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(…) Les enquêtes farfelues de l’inspecteur avaient fait ses délices d’étudiante dans sa petite chambre chez les Soeurs Augustines de Poitiers. Après, lui dit-t-il, son style avait évolué plus par lassitude que par volonté mais il connut alors la célébrité avec Les Corneilles du Septième Ciel aux multiples récompenses. Françoise l’avait lu aussi et lui demanda :
– Mais l’histoire se passe en Afrique, n’est-ce pas ? Vous connaissez donc l’Afrique ?
Chapitre XIV
Au début de sa première vie d’ingénieur, son entreprise avait été missionnée pour reconstruire après un incendie une ferme que possédait au pied du Ngong une femme d’origine scandinave. Ce n’était pas la vue de sa chambre d’étudiant à Vincennes donnant sur la fosse aux lions du zoo qui l’avait incité à partir au Kenya. Non, au départ, ce jeune ingénieur frais émoulu de la célèbre Ecole des Ponts et Chaussées dont il énumérait en guise de présentation tous les termes un à un en séparant et en martelant chaque syllabe pour qu’on comprenne bien de quoi il s’agissait (ce qui en énervait plus d’un), s’y rendit pour diriger les travaux de reconstruction. Edward, alors jeune et surtout enthousiasme, se mit au travail et la ferme retrouva son éclat au bout d’à peine un an. La propriétaire, de l’âge de sa grand-mère, ne fut pas insensible à sa jeunesse, à son dynamisme, à son efficacité et peut-être aussi à autre chose que sa modestie ne révéla pas à la jeune femme. Pour preuve de sa reconnaissance, elle se montra fort généreuse envers son prince charmant à qui elle permit de visiter les grandes réserves africaines pendant une année entière. Après avoir sillonné ce pays qui lui plaisait, il finit par y planter sa tente, mais pas dans la brousse.
Comme la pendule avait tourné, il lui proposa de poursuivre leur conversation (plutôt son monologue, pensa Françoise) chez Fernand, un restaurant situé à deux pas dont il appréciait plus que la cuisine la serveuse brune, un peu trop maigre mais au sourire désarmant. A l’occasion, elle était modèle chez son ami le peintre Michel Five qui lui avait vanté son corps de rêve. Ce détail n’avait pas excité que son imagination.
D’habitude, Edward ne brillait pas par sa modestie mais, cette fois-ci, il ne voulut pas effaroucher une jeune provinciale ne connaissant du monde, croyait-il, que la campagne, les vaches et des paysans arriérés. Toujours est-il qu’il minimisa ses exploits dans la brousse. Des lions, oui, il en avait vu beaucoup mais la plupart du temps à la jumelle. Par leurs tailles, les éléphants et les hippopotames posaient moins de problèmes de repérage. Il prétendit même avoir été plus guide que chasseur alors que, comme le raconta son ami Louis-Charles sur un plateau d’Apostrophes consacré aux safaris en Afrique, il avait été un redoutable tueur de fauves que les présidents de la République, les rois et les tyrans du monde entier s’arrachaient à prix d’or. Aujourd’hui rangé des affaires et auréolé de ses succès en librairie, il coulait des jours paisibles aux terrasses ensoleillés des cafés parisiens. Peu à peu, Françoise acquit la conviction que son discours logorrhéique et son sourire enjôleur avaient peut-être d’autres objectifs que de flatter son amour propre.
Le repas se termina fort tard et Edward la raccompagna chez un ami de son père, notaire rue du Cherche Midi. A plus de 80 ans, cet homme chaleureux, gai, modeste, ne circulait dans Paris qu’à vélo et sans casque ce qui lui semblait peu raisonnable. Dans sa chambre, Françoise s’imagina désormais à la tête de deux soupirants de sexe masculin dont le charme l’emportait sur celui de Bernard. Grâce à l’efficacité de son psychanalyste, sa curiosité s’orientait maintenant vers le sexe opposé, sans jeu de mots. Elle constata aussi que ses hypothétiques prétendants prénommés Philippe avaient tous les deux un âge et une calvitie avancés. Cette dernière curiosité l’intrigua et elle se promit d’en demander la signification à son ex-psy qui la courtisait, lui aussi, depuis qu’elle était chef de clinique en Neurologie au CHU de Poitiers. Dans son escarcelle de prédatrice, elle envisagea de mettre une troisième victime, un photographe rencontré sur les quais.
A SUIVRE