A propos de l’affaire Dreyfus

En réalité, nous découvrons toujours après coup que nos adversaires avaient une raison d’être du parti où ils sont et qui ne tient pas à ce qu’il peut y avoir de juste dans ce parti, et que ceux qui pensent comme nous c’est que l’intelligence, si leur nature morale est trop basse pour être invoquée, ou leur droiture, si leur pénétration est faible, les y a contraints.

Marcel Proust – Sodome et Gomorrhe

Pas facile, cette phrase, hein?

Proust fait cette remarque à propos de l’affaire Dreyfus pour expliquer les positions successives de certains de ses personnages :
—Le grand monde pense que Swann est dreyfusard parce qu’il est juif
—Le narrateur pense que Robert de Saint-Loup est dreyfusard malgré sa noblesse parce qu’il est intelligent
—Le grand monde pense que Saint-Loup est dreyfusard parce que sa maitresse est juive
—Swann pense que le Prince de Guermantes est anti-dreyfusard parce qu’il est aristocrate
—Le Prince de Guermantes devient dreyfusard par droiture

Aucune de ces raisons ne tient compte de ce qu’il peut y avoir de juste dans ce parti.

Aujourd’hui, alors que le moindre évènement politique prend une allure d’affaire Dreyfus, la phrase du petit Marcel reprend toute son actualité. Demandons-nous à quelle raison nous attribuons les positions de ceux qui ne pensent pas comme nous. On verra que rarement ce sera « ce qu’il peut y avoir de juste dans ce parti. »

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6 réflexions sur « A propos de l’affaire Dreyfus »

  1. Le Liban a été longtemps un exemple de pays libre et respectueux d’un équilibre entre communautés, ce qui veut dire là-bas religion. Il ne l’est plus, souvent sous influence syrienne ou saoudienne, ou plus simplement chiite, sunnite et maronite.
    Pour revenir au caractère dreyfusiste des désaccords politiques, le phénomène se produit aussi aux USA au sein des familles ou amis quand ils sont partagés entre ceux qui ont voté pour Trump ou pas. On n’en parle pas ou alors on se fâche.
    Mais si j’ai cité cette phrase difficile de Proust, c’est surtout pour faire réaliser à tout un chacun, y compris à toi, cher lecteur, que l’on reconnait rarement, sinon jamais, une part de raison ou de justice dans la position politique de quelqu’un qui n’a pas la même que soi. J’espère que ma phrase est plus facile à comprendre que celle du petit Marcel.

  2. D’accord les mecs ! Et que dites-vous du Liban …?

  3. Des évènements politiques qui prennent une allure d’affaire Dreyfus? le monde en est rempli. Les oppositions sont pléthores, voyez l’Europe et la montée des populismes en réaction aux européistes, voyez les religions au moyen orient (sunnites vs chites) et ailleurs (islam vs chrétienté vs judaïsme), voyez la bonne vieille confrontation entre capitalisme et communisme, etc, mais la pleine dimension d’une affaire Dreyfus, la plus observable immédiatement, la plus destructrice, est quand elle intervient dans l’espace clos d’un pays construit sur l’union, et deux exemples de désunion destructrice viennent immédiatement à l’esprit: le Brexit au Royaume Uni et le Trumpisme aux Etats-Unis.

  4. Appliquons cette phrase à l’affaire du Brexit au Royaume Uni (Uni? pire que la désunion dreyfusarde!), chacun de ses mots s’appliquent, en particulier le mot « parti », qu’il s’agisse des partis politiques, des régions, des catégories sociales, des classes d’âge, des professions, etc. La désunion est totale et chacun voit midi à sa porte selon son intelligence. Si la France a mis du temps à se remettre de l’affaire Dreyfus, le Royaume Uni, ou se qu’il en restera quand par exemple l’Ecosse s’en sera retirée, mettra encore plus de temps à s’en remettre. Il y a un peu plus d’un siècle, le soleil ne se couchait jamais sur l’Empire Britannique. Quand le Royaume sera réduit à être le Singapour de l’Europe, le soleil de midi l’aura vite traversé.

  5. Pour être un peu plus clair, l’imposture générée par la frustration joue toujours sur le registre : l’ennemi de mon ennemi est mon ami.

  6. Remarquable analyse-explication de texte.
    En ce qui me concerne, je traque toujours la nature de la frustration. Et comme cette dernière est fort habile à se crypter, je poursuis dans la voie de l’imposture qui fait pendant à cette frustration.
    Ce n’est pas un exercice auquel je me suis livré pour les personnages de Proust car je ne vis pas l’époque et risquerais de me fourvoyer, je me contente de cette traque chez mes contemporains tels par exemple les gilets jaunes ou même les intellectuels pléonasmiquement de gauche. Il s’agit toujours de personnages recherchant un monde idéal selon leur goût et non selon la justice ou l’équité, et moins encore l’intelligence, ce qui rejoint en grande partie ta propre analyse (et partant, celle de Proust).

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