Morceau choisi
UN et DEUX sont au restaurant. Ils ont discuté de tas de choses et ils viennent de consulter le menu.
(…)
UN : Moi, je prends un radis maison, une garniture garnie et une garçonnière meublée.
DEUX : je ne vous conseille pas la garçonnière meublée, on dirait du sable.
UN : Je croyais que c’était un genre de jardinière.
DEUX : La jardinière à la Cosaque, c’est bon, mais c’est pas la saison.
UN : je prendrais bien « l’œuf servi dans sa poule », mais je me connais, je ne dormirai pas de la nuit. Alors je terminerai par un veau nature.
DEUX : Et avec ça, on se tape un pichet ?
UN : Un pichet de quoi ?
DEUX : Un pichet d’eau.
UN : Drôle d’idée de servir l’eau en pichet.
DEUX : Ça doit leur revenir moins cher. Pour moi, il est mort.
UN : Qui ?
DEUX : Le garçon.
UN : Non. On l’aurait entendu.
DEUX : Pas forcément. Il y a des gens qui meurent sans faire de bruit.
UN : Oui, mais pas les gens qui portent de la vaisselle.
DEUX : N’empêche, c’est pas un endroit où il faut venir quand on a faim, votre restaurant.
UN : Vous avez toujours faim ?
DEUX : Non. Je n’ai plus faim du tout. J’aurais plutôt envie d’aller au cinéma.
UN : Vous avez un tempérament instable.
DEUX : Non, mais vous m’avez coupé l’appétit. J’ai une barre sur l’estomac.
UN : Eh bien moi, je sens que je recommence à avoir faim. J’ai un tempérament cyclique : ça va, ça vient, ça se promène.
DEUX : Ding, ding ! L’addition !
UN : Comment l’addition ? on n’a rien consommé !
DEUX : Au restaurant, il y a toujours une addition. Ça serait trop commode : on entre, on s’installe, on bavarde et puis hop, on s’en va sans rien payer ! Ma parole, c’est la première fois que vous entrez dans un restaurant !
UN : Oh, mais c’est que j’ai très faim. On s’en va ?
DEUX : Je me demande pourquoi je resterais dans ce restaurant, puisque je n’ai pas faim, et je me demande pourquoi vous y resteriez, puisque vous avez faim.
UN : Alors en route. Tenez, voilà les Turcs qui s’en vont aussi.
DEUX : Dites pas de bêtises.
UN : Ah oui, c’est vrai, je suis bête. Dites-moi, vous êtes sûr que c’est nous, tous ces gens ? Moi, ça m’étonne.
DEUX : Garçon, l’addition !
UN : Le voilà qui arrive.
DEUX : Oui. Ah, ça ! quand c’est pour l’addition, ils sont tout de suite là.
FIN
Extrait d’un Diablogue de Roland Dubillard
ET DEMAIN, A NOUVEAU, LA NEIGE