A LA RECHERCHE DU PEINTRE INCONNU
par Lorenzo dell’Acqua
Mes expéditions dans les musées se déroulaient toujours de la même manière ; au début, je ne voyais aucune proie intéressante et puis, tout à coup, surgissait de nulle part une silhouette à la tenue chamarrée ou à la coiffure étrange dont j’anticipais l’analogie avec un prochain tableau. Ensuite, ce n’était plus qu’une succession de rencontres merveilleuses qui s’offraient à mes yeux et que seul l’épuisement des batteries de mon appareil photographique, et non le mien, parvenait à interrompre.
Mon enthousiasme avait été tempéré par quelques déceptions comme cette jeune femme dont les boucles blondes allaient se fondre avec celles de la Dentellière de Vermeer. Hélas, elle traversa la salle sans même s’arrêter devant la célèbre peinture. Cette expérience me servit de leçon et je perdis l’habitude de pleurer la photo idéale que je n’avais pas réussi à faire. Le plus souvent, au contraire, je revenais le filet lourd de mes pêches miraculeuses.
Il arrivait parfois que la perspective d’une nouvelle correspondance m’entraînât à l’autre bout de la salle avant d’avoir eu le temps de noter l’auteur de la peinture photographiée, information pourtant indispensable si je parvenais un jour à trouver un éditeur. J’avais alors une solution de rechange en agrandissant le cliché où figurait son nom sur un petit rectangle blanc situé au-dessous du tableau. Quand il était masqué ou flou, il me restait encore la possibilité de retourner au musée pour le retrouver.
Cette négligence comportait un risque : la disparition toujours possible du tableau. Certes, elle était rarissime au Louvre où seule, dans mon souvenir, la Dentelière de Vermeer s’évapora pendant plusieurs mois. D’autres toiles, comme celles des Impressionnistes au Musée d’Orsay, avaient la bougeotte et s’absentaient souvent. Au Centre Pompidou, il arrivait parfois que tous les tableaux d’une même salle disparaissent du jour au lendemain. Les expositions temporaires étaient mon cauchemar car il s’avérait toujours difficile de retrouver l’auteur d’une peinture splendide mais peu connue.
Ce matin-là, je n’avais pas noté celui dont l’œuvre sur la photo révélait une analogie entre le bonnet noir du personnage de droite et celui, bleu, de la visiteuse. Ma négligence me fit retourner au Louvre dès le lendemain, un jour de grève des transports pluvieux et sinistre.
Il y avait bien quelques bus et métros en circulation mais les délais d’attente affichés relevaient de la plus grande fantaisie. Quand, par chance, l’un d’entre eux se présentait, il était bourré à craquer de gens trempés et exaspérés. Interrompu par de multiples arrêts inexpliqués sur la ligne 7, le trajet fut long et fastidieux. Et ce n’était pas tout ! L’humidité et le masque obligatoire en cette période de contagiosité provoquaient l’apparition d’une buée opaque sur mes verres de lunettes qui m’empêchait de voir les marches des trottoirs et bien d’autres obstacles dangereux. Pour finir, une affluence inhabituelle à l’entrée du musée m’imposa une attente interminable comme si la terre entière possédait la carte des Amis du Louvre. Je gravis ensuite le redoutable escalier glissant qui mène à la Grand Galerie où une nouvelle épreuve m’attendait : elle était archi-comble comme un couloir de métro à six heures du soir. Passe encore que la foule d’admirateurs de la Joconde débordât de la salle qui lui était dédiée, mais la présence d’un groupe de touristes agglutinés devant « mon » tableau acheva de m’exaspérer.
Je n’étais pas le seul à m’impatienter ; un deuxième groupe attendait à quelques mètres et se précipita pour prendre la place laissée vacante par le départ du premier. Je fis semblant d’en faire partie et, en m’accroupissant au premier rang devant le tableau, je fus enfin récompensé de tous mes efforts en découvrant le nom inattendu de son auteur …
Tu l’as dit, ça tombe drôlement bien !
Et Lorenzo, accroupi, découvrit le cartel révélateur.