LES FLEURS JAUNES (Extrait)

 Un homme avec des fleurs ?
Le plus empoté, c’est l’homme.
Antoine Blondin

En rentrant de la rue de Rennes, il y a quelques jours, je me suis rappelé brusquement la promesse que je m’étais faite la veille, offrir des fleurs à ma femme. Je n’avais pas pu le faire sur le moment, celui où j’avais conçu le projet, forcément, parce que, ce jour-là, nous étions le dernier lundi du mois d’août. Alors vous pensez ! Lundi + mois d’août = zéro fleuriste. Normal ! Contrariant, mais normal.

Si je dis « nous étions« , ce n’est pas parce que je me prends pour le roi des Belges. Quand je dis « nous étions« , quand je parle à la deuxième personne du pluriel, c’est par pure politesse, parce que vous pensez bien que, où vous étiez, vous, à ce moment-là, je m’en fiche comme de ma deuxième (je dis ça parce que, la première, il parait qu’on s’en souvient toujours).

Donc, je suis du côté de la rue de Rennes, on est mardi — tout le monde est mardi — et bien qu’en août, j’ai des chances de trouver un sacré foutu fleuriste ouvert. Et, de fait, au coin de Raspail et de Vaugirard, il y a un sacré foutu fleuriste ouvert. Sur le trottoir, il y a des seaux avec dedans des tas de petits bouquets, tout prêts, de toutes les couleurs. Des fleurs jaunes ! C’est des fleurs jaunes qu’il me faut ! Elle aime beaucoup les fleurs jaunes. Je le sais parce que la dernière fois que je lui ai apporté un bouquet, elle m’a dit « Oh ! Comme c’est gentil ! J’adore les fleurs jaunes ! » Enfin, elle ne l’a peut-être pas dit exactement comme ça, mais c’était bien ce que ça voulait dire. J’ai du mal à me rappeler ses mots, exactement, parce que ça fait bien vingt, vingt-cinq ans que c’est arrivé. J’espère qu’elle n’a pas changé de goût depuis. Parce qu’il faut faire attention avec les femmes. Ça change d’avis comme qui dirait. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi on disait ça, comme qui dirait. Moi, pour la même chose, je dirais plutôt « comme de chemise« , mais pour une femme ça ferait beaucoup trop de chemises. Alors, va pour « comme qui dirait« .

Donc, des fleurs jaunes. J’en prends trois bouquets tout prêts, parce que, quand on offre des fleurs, il ne faut pas y aller avec le dos de la cuillère ; il faut y aller franchement. Avec mes trois bouquets, je rentre dans la boutique et je demande au patron qu’on m’en fasse un seul. Il les attrape et, sans me regarder, il me lance : « C’est pour offrir ?

— Non, c’est pour manger tout de suite, connard ! »

Non, en vrai, je n’ai pas dit ça. J’aurais bien voulu lui faire une réponse de ce genre, une réplique à la Jean-Marie Bigard. Tout le monde rit quand Bigard dit quelque chose comme ça, lui. Mais moi, quand j’essaie, ça ne marche jamais. Ça tombe à plat. Ou pire. Alors, je préfère m’abstenir. D’ailleurs, en fait, je n’ai jamais essayé.

Donc, je ne lui pas dit « Non, c’est pour manger tout de suite, etc.… », mais seulement : « Oui, si c’est possible… » N’empêche ! « C’est pour offrir ? » Quelle question idiote ! Évidemment que c’est pour offrir ! Ce n’est pas pour mettre à ma boutonnière ou pour me souhaiter mon anniversaire ! Connard ! J’ai vraiment envie… mais bon… alors, bien poliment : « Oui, Si c’est possible… »

Et me voilà reparti vers chez moi,(…)

Ces quelques lignes forment le début de l’une des nouvelles qui composent mon dernier recueil publié depuis quelques jours chez Amazon.fr sous le titre « Les trois premières fois et autres nouvelles optimistes ». 

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