Les corneilles du septième ciel (10)

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(…) Une fois n’est pas coutume, les séances s’avérèrent bien plus pénibles pour le médecin que pour le patient. D’ailleurs, son analyste abandonna rapidement tout espoir de le sortir de son trou noir en expansion continue, au propre comme au figuré. Franck, de son côté, ne perçut jamais la résignation de son médecin elle aussi en expansion continue.

Chapitre X

Françoise était parvenue à la même conclusion que Philippe mais elle identifiait sa situation plutôt à celle de Jules et Jim, un autre chef d’œuvre cinématographique. A la place des personnages masculins de ce film, elle avait sous la main, d’un côté un psychanalyste chauve un peu plus âgé qu’elle qui avait le mérite de l’avoir sortie de son impasse sentimentale, et de l’autre, un écrivain lui aussi chauve encore plus âgé, certes, mais aussi plus séduisant, qu’elle avait confondu avec Didier Blonde. Objectivement, cette alternative n’aurait pas du enthousiasmer une provinciale, même un peu romantique et même originaire du Massif Central. Elle se demanda d’ailleurs ce qui pouvait bien l’attirer chez les chauves.

Plongé quotidiennement dans les affres de la création littéraire, le faux Blonde avait lui aussi tâté de l’expérience psychanalytique. En réalité, il y avait été contraint par son épouse qui en avait par-dessus la tête de subir ses sautes d’humeur, ses projets irrationnels et ses ambitions avortées. C’est avec le psychanalyste exerçant le plus près de chez lui, non pas pour économiser les tickets de bus mais pour gagner du temps, qu’il débuta une analyse dont il se lassa encore plus vite que lui. Dès le début, il s’était demandé quelle pouvait être l’utilité d’une analyse pour un écrivain dont la démarche lui semblait la même. En effet, l’analysé, trop heureux d’intéresser quelqu’un d’autre que sa maman, ne voulait sous aucun prétexte interrompre ce dialogue à sens unique dont il était à la fois le narrateur et le héros. Il avait l’illusion de séduire son analyste ce qui le flattait et le valorisait. Pour que dure cette relation gratifiante, l’analysé, à cours d’idées après avoir épuisé son sujet, à savoir lui-même, n’avait d’autres solutions que d’inventer une suite imaginaire à sa vie pour continuer de capter l’attention de son thérapeute. Le faux Blonde y avait vu d’emblée une similitude avec son activité d’écrivain qui, elle aussi, devait inventer chaque jour une suite à son histoire fictive, non pas pour plaire à son analyste, mais plus prosaïquement pour faire avancer une intrigue dont il était l’initiateur et pour intéresser ses lecteurs. Trouvant les deux démarches redondantes, il décida en toute logique économique de supprimer la plus onéreuse.

Au Flore, Françoise et Philippe ne se quittaient pas des yeux. Qu’allaient-ils faire, conscients tous les deux qu’une troisième rencontre due au hasard n’avait aucune chance de se reproduire. Florence était timide et ne trouvait pas de solution. Le romancier avait appris de ses confrontations avec les animaux de la brousse que toute tergiversation dans les manœuvres d’approche, avec ou sans fusil, était inutile et risquait de se retourner contre lui.

Mais comment ne pas passer pour un vieux gigolo alors que ses sentiments envers la jeune fille étaient purs bien qu’intéressés ? Il n’était motivé que par une seule chose : faire sa connaissance pour donner corps à l’héroïne de son prochain roman. Rien de sexuel là dedans, comme il le répéta au commissaire chargé de l’interroger après la disparition de Françoise.

FIN DE LA PREMIERE EPOQUE

Ne vous inquiétez pas, les Corneilles reviendront dimanche prochain. 

 

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