Rendez-vous à cinq heures : La colère de Lorenzo

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LA COLÈRE DE LORENZO

Il y a vingt ans, nous avions été un certain nombre à dire que l’hôpital public étant financé par l’argent du public il se devait le lui rendre en lui offrant une qualité et surtout une quantité de soins suffisante à ses besoins. On nous avait traités de crétins rétrogrades et on nous avait licenciés, notre faute étant de ne pas adhérer à la politique de nos directeurs. Aujourd’hui les conséquences de cette politique suicidaire sont là : déserts médicaux et non réponse à la demande quantitative de soins, conséquences directes des choix stupides d’administratifs incompétents. Il y a vingt ans et plus, les choix stratégiques des responsables de la santé, grisés par le prestige de nos collègues anglo-saxons, avaient été de redistribuer une partie des subventions juteuses de la santé sur les structures médicales et paramédicales de recherche dont les bénéficiaires n’ont strictement rien découvert pendant ces décennies. Depuis vingt ans, on a ainsi favorisé des centaines de professeurs Raoult. Lui n’est que la partie émergée de l’iceberg parce que, contrairement à la majorité des cloportes grassement rémunérés par notre système, il a eu la bêtise et la prétention de s’exposer sur les plateaux de télévision.

J’ai moi aussi travaillé jadis dans une unité de recherche de l’INSERM qui était peuplé, comme toutes les autres, de vrais scientifiques non médecins et de médecins opportunistes souvent incompétents dans les sciences fondamentales comme la biochimie. Pour ces derniers, il s’agissait, en signant des articles scientifiques ou pseudo scientifiques, d’étoffer leur liste de titres et travaux en vue d’une nomination comme Professeur de Médecine et Chef de Service. Je le faisais bénévolement comme tous les jeunes internes de mon âge car il s’agissait d’abord de mon sujet de thèse, passage obligé pour accéder au simple titre de docteur en médecine. Je transportais donc de l’hôpital Broussais à la rue du Fer à Moulin, siège de l’INSERM à l’époque, des bidons d’urine congelés remplis à ras bord et fuyant copieusement dans le coffre de ma voiture. Arrivé à l’INSERM je devais les monter dans les locaux de l’unité de recherche où toute une équipe, la Directrice, ses Assistantes et ses Laborantines allaient travailler sur ce matériel pendant des semaines. Moi, je récupérerais les dosages et les mesures pour en faire ma thèse, une présentation en congrès et un article scientifique dans une revue prestigieuse, si possible en anglais. Tout se passa pour le mieux. Je réitérai avec un deuxième travail dont le côté technique fut à nouveau financé par l’unité de l’INSERM. Mêmes résultats encourageants. Manque de chance pour la suite de ma carrière hospitalo-universitaire, l’unité de recherche ferma ses portes pour des raisons que je n’ai jamais connues. Je me suis donc retrouvé sans outil pour construire la suite d’une carrière si prometteuse. D’autres n’ont heureusement pas eu ma malchance et ont fait une belle carrière …

Si je raconte cela, ce n’est pas pour flatter mon ego, mais pour dire maintenant quel était le sujet de mon travail : il s’agissait de l’induction enzymatique par le clofibrate dans la cirrhose du rat Gunn au tétrachlorure de carbone. Même sans le recul ni la moindre connaissance médicale, on pouvait  déjà douter de ses retombées médicales potentielles en santé publique et chez l’homme. Des travaux comme celui-là, les équipes françaises en ont fait et continuent d’en faire des milliers aux frais de la Nation. Cet argent, donné non pas par les subventions scientifiques comme cela aurait du être le cas, mais majoritairement par la Santé Publique, a été soustrait au domaine médical public et il continue de l’être. Autrement dit en clair, on rémunère sur des fonds destinés aux soins médicaux des activités et des médecins qui ne s’occupent pas des malades. Bon nombre de mes jeunes collègues internes et assistants ont participé à ce programme bénévolement comme moi et sans la moindre retombée promotionnelle au final mais, comme me le dit plus tard mon patron de l’époque, rien ne m’avait été promis, ce qui était vrai.

Lorenzo dell’Acqua

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2 réflexions sur « Rendez-vous à cinq heures : La colère de Lorenzo »

  1. Inquiétant ce coup de gueule….
    Quand l’argent public part en recherches fumeuses en sciences sociales , on ricane…
    Peu me chaut le sort du rat gum , mais que des années d’etude difficiles soient dévoyées de leur but , soigner, pour obtenir une publication
    à visée promotionnelle, voilà qui fait moins rire.
    Complément d’enquête souhaité….

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