Lettre à Ernest Feydeau

Ernest Feydeau. Vous ne connaissez pas Ernest Feydeau ? Mais vous connaissez son fils, certainement ? Voyons ! Georges ! Georges Feydeau ! Le fil à la patte ! Ah, quand même !
Eh bien, Ernest Feydeau était le père de Georges. Enfin, peut-être, parce que certains disent — ou plutôt disaient, car aujourd’hui, tout le monde s’en fout — que le véritable père du véritable père du vaudeville était le Duc de Morny, ou peut-être même Louis-Napoléon Bonaparte.

Selon Wikipedia, Ernest était « archéologue, écrivain et courtier en bourse ». L’éclectisme des gens de cette époque me surprendra toujours… archéologue et courtier en bourse !
Ernest Feydeau a vécu de 1821 à 1873 alors que son ami Flaubert, de 1821 à 1880. Il fallait se dépêcher d’écrire à cette époque, car le temps était court.

Bref, Ernest et Gustave étaient amis et, comme chacun sait, Flaubert écrivait beaucoup (et bien). Voici un extrait d’une lettre de l’été 1857 dans laquelle il avoue à son ami que la littérature l’embête et que la vie l’emmerde. Il ne savait probablement pas qu’en septembre de la même année, il allait entreprendre l’écriture de Salammbô et que, comme pour Bovary, ça allait lui prendre cinq ans.

Lettre à Ernest Feydeau
6 août 1857

Mon Vieux,

Tu es le plus charmant mortel que je connaisse ; et j’ai eu bien raison de t’aimer à première vue. Voilà ce que j’ai à te dire d’abord, et puis, que je suis un serin, un chien hargneux, un individu désagréable et rébarbatif, etc., etc.

Oui, la littérature m’embête au suprême degré ! Mais ce n’est pas ma faute ; elle est devenue chez moi une vérole constitutionnelle ; il n’y a pas moyen de s’en débarrasser. Je suis abruti d’arrêt d’esthétique et il m’est impossible de vivre un jour sans gratter cette incurable plaie, qui me ronge.

Je n’ai (si tu veux savoir mon opinion intime et franche) rien écrit qui me satisfasse pleinement. J’ai en moi, et très net, il me semble, un idéal (pardon du mot), un idéal de style, dont la poursuite me fait haleter sans trêve. Aussi le désespoir est mon état normal. Il faut une violente distraction pour m’en sortir. Et puis, je ne suis pas naturellement gai. Bas-bouffon et obscène tant que tu voudras, mais lugubre nonobstant. Bref, la vie m’emmerde cordialement.

Gustave

ET DEMAIN, LES COMEDIES MUSICALES, UNE CRITIQUE AISÉE

3 réflexions sur « Lettre à Ernest Feydeau »

  1. Ah! Quand j’entends Hamilcar, je pense à l’Amilcar, cette belle petite torpédo un peu oubliée dont le moteur devait ronronner avec des dièses et des bémols, aller crescendo ou diminuendo au rythme des accélération ou des décélérations, se faire remarquer par quelques pétarades dans les descentes aussi, voilà une automobile qui avait du style, qui devait faire haleter sans trêve dans une virée entre Paris et Deauville. Le style, toujours le style, et de la musique avant toute chose.

  2. “J’ai en moi […] un idéal de style, dont la poursuite me fait haleter sans trève.”
    Hmm! Cet aveu est-il là par hasard? Quel idéal de style? Proust? Chandler? Mais non, mais non, il faut bannir le désespoir, à chacun son style, que l’on s’appelle Gustave, ou Marcel, ou Raymond, ou … Le style c’est l’homme, je me tue à le répéter!

  3. Pour mal connaître Flaubert, j’adore son idée de gueuloir. En effet je considère la littérature – et les langues en général – comme se rattachant à la musique, et la musique s’écoute. La preuve :
    « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar ». C’est de la musique.

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