C’était un jour qu’était pas fait comme les autres (3/4)

(…) Je fais le numéro et, bizarre, ça décroche tout de suite. Pas de tut-tut-tut-occupé, pas de Quatre Saisons à la con, tout de suite une voix : « Bonjour, Steeve. Que puis-je pour vous ? »
Qu’est-ce que c’est encore que ce bordel ? C’est pas la voix de seringue de la Vivianne de d’habitude ! Ensuite, comment qu’elle sait que c’est moi au bout du fil ? Et puis d’abord, comment elle connaît mon nom, cette sauterelle ?      

3/4

Bon, on verra ça plus tard. « Passe-moi Verlingue, poupée, et que ça saute ! » que je lui demande gentiment. Et d’une voix plus douce que celle d’une publicité pour couches-culottes, la fille me susurre : « Monsieur Verlingue est dans l’impossibilité de vous parler pour le moment, mais il comprend parfaitement les raisons de votre retard. Soyez assuré qu’il ne vous en tiendra pas rigueur le moins du monde. Vous avez tout votre temps, Steeve, tout votre temps. Puis-je faire autre chose pour vous ? » Tout ce que je comprends de ce charabia, c’est qu’il est devenu gâteux, Verlingue. D’après la donzelle à la voix d’or, cette salope de garde-chiourme me donnerait tout mon temps pour arriver au bureau ! J’y crois pas ! C’est bien plus que du bizarre, ça ! C’est du pas possible, tout simplement. Mais après tout, je me dis que ce qui est dit est dit et que ce serait naze de pas profiter de ma journée.

Bon, je raccroche le bigophone, et je vais pour sortir du Balto. Comme je suis pas rancunier et que le loufiat a été plutôt sympa,  je lui lance un amical : « Allez, salut, Gugusse, et bonjour à Mao ! » Pendant que la porte se referme, je l’entends qui me répond : « Merci pour votre visite, Monsieur Steevie, et revenez quand vous voulez ! » Ça, ça m’agace. Alors je peux pas m’empêcher de lui rétorquer en claquant la porte : « Manquerait plus qu’y faille une invitation, gros lard ! »

Et voilà que je me retrouve devant l’arrêt-de-bus-sapin-de-Noël. Ça fait quand même beaucoup de trucs bizarres tout ça, que je me dis : on peut pas prendre le métro parce qu’il y a des tombereaux de fleurs devant, et l’arrêt du bus, c’est un sapin de Noël ! Sans compter le Verlingue qu’est devenu une crème, le Chinois qu’est trop poli pour être Chinois, la standardiste à la voix d’or, le connard à la Peugeot, le mec du 13 de la rue Dacauté…

Pendant que je reste planté là devant le sapin à me poser des tas de questions, de temps en temps, il y a des gens qui passent et qui décrochent un petit cadeau et puis qui s’en vont, l’air tout content, leur paquet sous le bras. Moi, j’ose pas, vu que c’est surement un attrape-couillons où un truc comme ça.  Vaut mieux être prudent… avec tout ce qui se passe…

— Vous ne prenez pas votre cadeau, Monsieur Ratinet ?

C’est un mec qui vient de parler, un grand, mince, bien sapé, costume sombre, col roulé blanc, gants de cuir noir, lunettes de soleil, propre sur lui, crâne rasé et tout. On dirait une pub pour Monsieur de Fursac. Et c’est à moi qu’il a dit ça ! Ben oui, Ratinet, c’est mon nom ! Alors, forcément… Mais je sais pas qui c’est, moi, ce type, je le connais pas. Alors pourquoi y me cause ? Et d’abord comment y sait comment je m’appelle, lui aussi ? C’est bizarre, ça, non ? Et pourquoi y veut que je prenne un cadeau sur le sapin ? Alors, je fronce les sourcils, je le regarde par en dessous et je lui dis, l’air méfiant :

— Hein ?

— Prenez votre cadeau, Monsieur Ratinet, comme ça on pourra y aller.

— Hein ?

— Vous êtes bien Steeve Ratinet, né le 29 février 1982 à Guéret dans la Creuse, célibataire, coupeur de chevaux en quatre, demeurant 15 rue Dacauté à Paris ?

— Hein ? Euh, ben… oui.

— Bon, alors, Steeve — je peux vous appeler Steeve ? — prenez un des petits paquets sur l’arbre. Comme ça on pourra y aller. Ma voiture est là, juste devant vous.

— Hein ? Quoi ? Un paquet ? Y aller ? Votre voiture ? Hein ? Quoi ?

— Eh bien oui. Vous prenez votre cadeau de bienvenue sur le sapin, vous montez dans ma voiture et hop ! on y va.

Mais qu’est-ce que c’est que ce mec avec son crane luisant, ses gants de tueur, son cadeau à la con et sa bagnole ? Qu’est-ce qu’y me veut, ce gluge ? C’est la Caméra Invisible ou quoi ?

— C’est la Caméra Invisible ou quoi ? que je lui demande. Parce qu’avec moi, ça prend pas, vous savez ! Ça fait longtemps que j’ai pigé que c’était un coup monté, tous vos trucs, là !

— Mais pas du tout, Steeve. Ce n’est pas la Caméra invisible, je vous assure. Je suis chargé de faire en sorte que vous receviez votre cadeau et que vous montiez dans ma voiture.

— Et mon bureau ? Faut que j’aille à mon bureau !

— Ah mais, Steeve, il n’y a plus de bureau.

— Comment ça, plus de bureau ? Je viens de leur téléphoner.

— Il n’y a plus de bureau, Steeve. Plus de bureau, plus de métro, plus de boulot, si vous me permettez cette petite plaisanterie. D’abord, êtes-vous certain que c’est votre bureau qui vous a répondu ?

— Hein ? Quoi ? Oui ! Euh, non ! Pourquoi ?

— Pourquoi ? Mais parce qu’il n’y a plus de Vivianne ni de Verlingue puisqu’il n’y a plus de bureau. C’est bien normal, voyons !

Et là, j’explose.

— Alors, écoutez-moi bien, vous, le grand chauve à col roulé, depuis ce matin je me réveille sans sentir la soupe à Grospied, y a un type qui me fait des manières sur le trottoir pour me laisser passer, y en a un autre qui se répand en salamalecs parce que je me suis cogné dans sa portière, il fait beau comme on a pas vu ça depuis ma naissance, y a les filles qui sourient, y a la bouche de métro qu’est pleine de fleurs, l’arrêt de bus qui s’est déguisé en sapin de Noël, y a le chinois du Balto qui me prête son téléphone, y a cette ordure de Verlingue qui ne me tient pas rigueur, comme elle dit l’autre, la remplaçante à Vivianne, et pour finir y a plus de boulot, plus de bureau et, en plus, tout le monde sait comment je m’appelle ! Et vous, la gueule enfarinée, vous me dites : « Mais c’est tout à fait normal, Steeve ! » Vous vous foutez de ma gueule ou quoi ?

— Mais, pas du tout, Steeve, pas du tout, tout ceci est normal, tout à fait normal.

— Bon ! Moi, j’en ai ras le bol de vos petites phrases à la con qui veulent rien dire. Alors, choisissez : ou vous m’expliquez tout depuis le début, ou je vous refait le portrait de fond en comble séance tenante. C’est que j’ai fait de la boxe française, moi !

— C’est exact : il y a douze ans, deux leçons, et puis vous vous êtes fait mal et vous avez abandonné. Mais la question n’est pas là. En fait, je suis très étonné que vous ne soyez pas au courant. Vous n’avez pas lu la petite lettre ? 

A SUIVRE (la fin, demain)

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *