(…)
Renée relance le sujet de l’épidémie.
« Maintenant que nous sommes tous là, ne me dites pas que personne ici n’a écouté ce pauvre Président, quand même. Kris, vous l’avez écouté, vous ?
— Oui, bien sûr, mais le début seulement, lui répond Kris de l’autre extrémité de la table. Mon taxi m’attendait en bas.
— Alors ? C’est grave ? demande Anne, inquiète.
— Eh bien, à mon avis, ils ne savent pas trop à quoi s’en tenir encore, mais ce qui est sûr, c’est qu’en Chine, en Corée, à Singapour, ils ont pris des mesures drastiques. En Italie, ça commence à exploser, en Espagne aussi. Pour la France, ce n’est pas encore bien clair. J’ai l’impression qu’avec ce discours un peu flou, on a voulu nous préparer à des choses graves, des mesures lourdes. Ça m’a l’air tout à fait sérieux.
— Vraiment ? intervient Charles qui est placé à côté d’elle. Pourtant un ami bien informé me disait récemment, je le cite, que c’était juste une petite grippette, qu’on faisait encore tout un foin pour pas grand-chose et que dans quelques jours, on n’en parlerait plus.
— Eh bien, vous direz à votre ami qu’il est un imbécile. Les Chinois n’ont pas confiné soixante millions de personnes juste pour leur faire prendre des vacances.
— Vous entendez, Gérald ? demande innocemment cette ordure de Charles en se penchant vers moi. Votre voisine pense que vous êtes un imbécile. Qu’est-ce que vous en dites ?
—Ah ? C’est vous, l’ami bien informé ? dit la grosse. »
Pas gênée pour deux sous, elle me regarde d’un air de défi. Les autres, fourchette en l’air, attendent que je réagisse à l’insulte. Mais j’ai l’habitude de ce genre de situation et, olympien, je dis calmement :
« Chère Madame, tout d’abord, vous pensez ce que vous voulez, mais rien ne m’empêchera de croire que vous dites cela parce que vous êtes chinoise, ou d’origine. Ensuite… »
Mais elle m’interrompt :
« Je suis née à Argenteuil, Monsieur, d’une mère bordelaise et d’un père polonais. Il s’appelait Wudarski. D’où le nom de scène que j’ai choisi : Wu. Dans mon métier, les noms d’extrême orient se portent mieux. C’est ce qui a dû vous tromper. C’est excusable. Mais à part ça, je n’ai rien de chinois.
— Peu importe, dis-je, balayant cet argument. (…)
*
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Blind dinner
Un « Blind dinner », c’est un dîner un peu particulier dans lequel les invités ne se connaissent pas. Dans les beaux quartiers, c’est très à la mode. Renée, la maitresse de maison, trouve cela très chic et parfois follement drôle. Mais ce soir là, quand on a commencé à parler d’un mystérieux virus venant de Chine, le diner a vite tourné au vinaigre.