La Règle du Jeu (Théâtre) (Critique aisée 92)

Critique aisée n°92

La Règle du Jeu
Par la troupe de la Comédie Française -2017
Adaptation et mise en scène de Christiane Jatahy
d’après le film de Jean Renoir.

La Comédie Française a décidé de confier à Christiane Jatahy l’adaptation théâtrale de La Règle du Jeu de Jean Renoir.

La Règle du Jeu… Ah, la Règle du Jeu… sans aucun doute le meilleur Renoir, probablement le meilleur film français de tous les temps, peut-être l’un des dix meilleurs films au monde.

Sorti en 1939, à la veille de la guerre, ce film avait fait un bide total, tout le monde sait ça.  Bien qu’apprécié par les cinéphiles dès après la guerre, il n’a été reconnu comme un véritable chef d’œuvre qu’en 1959 à la Mostra de Venise.

A propos de son film, Renoir avait dit qu’il avait voulu faire un drame gai ou une fantaisie dramatique et c’est exactement ce qu’il a réussi à faire : un mélange à la Marivaux d’élégance, d’esprit, de drôlerie, de mélancolie et de drame, un film parfait.

Alors pourquoi vouloir en faire une pièce de théâtre ?
Si, dans le programme de la soirée, C.Jatahy s’étend longuement sur sa compréhension du film de Renoir et sur ce qu’elle a voulu en faire, la raison de ce choix d’adapter un film, ce film, n’est pas donnée.
Bon, peu importe. On ne sait pas pourquoi, mais elle l’a fait.

Ayant vu La Règle du Jeu pour la première fois à dix-sept ans, seul, au Champollion, et l’ayant revu une bonne douzaine de fois depuis que j’ai quitté cet âge pas sérieux, ayant par ailleurs une très sérieuse prévention contre le théâtre en général, motivée par les raisons que j’ai déjà exposées ici plusieurs fois et que je vous épargnerai aujourd’hui, ayant enfin entendu, une semaine avant de me rendre à la Comédie Française, trois des critiques sur les quatre qu’en comporte le Masque et la Plume assassiner littéralement cette représentation tandis que la seule laudatrice du film était la critique de Télérama, vous pensez bien que j’avais toutes les raisons de craindre le pire. Et je le craignais. Et je suis allé là-bas en toute méfiance, gardant cependant ma lèvre supérieure rigide afin de ne pas gâcher par avance la soirée de la partie de la famille qui m’accompagnait.

Eh bien, disons que j’ai été déçu en bien, puisque cette expression est désormais autorisée par le dictionnaire.
Bien sûr, même après cette décevante (en bien) représentation, il demeure que le théâtre reste le théâtre, c’est-à-dire imparfait, surtout par rapport au film, à cause l’impossibilité de montrer vraiment des scènes intimes, à cause de l’unicité du point de vue du spectateur et du manque de vivacité de son œil comparée à celle de l’œil de la caméra, surtout de celle de Renoir.

Curieusement, ce sont les parties filmées de la représentation théâtrale qui sont les plus réussies. Il faut vous dire que le spectacle commence avec une séquence filmée de près d’une demi-heure et qu’il se termine avec une autre séquence d’un gros quart d’heure. La première séquence est parfaitement réussie, et c’est sans doute cela qui m’a rendu indulgent pour la suite. Elle est tournée dans les salons les couloirs, les chambres du Palais Royal, censé être l’hôtel particulier du Marquis de La Chesnay où il reçoit ses amis. Dans cette séquence, Christiane Jatahy a bien su montrer les intrigues amoureuses qui vont bientôt se nouer et se dénouer au milieu de l’insouciance joyeuse et de la légèreté mondaine de la ronde des invités arrivant au château.

Pour la partie vraiment théâtrale, malgré quelques excellents moments ou numéros d’acteurs, la scène trop vaste, l’acoustique trop imparfaite et l’éloignement trop grand des acteurs empêchent de rendre toute la virtuosité et la subtilité des scènes qui, c’est une caractéristique du film, devraient se mélanger, se superposer, se percuter et se contredire en passent sans arrêt de la comédie au drame et du drame à la comédie.

Je ne vais pas chipoter davantage et vous dire par exemple que Jatahy n’a pas tout compris du film. Elle n’a pas vu vraiment les relations assumées de maitres à valets, elle a effacé le coté pathétique du garde-chasse, elle a à peine abordé l’amitié entre le braconnier et le Marquis, elle a fait du Marquis un homme plus jaloux qu’amoureux, plus calculateur que généreux et, de l’aviateur ahuri motivé par l’exploit et l’amour, un navigateur sans frontière motivé par la générosité.

Bon, tout ça n’est pas parfait mais, comme dit souvent Armelle Héliot, (mais pas pour cette fois : elle a détesté) : « J’ai quand même passé une bonne soirée ! »

Et j’ajoute : « Et, au théâtre, c’est pas tous les jours ! »

Une réflexion sur « La Règle du Jeu (Théâtre) (Critique aisée 92) »

  1. À défaut d’être très favorable, (plutôt que ‘bonne’ – pour éviter toute confusion sur CE dont on parle au juste -) cette critique (du rédacteur en chef, Kiss & Tout!) est décevante en bien!

    Un critique qui a l’heure juste, deux fois par jours! (avec six heures de retard!)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *