violemment le couvercle de la machine Apple sur la bestiole. Mais la perpective d’avoir à nettoyer ensuite le bel écran Retina et le clavier super convivial des débris visqueux de l’importune ne m’attirait pas. Par ailleurs, qui connait l’effet à terme du jus de guêpe sur les délicats mécanismes à ciseaux d’une touche de MacBook Air ? Pas moi.

Et puis, de toute façon, l’âge venant, j’ai de plus en plus tendance à ménager la vie de tout ce qui respire — des fois que la métempsycose ne soit pas une blague Tamoul — le frelon, la tique et le Varan de Komodo exceptés .

Je restai là, donc, contemplatif et coi. Et lui, l’hyménoptère, il restait là, sur le J, à se frotter les antennes (ou les mandibules, ce n’était pas très clair).

Que faire ?

Jouer la sécurité en abandonnant le terrain ?
Se lever quelques instants pour aller cultiver son jardin, regarder pousser sa nostalgie, arroser son ego, tondre ses ambitions, tailler sa plume ? « Pourquoi pas ? » soliloqué-je. Mais fuir devant le danger, reculer devant la bête, déserter devant l’ennemi ? Jamais !

Alors, quoi ?
Risquer la piqure en poursuivant l’écriture ?
Soit ! Mais en évitant les J et aussi, forcément, tous les caractères qui l’entourent : le K, le I et le U, le H et le N et surtout, surtout, le point d’interrogation. Fallait-il se lancer dans cet exercice oulipien à la Perec en se privant non pas d’une seule lettre, lipogramme trop facile, mais de six en y ajoutant pour corser la chose encore davantage le point d’interrogation, ce signe du questionnement qui devrait clore toute oeuvre romanesque ?

J’en étais là, à danser d’une idée sur l’autre quand, brusquement, sans mobile apparent — cette espèce est incompréhensible — l’animal ailé retourna à ses occupations dont il faut bien dire que l’essentiel consiste à faire crier les enfants et empêcher les adultes de déjeuner dehors.

J’allais pouvoir continuer à découvrir et à faire partager la vie de Georges Cambremer, vous savez, le meilleur ami d’Antoine de Colmont. Mais l’inspiration était partie. Et puis, comme c’était presque l’heure de diner, je n’aurais surement pas le temps de terminer le chapitre.

Alors je laissai  tomber le Cujas pour écrire ce témoignage sans aucun intérêt, si ce n’est  celui de rappeler l’heureux temps du confinement et de mon Journal de Campagne où l’on pouvait écrire sept cents quarante et un mots pour ne rien dire.

Mais c’est fini tout ça.

Note 1 : Attention, ce texte fait appel au placement de produits

***

Vous avez encore un peu de temps pour envoyer votre Sassi Manoon au journal. A peine une semaine ….

 

4 réflexions sur « RENDEZ-VOUS À CINQ HEURES (61) »

  1. Non, non. Pour le Cujas, ce n’est qu’un arrêt temporaire. Il reprendra le 31 aout. Il fallait bien vous laisser souffler un peu avant la grande descente aux enfers. En attendant, vous aurez droit à une Petite Suite Africaine avec bière Bravolta et éléphants.
    Sassi Manoon, le prochain jeu de l’excipit ne sera pas noté, tout le monde aura l’examen. Il faudra seulement reconnaitre l’auteur.

  2. C est faire bon compte de tous les commentaires qu il suscitait ton Jde C!
    Heureux temps en effet, où l on n était pas taxé d un devoir de rentrée, où l on pouvait papoter sans risquer d être classé; les forts en thème doivent gratter , pour rendre leur copie…
    Et au final , le gagnant sera….Betelgeuse!
    Antoine est mort, le Cujas est à l arrêt, quelle fin d été !
    Je confirme que les guêpes cet été sont attirées par l écriture: moi ç est lire avec moi qu elles adorent cet été ; mes moulinets énergiques ne dérangent que les lézards…

  3. C’est curieux cette phobie des guêpes de l’Aisne de se poser sur la lettre Q des claviers. Elles ne sont pas les seules, d’ailleurs. J’ai bien connu une guêpe ariégeoise qui, elle aussi ….. Mais je vous l’ai peut-être déjà racontée cette histoire très drôle à bon compte, délicate et subtile, non ?

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