L’homme qui lit

Aimer la littérature, c’est dépasser les clivages, les lobbys et les camps. Aimer la littérature, c’est s’intéresser autant aux ouvriers que décrit Zola qu’à la Princesse de Clèves, autant aux paysans de Sand qu’aux aristocrates de Proust, autant aux libertins de Laclos qu’aux âmes souffrantes de Bernanos, autant au christianisme de Bossuet qu’à sa critique par Diderot. Aimer la littérature, c’est non seulement dépasser les idéologies figées mais franchir les frontières : c’est devenir russe en lisant Dostoïevski, japonais avec Mishima, italien avec Moravia, allemand avec Mann, égyptien avec Mahfouz. La littérature enjambe même les frontières du temps puisqu’elle m’a permis de vivre au Ve siècle av. J.-C. avec Sophocle ou à la renaissance avec Shakespeare et Cervantes.

L’homme qui lit atteint l’universel. Il n’incarne plus un seul groupe, des intérêts précis, une classe sociale, un étage de la société, non, il transcende les définitions et ne connaît plus rien d’étranger. Il épouse le multiple dans sa complexité.

Eric-Emmanuel Schmitt
Extrait d’une tribune parue dans Le Monde du 14 mai 2017

3 réflexions sur « L’homme qui lit »

  1. Il m’est difficile de contester ces beaux propos d’Eric-Emmanuel Schmitt!

    Petit bémol quand même!

    Pour effectuer adéquatement ces voyages dans l’espace, il faudrait lire les auteurs étrangers en version originale… dans le texte et donc connaître sa langue et la culture ambiante!

    Sur le plan historique, c’est plus compliqué, pour appréhender le contexte de production, il faut s’en remettre à ces traducteurs contestables que sont les historiens… Là aussi, il faut lire dans le texte, si la langue du XVIIe nous convient en France, certains mécontemporains sont allergiques au français naissant de Montaigne ou de Rabelais… Hum!

    Comme la plupart des auteurs généreux, Schmitt attribue à ses lecteurs ses propres qualités!

    J’ai donc du pain sur la planche pour de nombreuses réincarnations…

  2. Il m’a toujours frappé que l’objet, le livre, soit l’homophone d’une conjugaison au présent « livre », du verbe livrer.
    Hors justement, un livre donne à celui qui l’ouvre une mine d’informations, de textes, de récits imaginaires plus farfelus les uns que les autres, d’études sérieuses documentées ou de poèmes lyriques enflammés… Un livre se donne tout entier au lecteur puisque, dans sa quête de savoir ou de détente, il arrive souvent que celui-ci le corne, l’abîme, voire fasse craquer la tranche qui en reste pour toujours meurtrie, pliée.
    un livre, donc, se livre.
    Toutefois, tout en se livrant ainsi corps et âme à celui qui l’ouvre, un livre garde une part non négligeable de son mystère.
    Pourquoi, sinon, aurions-nous envie de revenir à un ouvrage familier, envie de relire pour la ènième fois une oeuvre pourtant connue par coeur, envie de se replonger dans la vie d’un héros fréquenté avec assiduité depuis des années?
    Parce qu’un livre, comme son pluriel… délivre.

  3. Atteindre l’universel par la lecture? Pourquoi pas! Je suis tout à fait d’accord avec tout ce qui est écrit par ce E-E Schmitt que je ne connais pas, mais, au-delà d’un goût pour un genre récréationnel, à condition de ne pas limiter sa lecture à ses croyances personnelles et à son idéologie obsessionnelle. Personnellement, je connais peu de personnes qui répondent à cette ouverture d’esprit, qui soient curieux, qui soient tolérants, pas même moi!

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