Conrad et le mot juste

C’est le programme minimum de l’été.

Alors, on rediffuse : 

« Voyez le pouvoir d’un mot! Celui qui veut convaincre ne devrait pas mettre sa confiance dans l’argument valable mais dans le mot juste, le pouvoir du SON a toujours été plus grand que celui du sens. Cela n’est pas péjoratif dans mon esprit. Il est préférable que l’humanité soit plus impressionnable que réfléchie. Rien d’humainement grand – j’entends par là affectant toute une foule d’existences- n’a été le fruit de la réflexion. En revanche, on ne peut manquer de constater le pouvoir de simples mots; des mots tels que Gloire, par exemple, ou Pitié. Je n’en citerai pas d’autres. Il ne serait pas difficile d’en trouver. Clamés avec persévérance, avec ardeur, avec conviction, ces deux-là, par leur seule sonorité, ont ébranlé des nations entières et labouré le sol sec et dur sur lequel repose tout notre ordre social. Il y a aussi le mot Vertu, si vous voulez!…
Bien sûr, il faut veiller à l’intonation. L’intonation juste. C’est très important. Le poumon puissant, les cordes vocales tonnantes ou tendres. Ne venez pas me parler de votre principe d’Archimède. C’était un être sans esprit, à l’imagination mathématique. Les mathématiques ont tout mon respect, mais je n’ai nul besoin des machines. Donnez-moi le mot juste, et je soulèverai des montagnes.« 
Joseph Conrad. Souvenirs personnels.1912

La plupart des hommes politiques pourraient, dans un élan improbable de sincérité, signer ce petit texte de Joseph Conrad (1857-1924). Avec une nuance importante cependant: à la différence de Joseph, dont l’humour, et donc la distance, transparaissent au second paragraphe, c’est au premier degré que les hommes politiques adhéreraient à cette déclaration.
Quand il faut choisir entre le raisonnement et le mot, entre la logique et le slogan, entre la démonstration et l’incantation, le choix, quand il est collectif, se porte toujours sur le mot, le slogan, l’incantation. C’est ce que l’histoire récente (j’ai toujours été nul en histoire, aussi je ne remonterai pas plus haut qu’une centaine d’années et ferai confiance à Joseph pour les années qui précèdent) nous a montré à d’innombrables reprises. C’est ce que l’histoire très récente nous prouve encore tous les jours.
Cocteau n’avait rien compris, qui disait: « entre deux mots, choisis le moindre« . Lorsque nous sommes en nombre, entre deux mots, nous choisissons toujours le plus gros, le plus beau, le plus rutilant.
Et comme disait tonton Georges:
« Le pluriel ne vaut rien à l’homme et sitôt qu’on
  Est plus de quatre on est une bande de cons.
  Bande à part, sacrebleu! C’est ma règle et j’y tiens. » 

5 réflexions sur « Conrad et le mot juste »

  1. Richard III, un drôle de numéro celui-là qui laissera une sinistre mémoire. Ses derniers mots furent « mon royaume pour un cheval » que lui fait dire Shakespeare. Il n’y aura pas de numéro IV. Ça n’a pas bien marché pour les Richard’s, pas aussi bien que pour les Edouard’s et les Henry’s. Il y a bien eu plus tard un Richard Cromwell mais qui ne fut pas numéroté, c’était un intrus et pas royal en plus. Aujourd’hui les anglais ont Charles III. On verra s’il y aura un Charles IV, peut-être un jour. Les Charles en France ça n’a pas trop mal marché, et même un certain Grand Charles.
    C’était « Les histoires de l’oncle Jim ». Merci Msieudames!

  2. Il s’agissait de Richard III. Chacun l’aura reconnu, bien sûr, mais c’est mieux en le numérotant.

  3. Et puis il y a le mot inventé, celui qui a le pouvoir du son bien plus grand que celui du sens dirait Conrad, qui transcende plutôt que convaincre rationnellement, qu’il soit écrit ou prononcé, internationalement compris, un mot mégapuissant qui exprime un « vaste programme »: MAGA!

  4. Le pouvoir des mots:
    Les mots splendides mais retors de Marc- Antoine retournant la foule contre les meurtriers de César. Il vengeait son ami en même temps qu’il sauvait sa peau.
    Les mots magnifiques et tragiques de Churchill galvanisant l’Angleterre. Sans cet élan, elle n’avait aucune chance. Et nous non plus.
    Les mots pervers de Richard III séduisant la veuve de celui qu’il vient d’assassiner. Le pouvoir de la dialectique menée par un monstre égotiste.
    Les mots, les paroles, autrement dit la langue, celle d’Esope, la pire et la meilleure des choses.

  5. Comparons par exemple la réthorique de Macron à celle de Trump, deux présidents, deux façons d’utiliser des mots pour con-vaincre.

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