Rendez-vous à cinq heures dans un tunnel

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Le tunnel des arts
par Lorenzo

En vertu des pouvoirs  qui m’étaient conférés il y a déjà un bon moment mais dont je me rappelle quelques bribes, je me permets de t’adresser, cher Philippe, cette lettre en forme d’ordonnance. Surtout, je t’en supplie, ne va pas là où je suis allé aujourd’hui. Ton âge et surtout ta sensibilité démesurée ne pourraient s’accommoder d’un tel spectacle et le pire serait à craindre comme un geste criminel visant le département culturel de la Mairie de Paris ou un suicide spectaculaire du haut de la Tour Eiffel. Nous souhaitons tous, ta famille, tes amis, et même certains lecteurs de ton blog, qu’un sort aussi funeste te soit épargné. Donc, parmi les innombrables balades possibles dans Paris, évite de t’aventurer dans ce bouge.

Rappelle-toi, il y eut jadis un tunnel qui passait sous le Louvre en longeant le quai de la Seine rebaptisé quai François Mythe. Il était non seulement fort pratique pour les déplacements en automobile mais aussi d’une rare beauté quand on découvrait à sa sortie le spectacle merveilleux du Pont Neuf avec le Conciergerie en arrière-plan. T’en souviens-tu ? Hélas, dans les années deux mille, on supprima l’accès aux automobiles pour ne le réserver qu’aux cyclistes d’abord le dimanche matin puis bientôt toute le semaine et même plus tard définitivement. Comme toi, je pensais sérieusement qu’on ne pourrait pas aller plus loin dans la démagogie et la pénalisation des parisiens obligés pour des raisons professionnelles ou d’âge d’utiliser ce mode de transport polluant et bourgeois qu’on appelait, je crois, l’automobile. Eh bien si, cher Philippe, on a réussi à aller encore plus loin ! J’aurais comme toi tendance à dire que l’amère de Paris (attention, ne me fais pas dire ce que je n’ai pas osé dire), l’amère de-de Paris, donc, y est pour quelque chose et on se demande jusqu’où elle repoussera les limites de la bienséance car il me parait dépassé de parler d’esthétique ou de beauté. Non, pour elle, il ne semble pas exister de limites à la vulgarité

Donc, je flânais sur les quais rive droite. Je me fraye un passage parmi les piétons, les enfants et les engins à deux roues qui semblent ignorer qu’ils ne sont pas les seuls usagers de cette voie sur berge. Arrivé à sa fin théorique après le Pont Neuf, là où depuis un certain temps l’accès au tunnel du Louvre semblait fermé à jamais par une grille d’une rare solidité, quelle ne fut pas ma surprise de constater que cet accès était à nouveau ouvert à tous. D’abord, un  panneau nous informait de sa nouvelle destination : c’est devenu une galerie d’art contemporain. Au cas où tu l’ignorerais l’art contemporain, selon les édiles culturels de la capitale, se résume apparemment aux tags. Donc tu découvres dans la pénombre du tunnel des tags géants qui tapissent les murs de haut en bas. Ta surprise dépassant ta réticence proverbiale au street art, tu t’aventures un peu plus loin au risque de recevoir le premier engin à deux roues qui débouche violemment puisque c’est autorisé sans limitation de vitesse. On dirait que c’est à celui qui ira le plus vite possible, seul ou en meute et toujours sans casque ni avertisseurs. Bon, il est vrai que toi qui as un solide bagage scientifique d’ancien ingénieur des Pompons, tu aurais sûrement compris bien avant moi que la voie avait été séparée en deux parties : celle de gauche réservée aux dits engins avec deux sens et celle de droite réservée aux piétons amoureux de la peinture moderne. Cette découverte cruciale quoique tardive m’a permis de parvenir à l’autre extrémité du tunnel ce qui aurait été compromis si j’avais persisté à emprunter la voie réservée aux engins à deux roues.

Certain que tu ne croirais pas un mot de mes descriptions les plus précises et les plus impartiales, j’ai fait des photos. Je te rassure, j’ai photographié ce que j’ai trouvé de moins moche, c’est-à-dire pas grand-chose. Moi qui suis pourtant converti depuis peu à la peinture moderne, Picasso compris, je dois reconnaître que là je n’arrivais pas à me persuader qu’il s’agissait de peinture et encore moins d’art.

Lorenzo dell’Acqua

Une réflexion sur « Rendez-vous à cinq heures dans un tunnel »

  1. Oui l’entrée de ce « passage des arts « est visible de l’unique voie de circulation, toujours bloquée à cet endroit: j’ai cru à un tagage sauvage, mais non c’est bel et bien avec l’accord sadique de la Mairie que ces horreurs ont droit de cité…
    Consternant , humiliant, ce mauvais goût imposé , au propre et au figuré d’ailleurs: car nul doute qu’une ligne de crédit ait été ouverte dans l’océan de déficit de la Mairie , pour sacraliser l’enlaidissement
    constant et ravageur de Paris.

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