Rendez-vous à cinq heures : Conradiologie

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CONRADIOLOGIE

Il est souvent question dans le JDC de Joseph Conrad ce dont je me réjouis car Conrad est incontestablement l’un de mes écrivains de prédilection.  Divers de mes commentaires m’ont donné l’occasion de le faire savoir et si dernièrement j’ai joint le dernier paragraphe du chapitre 36 du Miroir de la Mer à titre d’illustration de mon propos, j’ai regretté depuis de n’avoir pas retranscrit la totalité de ce chapitre 36 qui est à lire comme une nouvelle indépendante tant il résume parfaitement l’esprit de l’œuvre de Conrad.

Joseph Conrad est pour moi le maître incontestable du roman maritime, un genre ou excellent surtout des auteurs anglo-saxons mais que Conrad surpasse tous, même s’ils sont d’une très grande qualité littéraire. Il n’exploite pas le genre comme la plupart des autres avec leurs romans historiques, ou bien des fictions d’aventures destinées à faire rêver les terriens sédentaires, Non ! Conrad s’attache à écrire la réalité d’une marine de la deuxième moitié du 19ème siècle, une marine vouée au commerce et non à la guerre (il y a d’autres livres mythiques pour cela), une marine avec l’apogée des navires à voile démesurés s’attaquant aux longues routes par les trois caps ou bien avec des navires plus petits cabotant sur des mers locales parfois déchaînées. Conrad devenu écrivain après avoir servi à la mer pendant quelques vingt ans, de mousse à maître, s’est donc attaché avec un don comme nul autre à nous décrire et nous faire vivre un monde constitué de trois éléments indissociables : la mer, les navires et les équipages.

La mer d’abord, Conrad ne l’aime pas, même si son rapport à elle est la passion : « L’océan possède le tempérament sans scrupules d’un autocrate sauvage corrompu par trop d’adulation ». Tout ce qui suit (extrait du chapitre 36 déjà mentionné) est à l’avenant pour conclure par « La plus stupéfiante des merveilles de l’océan, c’est son insondable cruauté ».  Par ailleurs, d’où le titre de son autobiographie, la mer est un miroir parce qu’elle révèle ceux qui s’y risquent. Impossible de tricher avec elle, l’esbroufe est vite sanctionnée.

Les navires ensuite, à voile bien entendu. Conrad en est passionnément amoureux. Il les traite comme des êtres vivants avec chacun leur personnalité. « Le navire a ses propres droits. Il est des navires auxquels, pour l’homme compétent, il ne manque que la parole. Il n’est pas un esclave ». La phrase clé, irréfutable, est : « Rien à dire contre les navires ! » Cette doxa est à la base de l’interdépendance entre l’équipage et son navire, aussi bien pour le gabier qui prend sa défense contre toute critique comme pour ce capitaine qui vient de perdre le sien dans la tempête et dit lamentablement : « Aucun navire n’aurait pu faire aussi bien. Il était petit, mais c’était un bon navire. Je n’avais aucune inquiétude. Il était solide. Aucun autre navire n’aurait pu supporter aussi longtemps le temps qu’il a dû traverser pendant des jours et des jours avant que nous ne démâtions il y a une quinzaine. Il était à peu près à bout de force, voilà tout.  Nul navire meilleur que lui n’a jamais été abandonné à son naufrage en un jour comme celui-ci. »

L’équipage enfin. Déjà, qu’a pu ressentir l’équipage rescapé de justesse après le naufrage de leur navire que le capitaine vient d’évoquer ci-dessus? Ce qu’il a ressenti pour sûr est ce qui a été évoqué dans Les Images de Conrad (JDC du 01/07/21) c’est-à-dire « en finir avec nos absurdes misères » quand le navire était à bout, que nul salut n’était plus attendu et que se manifestait « l’indifférence cynique de la mer envers ce que méritent la souffrance et le courage humains, mise à nu par cette exhibition ridicule et entachée de panique qui venait d’être arrachée à neuf bons et honorables marins à leur dernière extrémité ». Bien sûr et heureusement, les navires et leurs équipages n’étaient pas soumis en permanence aux tempêtes dévastatrices mais aussi à des calmes-plats, tout aussi redoutés d’ailleurs, et des périodes de bons vents portants qui permettaient aux équipages de faire la démonstration de leur savoir faire pour obtenir du navire son meilleur niveau de performance.

La mer, le navire et l’équipage ! En réalité, une phrase admirable, noyée dans mon commentaire précédent du 01/07/21 (dernier paragraphe du chapitre 36 du Miroir de la Mer), manifestement autobiographique, résume ce triptyque : « Je regardais la mer vraie : la mer qui joue avec les hommes jusqu’à ce que leur cœur se brise, et qui use de vaillants navires jusqu’à la mort. Ouverte à tous et fidèle à personne, elle exerce sa fascination de façon à détruire ce qui existe de meilleur. L’aimer n’est pas bien ».

Et vlan pour les mystificateurs propageant un amour idéaliste ou romantique de la mer. Conrad n’est pas de ceux-là, mais il reste pour moi le plus grand écrivain maritime. Sa pensée rejoint celle d’Aristote exprimée dans la fameuse citation : « Il y a trois sortes d’hommes : les vivants, les morts, et ceux qui vont sur la mer » .

Enfin, pour illustrer mon propos, ci-dessous un tableau du peintre anglais David James, pas très connu, mais qui savait magnifiquement peindre la mer et ses vagues tout comme son contemporain Joseph Conrad.

(Lord) Jim

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