Les corneilles du septième ciel (4)

temps de lecture : 4 minutes 

(…) Ils n’étaient que trois ou quatre étudiants à écouter dans des salles lugubres à la propreté douteuse un professeur résigné qui tentait de leur enseigner la hiérarchie complexe au sein de l’armée de Nabuchodonosor, alors qu’elle, ce qui la passionnait, c’étaient les amours incestueuses à la cour de Babylone. Allant à l’encontre des conventions universitaires de l’époque, elle entreprit une thèse sur ce sujet qui fit grand bruit par son audace et le rejet des tabous. L’homosexualité y était omniprésente et c’est peut-être pour cette raison qu’elle se retrouva plus tard dans les bras de Françoise.

Chapitre IV

D’abord pensionnaire au collège Sainte Cécile de Poitiers, Françoise bénéficia à son entrée en Faculté de Pharmacie d’une chambre dans un foyer pour étudiantes tenu par les Sœurs Augustines. Bien que le docteur Philippe C. ne prenait que rarement la parole, il la questionna souvent sur les comportements de ses camarades de dortoir. Françoise, qui n’en avait jamais parlé à personne, évoqua avec réticence ces souvenirs pénibles. Au début, il y avait eu les baisers sur la bouche, sans, puis avec la langue, pour apprendre à les faire le mieux possible avec les garçons. Telle était raison avancée par les plus anciennes. Ensuite ce furent des caresses sur les seins, puis ailleurs, toujours pour préparer l’avenir. La grange du Père Ménard et l’objet cramoisi de Bernard lui revenaient en mémoire avec le même dégoût. Aucune de ces pratiques entre filles ne lui procura le moindre plaisir. Elle s’y plia pour faire comme les autres mais de mauvaise grâce et en fermant les yeux.

Malgré leur origine modeste dans les alpages autour de Saint Flour, monsieur et madame Maignan avaient fait fortune et rêvaient de voir leur fille reprendre leur pharmacie et ses revenus conséquents. Françoise n‘avait d’ailleurs jamais envisagé faire autre chose que Pharmacie pour leur succéder dans l’officine de Joigny.

Un souci grandissait cependant dans la tête de sa mère : Françoise ne parlait jamais de mariage et ne leur avait jamais présenté de petit copain, ce qui, à son âge, était curieux. Inquiète et ne sachant comment aborder ce sujet  avec elle, elle multipliait leurs rencontres pour des motifs fallacieux comme ses prétendus problèmes de santé qui n’en étaient pas. Françoise revenait régulièrement la voir mais ne parlait jamais de sa vie privée. Pire, elle évoqua un jour devant ses parents médusés son bonheur récent à l’UCPA en compagnie d’une fille …

Françoise avait fait de brillantes études secondaires et obtenu son bac à seize ans. Cet exploit était fort apprécié des parents de l’époque mais il avait un revers pour les jeunes lauréats : leur immaturité leur faisait souvent choisir une voie qu’ils regrettaient par la suite. Quand elle fit la connaissance d’Annick, Françoise avait déjà pris sa décision : elle ne voulait plus être pharmacienne comme ses parents, mais médecin comme le docteur Philippe, son psy depuis quelques mois. Ce dernier en fut accablé. Sa patiente ne présentait à son avis aucune amélioration significative malgré ses allusions destinées à réhabiliter les tentatives infructueuses de Bernard. En plus, avec ce changement d’orientation professionnelle, les rapports de Françoise avec ses parents allaient devenir problématiques et il s’attendait donc au pire.

A cette époque, faire des études de médecine n’était pas compliqué  mais long, dix ans au minimum. De l’avis de son thérapeute, Françoise cumulait plusieurs handicaps : elle avait déjà 22 ans, elle préférait les filles, elle avait la phobie des zizis de garçons et elle n’était pas insensible au charme des vieux messieurs assis devant leur ordinateur éteint aux terrasses ensoleillées des cafés parisiens. En plus, elle avait été traumatisée dès son plus jeune âge en ouvrant tous les matins ses volets sur le visage hideux d’un poilu qui n’en finissait pas d’agoniser. Heureusement, se disait le docteur Philippe C. pour se réconforter, elle n’allait plus à confesse, ce dont il s’attribuait le mérite. A tort. En réalité, Françoise n’allait plus se confesser ni à la messe parce qu’elle avait découvert le jogging qu’elle pratiquait intensément et justement le mercredi soir, jour des confessions, et le dimanche matin, jour de la messe.

A SUIVRE 

 

Une réflexion sur « Les corneilles du septième ciel (4) »

  1. Il faudra donc que je prêche le ‘jogging’ (à défaut de le pratiquer) pour bien remplir mes fonctions de prosélyte de l’athéisme!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *