Un garçon de laboratoire (1/3)

temps de lecture : 5 minutes 

Il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages.
 Antoine Blondin

Première partie

Je pouvais vraiment pas savoir que ça allait tourner comme ça, moi ! J’avais juste répondu à une petite annonce du Quotidien de Ploucville-les-Bains, une petite annonce toute simple : « Recherchons garçon de laboratoire. Bonne santé. Pas de qualification particulière. Emploi stable et bien rémunéré. Contacter le Journal qui transmettra ». Ça tombait bien, cette annonce : je n’avais aucune qualification particulière, j’avais un gros besoin d’argent et un peu de stabilité me ferait surement pas de mal. Faut dire que ces derniers temps,  j’avais vraiment pas eu de chance.

J’explique : je venais juste de trouver un boulot de livreur de fast-food à domicile. Attendez ! C’est pas ça, le coup de pas de chance. Le boulot, c’est pas forcément le bonheur, rarement même. Mais livreur de bouffe à domicile, c’est super comme job. On travaille quand on veut et on se nourrit sur la bête. Bon, bien sûr, quand on livre une pizza, c’est pas évident d’en piquer un bout sans que le client se mette à gueuler au charron, mais quand c’est une salade César ou un hamburger-frites ou des sushis… non, pas les sushis… les sushis, j’ai pas trop confiance, on sait pas vraiment comment c’est fait, les sushis, et puis y a des restaurateurs qui mettent n’importe quoi dedans, les salopards ! Alors, les sushis, j’évite… Mais c’est à la mode, et quand il y a pratiquement plus que ça qui se vend, qu’est-ce que vous voulez, faut bien qu’on mange. Mais pour le reste, les hamburgers-frites, les nuggets, tout ça, c’est tout bon ; suffit d’un peu de souplesse dans le poignet, d’un minimum de modestie dans le prélèvement, et hop ! Ni vu ni connu, t’as diné.

Non, mon manque de bol quand j’avais trouvé ce boulot, c’est que j’avais pas de scoot. Attendez ! Que j’aie pas de scooter, c’était pas ça, le manque de bol. D’abord, des scoots à moi, j’en ai jamais eu. Mais on peut toujours se débrouiller pour en avoir un : on l’emprunte à un pote ou on le chourave à un plouc. Suffit pour ça d’un peu de baratin ou d’un peu d’entrainement à la cisaille de tôlier. Non, l’ennui, c’était que le scoot que je venais de piquer, un petit voyou me l’avait repiqué illico. Plutôt un contretemps pour faire des livraisons à domicile, pas vrai ? Donc, bye-bye le boulot de livreur et ses avantages en nature.

Alors, avant de tomber sur l’annonce, j’avais fait un peu la manche à la sortie de la Grand-messe, et deux ou trois fois au restaurant, je m’étais barré sans demander l’addition. Le plus dur, c’est quand il a fallu que je vende mon blouson en daim, à franges, celui-là que j’avais trouvé au cul d’un camion. Dans tout ça, le problème c’est que, petit a), la Grand-messe, c’est qu’une fois la semaine, que petit b), y a pas assez de restos à Ploucville pour me nourrir gratos pendant plus de deux jours, et que petit c), sans blouson à franges, j’ai l’air d’un plouc.

Donc, quand j’ai vu l’annonce, j’ai sauté dessus en me disant que pour moi, c’était fini la poisse. Pensez, garçon de laboratoire ! J’aurai une blouse blanche avec un stylo Bic quatre couleurs dans la pochette, je ferai des piqures et des prises de sang à des tas de gens, peut-être même à des jolies filles ou à des bourgeoises en demande. Ça, les picouzes, je sais faire, et plutôt bien, même ! C’est ce que me disait Robert — on l’appelait Bob l’Épave — quand on squattait tous les deux à Vazeux-sur-Mer il y a trois ans: « Jojo, c’est bien toi le roi de la seringue ! » L’expérience des picouzes, le bon salaire, la blouse blanche, le prestige, les femmes, il était fait pour moi, ce job. Ils pouvaient pas ne pas me le donner. Ça serait la grande vie ; peut-être même que j’aurais plus besoin de les piquer, mes scoots, je pourrai m’en acheter un, un chouette, un customisé même.

Voilà ce qu’en marchant vers le 37 avenue Fraises-Melba dans la Zone d’Activité Jean-Marie Bigard à Ploucville-les-Bains, je me disais, tout content, tout confiant. Mais est-ce que je pouvais savoir que ça allait tourner comme ça, moi ?

Au 37 avenue Fraises-Melba, y avait un grand bâtiment sans fenêtre tout en béton gris, avec une enseigne qui disait Blanchisserie Industrielle de Ploucville. Devant, sur le parking, y avait un gros camion tout blanc avec des gars qui déchargeaient des grands sacs de linge et d’autres qui les emportaient vers l’intérieur de l’usine. Je connaissais ce genre de turf : j’avais bossé dedans deux trois jours du côté de Péquenot-sur-la-Touche. Trop gros, trop lourds, les sacs, trop fatigant pour moi. Un soir j’ai fichu le camp sans demander mon salaire. Je m’en foutais pas mal. Faut dire que j’emportais quatre douzaines de bleus de travail à titre de compensation. Le bleu de travail, ça se vend bien à la sauvette sur les marchés à la campagne. Les cul-terreux, y mettent ça le soir pour sortir. Pas croyable… Bon, c’est pas le sujet. Tout ce que je voulais dire, c’est qu’il y avait pas confusion, c’était bien l’adresse et c’était bien une blanchisserie.

« Tiens, bizarre ! que je me dis. Y cherchent un garçon de laboratoire, là-dedans ? Bizarre ! Peut-être qu’ils analysent les produits avant de les utiliser ? Ouais, ça doit être ça : ils ont un labo pour analyser les produits et c’est pour ça qu’ils veulent un garçon de laboratoire. » J’étais un peu déçu, forcément : probable qu’il y aurait pas de picouzes, et par conséquent pas de jolies filles ou de demi-bourgeoises à qui les faire. « Mais bon, que je me dis encore, y aura quand même surement la blouse, le Bic 4 couleurs et le salaire. Et puis ce serait bien le diable si  y’aura pas de temps en temps des bleus de travail à chourer. Et puisque je me suis cassé le tronc à venir jusque-ici, autant aller au bout !» Et paf ! J’y suis allé. Ben oui, quoi ! Je pouvais pas savoir que ça allait tourner comme ça.

A SUIVRE

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