Socrate et l’écriture

Morceau choisi

Dans ce dialogue avec Phèdre, Socrate lui raconte l’histoire de ce dieu Theuth qui vint présenter au roi de toute l’Égypte, Thamus, les arts qu’il avait inventé. Quand il en vient à l’Écriture, Thamus demande à Theuth de quelle utilité serait cet art.

Cette science (l’Écriture), Ô roi ! lui dit Theuth, rendra les Égyptiens plus savants et soulagera leur mémoire. C’est un remède que j’ai trouvé contre la difficulté d’apprendre et de savoir. Le roi répondit : industrieux Theuth, tel homme est capable d’enfanter les arts, tel autre d’apprécier les avantages ou des désavantages qui peuvent résulter de leur emploi ; et toi, père de l’écriture, par une bienveillance naturelle pour ton ouvrage, tu l’as vu tout autre qu’il n’est : il ne produira que l’oubli dans l’esprit de ceux qui apprennent, en leur faisant négliger la mémoire. En effet, ils laisseront à ces caractères étrangers le soin de leur rappeler ce qu’ils auront confié à l’écriture, et n’en garderont eux-mêmes aucun souvenir. Tu n’as donc point trouvé un moyen pour la mémoire, mais pour la simple réminiscence, et tu n’offres à tes disciples que le nom de la science sans la réalité ; car, lorsqu’ils auront lu beaucoup de choses sans maitre, ils se croiront de nombreuses connaissances, tout ignorants qu’ils seront pour la plupart, et la fausse opinion qu’ils auront de leur science les rendra insupportables dans le commerce de la vie.

Phèdre (Platon)

Après avoir lu ce texte, vous pensez sans doute qu’il allait un peu loin dans l’intransigeance, le Socrate.
— C’est vrai, ça, quand même ! vous dites-vous. L’écriture a permis tous les progrès de toutes les sciences que nous connaissons aujourd’hui, qu’elles soient dures ou molles.
— O.K., d’accord, vous répondrai-je. Mais maintenant, juste pour voir, remplacez donc écriture par Google et relisez le texte, en particulier ce passage :

(…) Google ne produira que l’oubli dans l’esprit de ceux qui apprennent, en leur faisant négliger la mémoire. (…) tu n’offres à tes disciples que le nom de la science sans la réalité ; car, lorsqu’ils auront lu beaucoup de choses sans maitre, ils se croiront de nombreuses connaissances, tout ignorants qu’ils seront pour la plupart, et la fausse opinion qu’ils auront de leur science les rendra insupportables dans le commerce de la vie.

Vous pouvez faire le même exercice avec le mot Wikipedia, mais c’est moins rigolo. 

 

5 réflexions sur « Socrate et l’écriture »

  1. Veinard! À la même époque que toi quand tu avais une moulinette à calculer moi je faisait tous mes calculs pour les perpétuels « plans à cinq ans » (une habitude maniaque d’alors totalement obsolète de nos jours) avec ma règle graphoplex aidée d’un calcul mental rapide pour avoir au moins 4 chiffres. J’en ai parfois la nostalgie, surtout quand je perds un temps fou comme se matin à me bagarrer avec de simples sites de réservations par internet qui changent tout le temps. J’en ai marre des informaticiens qui se foutent des utilisateurs victimes de leur soit disant génie créatif pour simplifier les choses. Les informaticiens mon c.. comme l’aurait dit Zazie.

  2. Oui, bien sûr… le savoir trop rapide, non assimilé, mal compris, mal utilisé…
    Mais quand même…
    Je me souviens de ma première étude économique au Liban en 1969/70. J’avais pour tout instrument de calcul une machine à calculer Friden qui fonctionnait grâce à une manivelle, car elle n’était même pas électrique. Les multiplications et divisions se faisaient en faisant des tours de manivelle pour chaque dizaine dans un sens ou dans un autre. J’ai passé ainsi des centaines d’heures à moudre des projections de trafic et de rentabilité. Pour mon étude suivante, aux Philippines, je disposais d’une machine à calculer Hewlett Packard programmable. Cela veut dire qu’on arrivait à programmer 4 ou 5 instructions de calcul. Pour le même travail qu’au Liban, le temps gagné était considérable, mais les calculs demeurait quand même assez longs. Je n’ai jamais eu le plaisir de renouveler ce genre d’étude avec un PC, mais j’imagine que, sans exagérer, mes centaines d’heures libanaises et mes dizaines d’heures philippines auraient été réduites à quelques secondes.
    Ce qui sans doute m’aurait permis de me lever plus tard chaque matin.
    Un véritable progrès, non ?

  3. J’ajoute enfin que le robot dans mon iPad corrige l’orthographe à mon insu, c’est insupportable!

  4. J’ajoute: Des robots vulnérables. Les événements du moment, jour après jours, nous interpellent sur ces questions.

  5. En lisant le paragraphe avec le mot Google je me disais qu’on pouvait ajouter Wikipedia. C’est fait! Mais c’est triste en même temps. De même qu’on pourrai prendre un texte enseignant l’art de l’orientation, ou de la navigation, de l’usage de la cartographie, de la boussole et du sextant, et remplacer toutes les explications par l’usage d’un simple instrument: le GPS. Alors imaginez un peu la pagaille, les déroutes, quand une guerre quelconque, ou un virus informatique incontrôlé, aura neutralisé les satellites, les liaisons optiques, etc, qui font opérer Google, Wikipedia, le GPS. C’est pas de la science fiction ça! C’est le grand remplacement de l’intelligence commune et communicante par des robots.

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