Les missions de Lorenzo (1)

Dans la journée, Lorenzo dell’ Acqua se promène souvent. Il se donne des missions : parcourir tel quartier, déambuler dans tel musée, faire tant de kilomètres. Il en tire des photographies accompagnées souvent de commentaires, parfois de brèves histoire. Il appelle ça ses « Écrits illustrés de Paris ». Moi je les range sous le titre générique « Les missions de Lorenzo ».

(…) Ma mission ayant donné un résultat plus que mitigé, je décide par prudence de ne pas en dire un mot à H. N. pour des raisons capillaires. Je reviendrai aux beaux jours, on ne sait jamais. Direction la Gentiane où je déjeune avec Bernard.

Traversée sous la pluie du quartier de mon enfance, la rue Saint Yves, la rue des Artistes, la rue Hallé, la rue Sophie Germain …

Place de la Mairie du XIV, en passant devant notre école communale et le magnifique appartement de ses parents au 5 ème étage, je rends un hommage esthétiquement assez réussi à mon Maître vénéré en photographie, le Professeur Hervé P-R.

             Hervé P. n’est pas un patient mais un ami de plus de cinquante ans et, parfois, cela revient à peu près au même. Nous étions ensemble à l’école communale de la rue Boulard avec Philippe A. Il habitait devant la porte d’entrée un somptueux   appartement en duplex au dernier étage avec terrasse orientée plein ouest. Ce garçon me fascinait : il était la beauté, la décontraction et le bonheur de vivre. Un mélange de Gérard Philippe auquel il ressemblait et de Joe Dassin dont il avait le sourire. Je le retrouvai par hasard dix ans plus tard aux sports d’hiver à Saas-Fee. Dans cette station notre occupation principale était de nous saouler tous les soirs dans la boite de nuit de l’hôtel car il faisait beaucoup trop froid pour skier dans la journée. Il était déjà (nous n’avions que dix-huit ans) fiancé à une jolie jeune fille blonde qui m’avait trouvé de très belles mains ce que j’ignorais. Je dois à Hervé d’avoir découvert à notre retour à Paris l’univers de la photo et je ne l’en remercierai jamais assez. Il avait installé dans la cave de ses parents un laboratoire de développement de l’époque avec cuves, agrandisseur et lampe rouge. Le premier cliché qui apparut au fond du bac était un portrait de marin corse de profil avec un gilet rayé. Je m’en souviens comme si c’était hier. J’étais halluciné devant ce prodige et je mis vingt ans à le reproduire. Hervé avait eu une brillante carrière dans les assurances et avait vécu souvent à l’étranger. Il tenta plusieurs fois sans succès de me faire comprendre les raisons de sa notoriété professionnelle. Quarante ans plus tard, trois mariages, le tabac et un peu d’alcool l’avaient transformé et il ressemblait maintenant plutôt à un Omar Sharif vieilli mais au charme intact. Je le reconnus tout de suite quand il arriva en retard à notre premier déjeuner. Pourquoi avait-il arrêté à cinquante ans une carrière aussi brillante ? Je ne l’ai toujours pas compris. Depuis quinze ans, il était en invalidité, ce qui se mérite, et l’hypothèse d’une dépression grave ou d’un montage financier véreux en semblent les causes les plus probables. Personnellement, je préférerais la dépression. Il se remettait mal d’avoir arrêté la photo, domaine dans lequel il avait une bonne longueur d’avance sur moi comme il me le répétait souvent. Hervé accumulait les pépins de santé qui, moi, m’auraient rendu « malade » pour de bon ! Mais lui surfait sur ces problèmes et continuait à faire de la compétition automobile au volant de ses nombreuses voitures de sport. Sa compagne actuelle vivait à Bordeaux et était … photographe. Hervé est un ami de plus de cinquante ans retrouvé par hasard sur un site internet. Je ne le regrette pas. Contrairement à de nombreuses expériences désastreuses en ce domaine, ces retrouvailles ne furent jamais décevantes. Il était émerveillé que nous nous comprenions aussi bien malgré les cinquante ans de séparation. Et il avait raison. 

… et puis un souvenir ému devant la piscine désaffectée de mes débuts (sans aucun rapport avec mon nouveau métier) dans le square Henri Delormel où habita Nicolaï mon ami bulgare à son arrivée en France

et puis la place de la Mairie de mon enfance …

Scandale à deux pas rue Durouchoux débaptisée par les élus locaux qui ne réalisent pas qu’en déjugeant leurs prédécesseurs ils se déjugent eux-mêmes ! Je ne connais pas monsieur Durouchoux mais pour moi cela relève de la violation de sépulture. Cette homme est passé du statut de Héros de la Nation à celui de réactionnaire anti-communard à cause de la couleur politique des élus locaux d’aujourd’hui. En me renseignant sur internet, je découvre l’ampleur de la polémique que suscita cet événement. C’est affligeant. Ces malheureux ne savent pas qu’en plus il y avait rue Durouchoux dans les années cinquante l’école maternelle où je suis tombé amoureux de Bichette (dont je ne retrouve hélas pas la photo). J’en pleurerais. Heureusement qu’à deux pas, rue Gassendi, existe un atelier éducatif oeno-musical qui devrait nous intéresser, Bertrand et moi.

et puis deux boutiques côte-à-côte que ne désavoueraient pas non plus Bernard (reconverti  écrivain)

et sa femme Chantal (reconvertie tapissière).

Passage par la rue de la Gaité, mais pas tellement aujourd’hui,

et pour finir mon périple, le marché du boulevard Edgar Quinet où je ne peux plus passer sans penser au récit tragique de Michel Audiard …

 » Édentée, disloquée, le corps bleu, éclaté par endroits, le regard vitrifié dans une expression de cheval fou, la fillette avait été abandonnée en travers d’un tas de cailloux au carrefour Edgar-Quinet et de la Gaité tout près d’où j’habitais alors. Il n’y avait déjà plus personne autour d’elle, comme sur les places de village quand le cirque est parti. Ce n’est qu’un peu plus tard que nous avons appris, par les commerçants du coin, comment s’était passée la fiesta : un escadron de farouches résistants, frais du jour, à la coque, descendus des maquis de Barbès, avaient surpris un Feldwebel caché chez la jeune personne. Ils avaient – natürlich ! – flingué le Chleuh. Rien à redire. Après quoi ils avaient férocement tatané la gamine avant de la tirer par les cheveux jusqu’à la petite place où ils l’avaient attachée au tronc d’un acacia. C’est là qu’ils l’avaient tuée. Oh ! pas méchant. Plutôt, voyez-vous, à la rigolade, comme on dégringole des boîtes de conserve à la foire, à ceci près : au lieu des boules de son, ils balançaient des pavés « .

2 réflexions sur « Les missions de Lorenzo (1) »

  1. Oui, réellement, Paris est un village lorsque l’on prend le temps de regarder, de musarder le nez en l’air.
    Que de jolis endroits, d’instants précieux!

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