C’était un jour qu’était pas fait comme les autres (2/4)

(…) J’essaie bien de lui répondre un truc genre :  » Vatfervroufspessedetroundevrin » mais il a pas l’air de piger, vu qu’il s’éloigne d’un air tout triste en continuant à débiter ses salades : « Ah bon ! Encore une fois, Monsieur, je suis vraiment désolé. Ah ! Je m’en veux, je m’en veux ! Je vous présente toutes mes excuses et j’espère que vous ne m’en voudrez pas trop pour cette maladresse impardonnable. » et il disparaît dans une dernière courbette au coin de la rue. Bizarre quand même, le gonze, bizarre !    

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Et je repars en boitant vers ma station de métro. Quand j’arrive sur l’avenue, le soleil me donne en plein sur la tête et, avec ce foutu anorak, je commence à suer sang et haut. Alors, je repousse en arrière ma capuche en poil de Zyrtek et j’ouvre ma parka d’un grand geste. D’abord, la fermeture Éclair se coince pas dans mon écharpe en viscose du Tibet. Bizarre, non ? Ensuite, d’un seul coup, je vois le ciel, il est tout bleu, les balcons, ils sont fleuris, les arbres, ils ont des feuilles, les filles, elles sont souriantes, les trottoirs, il y a pas de merdes de chiens… Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Y nous avaient rien dit au 20 heures, hier soir. Et j’ai pratiquement plus mal au genou ! J’ai plus mal du tout, même. Vraiment bizarre…

Bon ! C’est bien beau tout ça, mais va quand même falloir y aller au boulot. Enfin, si on peut appeler ça un boulot ! Coupeur de chevaux en quatre ! Tu parles d’un job ! Moi, j’aurais voulu être modérateur de cantabile, mais on fait pas toujours ce qu’on veut, pas vrai ? Maintenant, la station de métro est juste là, devant moi. Le problème, c’est qu’elle a l’air fermé. Y a une espèce de monceau de fleurs qui barre l’escalier. Y a une grève ou quoi ? Ça non plus, ils l’avaient pas annoncé au 20 heures. Et comment que je fais pour aller au boulot, moi ? Je vais quand même pas y aller en bus ? En bus, c’est deux fois plus long. Alors, c’est couru, je vais arriver en retard et je vais encore me faire alpaguer par cette salope de Verlingue ! Fait chier, merde ! De toute façon, pour le bus, on dirait que c’est râpé aussi : y a un arbre qu’a poussé à la place de l’arrêt. Même que c’est un grand sapin bien vert, avec des petits cadeaux accrochés partout, et des guirlandes et tout ! Doivent être en grève aussi, les bus.

Faut absolument que j’appelle la boite ! Faut que je dise à Verlingue que je vais être en retard, et sacrément même, mais que c’est pas ma faute, que c’est la faute à ces salopards de grévistes — sûr qu’il va aimer ça, Verlingue, ces salopards de grévistes —  qui empêchent l’honnête ouvrier de se rendre à son travail pour gagner l’entrecôte. Le problème, c’est que j’ai plus de portable depuis qu’on me l’a piqué pendant que je me reposais dans le bistrot à Paulo où je soigne ma cuite hebdomadaire. Comme téléphone, y aurait bien chez Liang, le chinetoque qu’a racheté le Balto, de l’autre côté de l’avenue. Mais l’autre problème, c’est que j’ai eu des mots avec le Chinois. La dernière fois que je lui ai causé, à Liang, c’était pour lui dire que j’y refoutrais jamais les pieds, dans son rade de minables. Y m’avait répondu un truc du même tonneau, genre je sais plus quoi. Bref, on est en froid, Liang et moi. Bon, mais j’ai pas le choix. Faut que je passe un coup de fil. J’entre dans le troquet. C’est pas Liang qu’est derrière le comptoir, c’est un autre jaune, mais qu’est-ce que ça peut foutre ? Sont tous pareils de toute façon. « Salut, gros lard, que je lui dit au niakoué. T’as le téléphone ? » Je m’attendais à une vanne quelconque, une chinoiserie à la con, mais non ! Le voilà qui me dit : « Tiens donc ! Mais c’est Monsieur Steevie ! Et comment qu’il va, aujourd’hui, Monsieur Steevie ? Il prendra bien un petit quelque chose ? » Je sais pas comment il connaît mon nom, le gazier, mais j’ai pas le temps de lui demander. Alors je lui dis : « Suis pressé ! Je t’ai demandé le téléphone. T’as pas entendu ? T’as des germes de soja dans les oreilles ? Té-lé-phone ! Toi pas compris ? C’est pas sorcier, quand même ! » Je sais bien que gueuler, c’est pas une bonne méthode quand on demande un service à quelqu’un, mais c’est plus fort que moi, je peux pas faire autrement. Moi, à sa place, je me serais foutu dehors illico, mais lui, pas du tout : « Ah ! Excusez-moi, Monsieur Steevie, qu’il me dit, tenez le voilà, le téléphone. Et désolé, hein, je pouvais pas savoir que… »

— Bon, ça va, Gros lard, ça va ! que je me radoucis en attrapant le biniou.

Je fais le numéro et, bizarre, ça décroche tout de suite. Pas de tut-tut-tut-occupé, pas de Quatre Saisons à la con, tout de suite une voix : « Bonjour, Steeve. Que puis-je pour vous ? »
Qu’est-ce que c’est encore que ce bordel ? C’est pas la voix de seringue de la Vivianne de d’habitude ! Ensuite, comment qu’elle sait que c’est moi au bout du fil ? Et puis d’abord, comment elle connaît mon nom, cette sauterelle ?

A SUIVRE (demain)

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