Avatar, la voie de l’eau- Critique aisée n°248

temps de lecture : 8 minutes (oui, c’est long, mais le film fait 3 heures)

Critique aisée n°248

Avatar, la voie de l’eau
James Cameron – 2022

Le nouveau cinéma

Le nouveau cinéma est arrivé. Ce n’est pas une nouvelle Nouvelle Vague, ce n’est pas une nouvelle façon de faire du cinéma. C’est une nouvelle façon de voir un film, une nouvelle façon de le choisir, de payer, d’accéder, de s’asseoir, de regarder.
Ce nouveau cinéma, c’est le cinéma Pathé de la rue d’Odessa à Paris qui vient de rouvrir ses portes après des mois de travaux. D’abord, mais ce n’est pas l’essentiel, un hall d’entrée vaste, bleu sombre et froid, sans guichet. Si vous n’avez pas réservé en ligne, il va falloir vous colleter avec un robot convivial pour choisir votre film, votre heure, votre siège, votre réduction, votre coca-pop-corn, votre abonnement, votre moyen de paiement, et c’est fait ! Vous n’avez plus qu’à scanner votre téléphone à l’entrée d’un portillon de verre, prendre l’escalier mécanique et pousser la porte de la salle. Et là, le paradis du spectateur apparaît à vos yeux étonnés : un écran immense devant une dizaine (seulement) de rangées légèrement incurvées de sièges de rêve, des fauteuils-club qui vous feront immanquablement penser à ceux d’une cabine classe affaire d’un avion intercontinental : largeur, confort, dossier inclinable, repose-pieds déployable et réglable. Le premier rang est même constitué de sièges en forme de méridienne, quasiment des lits !
Bon ! Tout cela coûte 18,50 euros mais, expérience faite avec un film de trois heures, croyez-moi, ça vaut chaque centime dépensé.

Les nouveaux spectateurs

Ils se sont installés comme s’ils prenaient l’avion. Ils sont arrivés en couple, se ressemblant. Vingt-cinq ans tous les deux. Lui un peu enveloppé, un peu barbu, un peu massif, sac à dos, engoncé dans une grosse veste en grosse laine probablement des Andes, gros pull jacquard, gros bonnet en laine pelucheuse marron, gros cornet de pop-corn dans les mains et bouteille de plastique avec liquide orangé. Elle, manteau trois quart en grosse laine écrue du Bouthan, large ceinture de toile bleu marine, bonnet de laine blanc à petites étoiles bleues, large pantalon brique enfoncé dans les bottes, petite valise métallique à roulettes, bouteille de plastique avec liquide rose indéterminé.
Ils m’ont fait enlever le duffel-coat que j’avais posé sur le siège à côté du mien et ils ont commencé à s’installer. Et ils l’ont fait comme s’ils arrivaient dans une cabine d’avion pour une traversée de l’Atlantique de sept heures. Debout dans l’allée, tranquilles, ils ont déposé leurs bagages contre le dossier des sièges devant eux, ils se sont dépouillés d’une bonne partie des couches de vêtement qui les enveloppaient et les ont disposés sur leurs fauteuils ou sur l’accoudoir qui les sépare. Ils ont placé leurs boissons et leurs nourritures dans les logements prévus à cet effet et se sont enfin effondrés à leur place respective. Après avoir joué quelques instants avec les boutons de réglage de l’inclinaison des dossiers et des repose-pieds, ils ont commencé à échanger leurs impressions, tandis que la salle s’assombrissait et l’écran s’éclairait pour lancer le générique.
Je dois à la vérité de dire que pendant tout le film, il n’ont pas échangé un mot, du moins pas de façon audible. Par contre, à cette même vérité, je dois aussi qu’ils ont bu et bouffé des pop-corn pendant trois heures, avec ce que vous imaginez que cela comporte en termes de sons et d’odeurs.
Les nouveaux spectateurs sont arrivés.

Le nouvel Avatar

Le nouvel Avatar est arrivé. C’est pour ça que je suis allé le voir au cinéma Pathé de la rue d’Odessa. C’est pour Avatar 2 que j’ai accepté de payer 20,50 euros, supplément technologique inclus, me disant qu’avec trois heures de film, c’était le moment ou jamais d’essayer les nouveaux fauteuils. Et, non, rien de rien, non je ne regrette rien, pompom – pompom…

Avatar 2 ou, plus exactement, Avatar, la voie de l’eau est la suite d’Avatar, le blockbuster de James Cameron, sorti il y a treize ans, qui m’avait enthousiasmé . A cette époque obscurantiste où le Journal des Coutheillas n’existait pas encore, je n’avais pas expliqué pourquoi j’avais tant aimé Avatar. Je le dirai sans doute aujourd’hui.

D’abord, il faut savoir, et aussi comprendre, ce qui n’est pas toujours la même chose, qu’Avatar est un phénomène exceptionnel dans l’histoire du cinéma. D’abord, son coût et sa rentabilité :
Avatar 1 – 2009 – 162 minutes – coût 237 millions $ – recettes à ce jour 3 milliards $
Avatar 2 – 2022 – 192 minutes – coût 460 millions $ – recettes après 15 jours  1 milliard $

Le deuxième épisode de la série ­— il en est prévu 5 en tout — ‘’La voie de l’eau’’ est donc en train de suivre celle du premier. Avec un démarrage pareil, il est même probable qu’elle le dépasse rapidement malgré la désaffection du public pour les salles de cinéma depuis le début de l’épidémie de COVID. Mais toutes ces questions financières nous importent peu. Ce qui nous importe à nous, spectateurs potentiels, ce qui compte pour nous, cinéphiles avertis , ce qui nous questionne, nous esthètes de l’art cinématographique, c’est d’abord connaitre les raisons de ce succès foudroyant et ensuite savoir si elles sont acceptables. Ne s’agirait-il pas une nouvelle fois d’un de ces films Marvels, dont la naïveté des scénarios n’a d’égal que la duplicité de leurs créateurs ? Ne va-t-on pas nous raconter pour la énième fois les exploits de ces créatures d’acier, de caoutchouc, de krypton ou d’acide formique dont l’unique préoccupation est d’asservir le monde ou de le sauver ? Eh bien, non ! Alors pourquoi ce film fait-il déjà courir les foules ?

Pour le savoir, penchons-nous sur les raisons du succès du premier Avatar.

Vous vous souvenez sans doute de l’énorme succès de Danse avec les loups, le superbe film réalisé en 1990 part Kevin Costner. Dans ce film, un officier de la cavalerie américaine, déboussolé par la guerre de sécession et suicidaire, fraternise avec une tribu sioux et découvre une civilisation aux règles simples : honneur, fraternité, osmose avec la nature. Adopté par la tribu, il devient l’un de ses principaux guerriers dans sa lutte contre la cavalerie US dont il a déserté. Une belle histoire, bien simple, et sans ironie de ma part, bien dans l’air de ce temps de contestation de la civilisation moderne. Bien sûr, le succès du film de Costner ne peut être attribué à ce seul scénario simplissime. La photographie était splendide, les anecdotes étaient drôles ou émouvantes, les comédiens (Kevin Costner, l’officier  et Grahame Greene et Rodney Grant, les deux principaux personnages indiens) excellents et la fin, heureuse.
Énorme succès, Oscars et tout et tout…

Eh bien, Avatar, c’est la même chose, ou presque : Un ancien marine est envoyé en tant que mercenaire par un consortium militarisé sur la planète Pandora pour infiltrer la tribu des Na’vi qui s’oppose à l’exploitation des richesses naturelles de Pandora. Très vite, il découvre une civilisation idéale, simple et juste en communication parfaite avec la nature. Il s’y intègre au point d’épouser la fille du chef et devient le leader de la résistance contre les ‘’humains’’.
Grande similitude avec ‘’Danse…’’, n’est-ce pas ?

Mais peut-on parler de remake ou même de plagiat ? Certainement pas, car ce thème des bons indiens résistant de façon désespérée à l’invasion de leurs terres par les colons avec l’aide déterminante d’un renégat, est aussi classique dans l’histoire du Western américain que celui du mari cocu dans le théâtre de boulevard français. Ce thème est une sorte d’exercice de style que chaque réalisateur est libre d’adapter et de traiter comme il l’entend.

La naïveté du scénario, la générosité des intentions, le caractère entier des personnages,  l’ampleur des paysages, les séquences d’apprentissage, les scènes d’action, tout cela fait partie intégrante du genre et est essentiel au succès, car c’est ce que le public de ce genre de films, moi compris, recherche.
Et dans Avatar, on trouvait tout cela.
Quelques différences avec ‘’Danse…’’, cependant : un cadre utopique au lieu d’un cadre historique, un scénario encore plus simple et plus naïf, des personnages encore plus monolithiques, mais aussi des scènes d’action plus violentes, des scènes d’apprentissage plus spectaculaires, une esthétique débridée, une incroyable inventivité permise par la science-fiction.

Des similitudes frappantes, quelques différences dans le traitement, mais l’idée est la même, et le succès aussi, sinon plus grand.

Avatar était un film splendide, ambitieux, à part. Je l’ai vu, surpris, soulevé par les cavalcades de dragons colorés comme des papillons et chevauchés par des géants bleus, fins et adroits, emporté de plaisir et d’émotion comme par une charge héroïque filmée par John Ford, séduit par ces décors de rochers flottants et de villages tressés dans les arbres, subjugué par ces insectes lumineux et enveloppants, attentifs à ces panthères luisantes couleur aubergine, épaté par les matériels de guerre des humains, inquiet pour les Na’vi armés de leurs seuls arcs, … pour tout dire, redevenu un enfant pendant plus de deux heures. Et c’est toujours ça de gagné sur l’âge.
Et, 13 ans plus tard, plein d’espoir et de crainte — espoir d’un plaisir renouvelé, crainte d’une déception — je suis allé voir Avatar 2, Avatar, la voie de l’eau.

Eh bien, après trois heures de projection, je peux vous dire qu’Avatar 2, c’est la même chose qu’Avatar 1, exactement la même chose, le thème, l’histoire, les personnages, les péripéties…
Si vous n’avez pas vu Avatar 1, et si vous n’êtes pas trop blasé, vous aimerez surement Avatar 2.
Si vous avez vu Avatar 1, vous pourrez prendre à voir Avatar 2 le même plaisir que celui que de l’enfant à qui l’on raconte pour une deuxième fois l’histoire qu’on lui a raconté hier soir et qu’il vous redemandera demain soir. Pourquoi donc ? Pour que le temps reste immobile…

Moi, j’ai beaucoup aimé, et je compte bien voir un jour Avatar 3.

 

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