La Mitro 2 – Ça va péter !

2.Ça va péter ! 

Quand Félix et le contrôleur-adjoint sont arrivés devant l’escalier du bureau-atelier des Poids et Mesures, il n’y avait là que Mireille Pétugue, la femme du cousin d’Elzéar. Elle fait la secrétaire de mairie deux fois par semaine. A l’énorme bruit de la porte claquée, elle était sortie affolée de son bureau. A présent, elle était plantée deux marches au-dessus de l’entrée et elle parlait à la porte en fer.

– Eh, Gérard, qu’est-ce que tu fais enfermé là-dedans ? Tu sais que t’as pas le droit d’être là ?

Comme la porte ne répondait pas, elle a continué :

– Dis-donc, tu m’as fait une frousse de tous les diables tout à l’heure à claquer la porte comme ça. Ça a fait un bruit d’enfer. On aurait dit un avion de Salon de Provence qui passait le mur du son. Eh, Gérard, tu m’entends ?

– Fous le camp, Mireille. Tu fais partie de la bande ! Je vais tout faire sauter. J’ai de la nitro !

– De la quoi ?

– De la nitro ! De la dynamite, quoi ! Je vais tout faire sauter !

– Aïe ! Aïe ! Aïe ! Aïe ! Saint Mère de Dieu, mais tu es complètement calu !

Elle remonta l’escalier en bousculant les deux arrivants, puis enfila en courant la rue du Béal. Elle criait:  » Il est fou, il va tout faire sauter, il a de la dynamite ! » Félix la regarda s’éloigner. Il trouvait rigolo de la voir se tenir la tête à deux mains en criant et en agitant ses grosses jambes dont les chairs tremblotaient au rythme de la course. Elle finit par disparaître au coin de la rue Espariat.

Pendant que Cabanis tapait du plat de la main sur la porte métallique en criant « Gérard, Gérard, ouvre-moi ! », Félix ajoutait au chambard en hurlant « Au secours, au secours ! Ça va péter, ça va péter ! « 

D’ordinaire, il suffit d’un accrochage de rien du tout pour que la place Panisse se remplisse de la moitié des habitants de la ville. Alors, vous pensez si le capharnaüm en cours allait en faire sortir, du monde !

L’attroupement qui s’était formé en haut des marches grossissait de minute en minute. A présent, il obstruait complètement la rue du Béal et commençait à déborder sur la place Honoré Panisse. Ceux qui étaient le plus loin du cœur du drame ignoraient tout ou presque de ce qui se passait. Alors, ils voulaient savoir et, bien naturellement, ils poussaient pour se rapprocher de l’épicentre. Ceux qui en étaient tout proches en savaient déjà assez pour comprendre qu’il se pourrait qu’il y ait du danger à rester dans les environs plus longtemps. Alors, bien naturellement, ils poussaient pour s’éloigner. Par moments, ceux qui voulaient s’enfuir semblaient l’emporter, ce qui créait une sorte de reflux, comme une vague qui se retire d’une anfractuosité. Mais bientôt, la réaction puissante de ceux qui voulaient savoir, forcément plus nombreux et donc plus forts que ceux qui savaient déjà, créait le mouvement inverse de la vague qui se rue vers le rocher. À la fenêtre de son appartement du troisième étage d’où il dominait la scène, le vieux Courteissade, qui était sourd comme une cougourde, ne comprenait rien au spectacle, mais il s’amusait bien.

En bas, les nouvelles se propageaient de façon centrifuge et, ce faisant, elles se déformaient de façon exponentielle.

– C’est le Parisien qui a tourné fada ; il veut faire sauter l’Hôtel de Ville !

– Il paraît qu’il y a un vigile qui a pris des otages ! Il veut une augmentation…

– Non, c’est Pétugue. Il a mis trop de glycérine dans l’essence de l’angliche. Alors, il est furieux…

– Il y a un vin d’honneur dans les sous-sols de la mairie…

Pendant ce temps, dans le brouhaha général, Elzéar Cabanis essayait d’établir la communication à travers la porte avec son beau-frère.

– Gérard, sors dehors ! Toute la ville est là ; le maire aussi ; les gendarmes vont arriver.

– Tant mieux ! Qu’ils viennent. Et les pompiers aussi ! Et le curé aussi ! Comme ça, on sautera tous ensemble !

– Mais qu’est-ce qui te prend ? Qu’est-ce qu’il y a ?

– Fais pas comme si tu savais pas, Elzéar. Tu fais partie du complot, t’es de la bande. Je vais tout faire sauter !

– La bande ? Mais quelle bande ?

– La bande des salauds qui se foutent de ma gueule depuis dix ans, avec en tête la reine des salopes qui me fait cocu depuis dix ans et demi.

À ces mots, Elzéar tourna le dos à la porte et s’affala contre elle en murmurant: « Oh, bon sang de sort ! Ça devait arriver, ça. Aïe ! Aïe ! Aïe ! »

Puis, s’adressant à nouveau à la porte:

– Tu es cocu ? Tu es sûr ?

– Je l’ai vu, de mes yeux vu.

-Tu es sûr que tu t’es pas trompé ?

-Y’avait pas moyen de se tromper…

Elzéar réfléchit un instant.

– Bon, tu es cocu. Et alors ? C’est pas la peine d’en faire toute une histoire ! Tout le monde est cocu un jour ou l’autre.

– Non, pas tout le monde ! Et surtout, pas tout le temps ! Moi, je l’ai été depuis l’avant-veille de mon mariage et jusqu’à ce matin, et de manière continue, régulière, comme qui dirait quotidienne, même ! Tout le temps, quoi !

– Bon ! Ça, d’accord, c’est contrariant.

– Ah, tu vois ! Je vais tout faire sauter, je te dis !

– Mais, attends, Gérard ! Cocu, d’accord ! Mais, tout le temps, ça, tu as pas vu le voir ! Tu imagines, tu exagères, tu affabules, je dirais même : tu extrapoles !

– J’extrapole rien du tout ! On me l’a dit !

– Comment ça, on te l’a dit. C’est Pétugue ? Quelle pipelette, celui-là ! Toujours à raconter des trucs qui le regardent pas !

– C’est pas Pétugue. C’est elle. C’est elle qui me l’a dit.

– Elle ? Martine ?

– C’est ça. Elle, Martine, la salope !

– Ah oui, alors là, évidemment…

Pendant cette conversation d’hommes, la foule avait encore grossi et les deux gendarmes qui venaient de descendre de leur Peugeot « Partner » avaient eu du mal à parvenir jusqu’à l’arrière de la Mairie. Mais maintenant, ils étaient là, en haut du petit escalier, en sueur, le képi de travers et la vareuse en vrac. Les informations que leur radio de voiture avait crachotées pendant le parcours étaient à l’image de la confusion qui caractérisait les nouvelles qui couraient encore à travers la foule. Aussi, arrivés sur place, conformément au manuel de terrain, ils commencèrent par s’enquérir du nombre et de l’identité des personnes enfermées dans l’atelier des Poids et Mesures. Quand ce fût fait, le premier gendarme prit les choses en main :

– Monsieur Mueller, Gendarmerie Nationale ! Veuillez ouvrir cette porte et sortir calmement !

Devant le professionnalisme du sous-officier, la réponse ne tarda pas, haute et claire :

– Ah ! C’est toi, Valensolles. Eh bien, je t’emmerde, Valensolles. Tu fais partie de la bande ! Tu vas sauter avec les autres !

– Fais pas le con, Gérard ! répondit le sous-officier Valensolles sans se rendre compte qu’il s’écartait significativement de la procédure du manuel de terrain.

Devant le tour personnel que prenait l’interpellation, le deuxième sous-officier de gendarmerie jugea que c’était son tour d’intervenir :

– Monsieur Mueller, Gendarmerie Nationale ! Veuillez obtempérer et sortir immédiatement, sinon, nous serons contraints d’employer la force et d’enfoncer la porte !

– Toi, je te connais pas, mais je t’emmerde tout pareil ! Si tu restes là, tu sautes avec les autres ! Et pour ce qui est d’enfoncer la porte, vous pouvez repasser. C’est de la tôle renforcée triple épaisseur avec serrure cinq points cinq étoiles. Et je m’y connais ; je suis dans la sécurité, moi.  I-NEN-FON-ÇABLE, la porte, je vous dis !

C’est alors que le maire créa une diversion opportune en arrivant à son tour en haut de l’escalier. Les deux gendarmes furent soulagés d’avoir à rapporter les faits à une autorité supérieure.

– Monsieur le Maire, Brigadier Valensolles, dit le brigadier Valensolles en saluant. Je me dois de vous informer que des événements graves et imprévus sont en train de se produire sur le terr…

– Augustin ! interrompit le maire, abrège s’il te plait. Qu’est-ce qui se passe ?

– Eh bien voilà, reprit Augustin. L’individu…

– Qué, l’individu ? On m’a dit que c’était Mueller, le Parisien. C’est pas lui ?

– Si, si, c’est lui. Donc, poursuivit le gendarme, le dénommé Mueller s’est enfermé dans l’atelier de monsieur Cabanis…

– Dans mon bureau, si tu veux bien, Augustin, dans mon bureau, interrompit Elzéar qui tenait beaucoup au statut de son lieu de travail. J’ai un fauteuil, un bureau, un téléphone et un ordinateur. C’est un bureau.

Quelqu’un cria dans la foule:

– Eh, Elzéar, il est même pas branché ton Pécé !

Elzéar, vexé, répondit:

-Ça ne fait rien, c’est un bureau quand même !

Le maire, étonné, intervint:

– Comment ! Il est pas encore branché ton ordinateur ! Depuis six mois qu’il est arrivé !

Réalisant que le moment était mal choisi pour parler informatique, il revint au sujet du moment.

– Bon, dit le maire, on verra ça plus tard. Alors, Augustin, qu’est-ce qui se passe avec Mueller ?

-Hé bé, il se passe qu’il s’est enfermé tout seul là-dedans avec de la dynamite et qu’il dit qu’il veut tout faire sauter.

– Et pourquoi ?

– Il dit qu’il est cocu, dit Elzéar.

– Et alors ? Bien sûr qu’il est cocu ! Tout le monde le sait. Mais il est pas le seul à être cocu. C’est pas une raison, ça !

– Eh bé, pour lui, si !

– Et c’est sérieux?

– Té, ça pourrait l’être, vaïe !, dit Valensolles. Avec un Parisien, on ne sait jamais.

– Hou, malheur ! Mais c’est que c’est grave ça. Il faut enfoncer la porte, il faut faire évacuer le quartier.

– Monsieur le Maire, d’abord, enfoncer la porte, c’est pas la peine d’y penser : tôle renforcée triple épaisseur, serrure cinq points cinq étoiles, i-nen-fon-çable, la porte ! Et faire partir tout ce monde à deux gendarmes seulement, ça risque se prendre du temps.

– Il faut appeler des renforts, les antigangs, le Préfet, le Ministre…poursuivit le maire qui commençait à s’énerver.

– Monsieur le Maire, Monsieur le Maire !

– Qu’est-ce qu’il y a Elzéar ? Tu vois bien que je suis occupé !

– Monsieur le Maire, Mueller, c’est mon beau-frère. Laissez-moi m’en occuper. Je vais le faire sortir.

 A SUIVRE

Le chapitre 3, « L’arbitre », paraitra demain…

4 réflexions sur « La Mitro 2 – Ça va péter ! »

  1. Bonjour Martine,
    Content de te voir revenir aux commentaires !
    J’ai commencé ce texte en écrivant la première phrase d’une seule traite: « Quand arrivent les premiers jours d’octobre et que les feuilles des platanes de la place Honoré Panisse commencent à brunir, il fait encore assez doux pour prendre son petit café matinal à la terrasse de chez Fernand. » sans avoir aucune idée de ce qu’allait être cette histoire. Pour ce qui est de la ville, j’ai pensé à Trets. Le reste est venu au fur et à mesure, presque sans effort. En plus, je me suis bien amusé.

  2. Et bien quelle histoire et en plus dans notre pays et en plus elle a mon prénom !!!!!!!!

  3. Est-ce là un roman autobiographique?

    À force de lire du Michel Onfray, j’ai attrapé sa maladie de ne déceler dans toute œuvre écrite, roman ou théorie psychanalytique, rien d’autre que l’histoire consciente et/ou inconsciente de l’auteur et ce, quelles que puissent-être ses prétentions littéraires ou scientifiques!

    Rassures-toi, communicologue obsédé par le voyeurisme du regardeur (sic Onfray) ou lecteur, j’y retrouve mes propres fantasmes! (Pastis sans eau, sécheresse oblige! Femme fidèle à tous les gars du canton, tronc du platane attaqué par le cochonnet de la pétanque qui y renifle la truffe du chien qui vient d’y marquer son territoire, etc.)

    Dans la lecture d’une œuvre, l’autobiographie du lecteur l’emporte sur celle de l’auteur. Question de perspective unique et de monopole du sens ou de l’insensé!

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