Aventure en Afrique (28)

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Captif ou esclave?

J’ai été perturbé par la rencontre fortuite avec une jeune fille captive dans le Camp du Lazaret. Je n’imaginais pas que cela existait encore de nos jours, la devise de notre pays étant “Liberté Egalité Fraternité” depuis deux siècles (abolition de l’esclavage: le 4 février 1794).

Henri et Bernard nous avait dit qu’un de leur collègue du Service du Cadastre était ingénieur géomètre, mais en tant que descendant d’esclaves, bien qu’affranchi, ne pouvait donner aucun ordre à quiconque y compris à une femme de ménage. Il devait travailler seul. On lui faisait uniquement calculer les coordonnées géographiques de points particuliers à partir de la position du soleil (faire un soleil). Un grand gâchis pour le pays pauvre en ingénieur. J’ai croisé une autre femme captive dans le camp du Lazaret. Celle-ci était chargée de jouer de la musique avec une sorte de vièle à une corde et avec un archet, appelée “amzad”.

À origine le captif était un prisonnier de guerre, de massacre, de razzia. On en trouvait dans toutes les civilisations, sur tous les continents. Sur le pourtour méditerranéen les captifs issus des marins prisonniers représentaient plus de 50 % des esclaves. Entre le XVIe siècle et le XVIIIe siècle les Européens étaient plus d’un million dispersés au Maghreb. Un captif pouvait être racheté en paiement d’une rançon. Il était alors à nouveau intégré dans sa société d’origine. S’il était vendu, il était réduit en esclavage, véritable bétail humain aux conditions de vie difficiles.

Il existait plusieurs types de captif. Leurs statuts étaient très différents.

  • Le captif de traite ; captif considéré tout juste comme animal. On en trouvait notamment dans les mines de sel au nord du Niger.
  • Le captif de case, lui, était intégré à une famille. Il arrivait qu’il soit maltraité. La femme captive de case pouvait être une esclave sexuelle.
  • Le captif de couronne : c’était un captif appartenant à chef doté de pouvoirs importants. Il était alors l’homme de confiance du chef, son interprète.
  • Le captif autonome était un individu affranchi, libéré du travail mais redevable.

Un captif ne pouvait pas épouser une femme noble (libre). En définitive la différence entre les deux termes “captif” et “esclave” était bien mince. De nos jours le terme esclave devient politiquement irrecevable. Captif est plus neutre et se distingue de la grande traite négrière.

L’abolition de l’esclavage est inscrite dans la constitution du Niger suite à son indépendance en 1960, mais peu appliquée comme nous allons le voir. En 2003 une l’enquête, rapide et discrète de l’association TIMIDRIA (fraternité en Haoussa) a recensé 870 000 esclaves sur 12 millions d’habitants. La CEDEAO (Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest), créée le 28 mai 1975, définit l’esclavage comme « l’état ou condition d’un individu sur lequel s’exerce des attributs de droit de propriété ou certains d’entre eux ». On retrouve les notions d’usus, d’abusus et de fructus de notre droit français sur les biens ou objets. La rapporteuse des Nation Unies, en mission au Niger, Madame Urmila Bhoola, indique dans son rapport du 21 novembre 2014, de manière très diplomatique, que : « le gouvernement du Niger a pris des mesures significatives pour éradiquer l’esclavage et les pratiques analogues à l’esclavage, mais de nombreux défis restent à relever… ». Ce que ne dit pas cette personne, ou n’ose pas le dire, et que je me permets de souligner est que : les gouvernants, les politiques, les magistrats, les chefs, les notables ou leurs familles sont propriétaires d’esclaves et cela leur est insupportable de voir disparaître cette pratique.

Une autre pratique qui persiste est : “La Wahaye”, la cinquième épouse. Le Coran autorise un homme à avoir au maximum quatre épouses, mais il est toléré qu’il épouse une cinquième femme de statut captif “après acquisition”, ce qui la libérera. Ses enfants ne seront plus captifs et auront le même statut que ceux des quatre premières femmes. Dans les années 2000, une jeune nigérienne de 24 ans Adidjatou Mani Koroua a eu le courage d’intenter une action judiciaire contre son maître et a gagné en première instance. Ce dernier a fait appel et elle a été déboutée. Selon le rapport de l’ONG Anti-Slavery International : la jeune femme achetée par un homme de 46 ans à l’âge de 12 ans (pour la somme de 366 €), violée à 13 ans, devenu la cinquième épouse, a vécu dans un état de « soumission totale »pendant plusieurs années. Forcée à travailler au foyer et dans les champs de son maître, subissant des violences sexuelles, elle a donné naissance à trois enfants dont deux ont survécus. Elle a même été emprisonnée pour bigamie lorsque son maître s’est opposé à un mariage librement consenti avec un autre homme. La victime s’est pourvue jusqu’en cassation, et a été condamnée à de la prison ainsi que son frère et le président de l’association Trimidria, qui l’avait soutenue. L’association a saisi la Cour de Justice de la CEDEAO, qui a rendu son arrêt le 27 octobre 2008. L’Etat du Niger a été accusé d’être : «Responsable de l’inaction de ses services administratifs et judiciaires dans une affaire d’esclavage…». En réparation la plaignante a reçu 10 millions de FCFA (15 000 €). Cet arrêt, dit Madijtou, a eu un retentissement en Afrique de l’Ouest et a fait l’objet d’articles dans le journal “Le Nouvel Afrik“ : « le Niger complice d’esclavage ». La revue Québécoise de droit international a publié un article fin 2008 intitulé : « La réponse internationale de l’esclavage. La leçon de l’arrêt de la CJCEDEAO dans l’affaire Madjatou Mani Koraou contre le Niger (27 octobre 2008) ». Cette affaire a fait jurisprudence auprès de la toute jeune juridiction qu’était alors la CJEDEAO.

Pendant ce temps nos grands philosophes, nos politiques jusqu’au plus haut niveau prêchent la Repentance et déboulonnent des statuts. Alors que c’est l’Histoire de notre pays, avec ses aspects négatifs. Sous Jacques Chirac la loi Taubira (du 21/05/2001) a été adoptée et a reconnu la traite et l’esclavage en tant que “crime contre l’humanité“. Ne pourrait-on pas faire la même chose avec le massacre des huguenots au XVIème siècle par exemple ?

Par contre pas un mot, pas une action pour ce qui se passe actuellement à travers le monde. Il faut un peu de courage pour dénoncer cela. Que nos grands donneurs de leçons ouvrent les yeux. D’après un article du Monde du 28 septembre 2019, selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT) il y aurait à travers le monde 40 millions esclaves dont 70 % de femmes et 25 % sont des mineurs. Le record serait détenu par la Mauritanie où ils représentent 4% de la population. Il faut croire que l’on ferme les yeux pour ne pas se fâcher avec les pays amis, cela pourrait avoir une incidence sur les relations économiques ! D’après la fondation Wahl Free il y aurait actuellement 8500 esclaves en France !

 

2 réflexions sur « Aventure en Afrique (28) »

  1. Fini le folklore…Nous suivions avec plaisir le parcours d’un jeune géomètre en Afrique, enthousiaste et curieux des us du continent noir.
    Aujourd’hui, réflexion passionnante et glaçante sur la réalité de l’esclavage….
    Loin des clichés habituels des redresseurs de tort béats, la réalité est comme toujours plus complexe et pas réductible, à un raisonnement binaire….

  2. Esclavage immémorial en Afrique,
    Esclavage encore vivant il y a 50 ans, un ingénieur-esclave qui n’a pas le droit d’adresser la parole à une femme de ménage libre, et bien pire…
    Esclavage toujours présent aujourd’hui : 40 millions d’esclaves dans le monde…
    Incroyable…

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