C’était un jour qu’était pas fait comme les autres (1/4)

Une bien belle histoire… comme on aimerait en lire tous les jours… chaque jour… pendant quatre jours… 

1/4

C’était un jour qu’était pas fait comme les autres. Je l’avais bien senti dès le début, moi, qu’il était pas fait comme les autres, ce jour. D’abord, quand je m’étais réveillé, y avait pas cette odeur habituelle de soupe aux poireaux. C’est mon voisin du dessous, Grospied. Il se fait une soupe aux poireaux tous les matins avant de partir bosser, cet emmerdeur. Ça empeste la cour et la cage d’escalier et ça rentre chez moi par les fissures du plancher. Je pourrais lui dire à Grospied qu’il pourrait se faire du café à la place de la soupe aux poireaux, et que ça serait mieux pour tout le monde, mais depuis qu’il est arrivé dans l’immeuble, il y a six ans, je lui ai pas dit un mot. Lui non plus, d’ailleurs. Ben oui, quoi ! Avec les voisins, vaut mieux pas être trop intime, sans ça ils deviennent vite envahissants.

Bref ! Ça sentait pas le poireau, c’était bizarre, mais bon ! Comme d’habitude, je m’étais fait mes sardines grillées et je les avais fait passer avec une bonne tasse de chocolat chaud. Quoi ? Qu’est-ce qu’y a ? Chacun fait comme y veut, non ? Moi, c’est comme ça tous les matins : chocolat chaud et sardines grillées. Dans l’immeuble, personne s’est jamais plaint. Manquerait plus que ça ! Après, je me suis habillé, j’ai enjambé l’enveloppe qui traînait sur le palier — probable que c’était encore une facture — et je suis parti au boulot. J’y pensais pas plus que ça à l’absence de poireaux. Je me disais comme ça : bon, ce matin, y a pas de poireaux ! Eh ben, tant mieux ! Peut-être même qu’il est mort, Grospied ! Avec un peu de chance…

Et puis deux minutes plus tard, y a un type qui me sourit, dans la rue, comme ça, sans prévenir. Voilà comment ça s’est passé : je marchais sur mon trottoir, comme ça, tranquille, sans rien demander à personne. J’étais pas à deux mètres du numéro 13 — moi j’habite au 15 — quand un type est sorti de la porte cochère, comme ça, sans crier gare, le con ! Il faut savoir qu’à cet endroit le trottoir est plutôt pas large et que donc, si j’avais pas fait gaffe, j’y serais carrément rentré dedans, au gars ! Forcément, avec l’élan… Mais je faisais gaffe. Alors, j’ai pu m’arrêter, là, juste devant lui. Quand je marche comme ça, le matin, je fais toujours gaffe. Le soir aussi, d’ailleurs. En fait, je fais gaffe tout le temps. On sait jamais ce qui peut se passer, surtout avec les gens du coin. Alors, je suis toujours sur mes gardes. Comme ça, normalement, il peut rien m’arriver. Normalement…

Mais voilà qu’au lieu de m’engueuler ou même de me bousculer, le gars, il fait même pas mine de m’écarter de son chemin. Même pas ! Non, il fait juste un pas en arrière avec un geste comme ça, genre « Après vous, je vous en prie ! » J’en revenais pas, dis-donc ! Mais puisque le mec est assez con pour me laisser passer, j’en profite et, royal, je passe. Et même, pour en rajouter un peu, je le regarde dans le blanc des yeux, comme ça ! Gonflé, non ? Et là, le mec me sourit ! Vrai de vrai, il me sourit, le mec ! Un moment, j’ai pensé qu’il se foutait de ma gueule, mais penses-tu ! Il me souriait, comme ça, genre : « Belle journée, n’est-ce pas ? » Vraiment bizarre, le mec !
Mais, ce qui était plus bizarre encore, c’est qu’il faisait beau, je veux dire : vraiment, il faisait beau ! Je l’avais même pas remarqué, dis-donc, engoncé que j’étais dans ma parka Décathlon camouflée. Faut dire que par ici, c’est pas tous les jours qu’il fait beau. La routine, ce serait plutôt verglas et brouillard ou vent frais et averses passagères, comme y disent à la météo. Mais là, il faisait beau et le type me souriait, gentiment ! Comme un con, quoi ! Y a un moment où j’ai failli lui demander pourquoi il souriait comme ça, mais finalement je l’ai pas fait. Je voulais pas qu’il me réponde une connerie quelconque, genre « C’est pas tes oignons, Dugland ! » ou pire. On sait jamais ce que les gens ont dans la tête par les temps qui courent. Alors, vaut mieux être prudent et fermer sa gueule.
Donc, comme j’ai dit, j’ai continué sur mon trottoir tout en le regardant dans les yeux, avec l’air de dire « T’es sûr que ça va, connard ? »

Ça doit être pour ça que j’ai pas vu qu’un autre abruti était en train de descendre de sa bagnole qu’était garée devant le numéro 11. Pétard ! Je me suis foutu la tranche de la portière juste dans le genou. C’est peut-être de la merde, les Peugeot, mais les portières, elles sont vachement costauds ! Un mal de chien, que ça m’a fait ! Tellement que je me suis appuyé contre le mur pour pas tomber. Je gueulais un truc genre « sacrénodedieudebordeldefoutoirdemerdedebaniolalacon ! » ou quelque chose comme ça tout en me frottant le genou comme un malade. Le connard à la Peugeot était descendu de sa bagnole et me regardait me trémousser. Normalement, il aurait dû me dire quelque chose genre « T’avais qu’à regarder devant toi, Ducon ! » et on en serait resté là. Mais non ! Le voilà qui s’approche et qui me regarde sous le nez, l’air attendri, ouais, c’est ça, attendri ! Et je l’entends qui me dit : « Ah, Monsieur ! Je suis désolé ! C’est entièrement de ma faute ! J’aurais dû mieux regarder avant d’ouvrir ma portière. Vous n’avez pas trop mal, j’espère ? » Franchement anxieux, le mec. Je sais bien que j’aurais dû l’envoyer aux pelotes, mais là, j’arrivais pas à dire autre chose que  « oulaoulaoulaoulalalala » ou un truc comme ça. Alors, il insiste, le type : « Comment dites-vous ? Vraiment, je suis confus ! Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous ?  Allez, laissez-moi vous offrir un café au tabac d’en face ! Un petit alcool alors ? Un remontant ? Juste pour vous remettre… Non ? Vraiment ? »
J’essaie bien de lui répondre un truc genre : « Vatfervroufspessedetroundevrin » mais il a pas l’air de piger, vu qu’il s’éloigne d’un air tout triste en continuant à débiter ses salades : « Ah bon ! Encore une fois, Monsieur, je suis vraiment désolé. Ah ! Je m’en veux, je m’en veux ! Je vous présente toutes mes excuses et j’espère que vous ne m’en voudrez pas trop pour cette maladresse impardonnable. » et il disparaît dans une dernière courbette au coin de la rue. Bizarre quand même, le gonze, bizarre !

A SUIVRE (demain)

 

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