Rendez-vous à cinq heures : L’éclat de la baudruche

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L’excipit :  créer un texte se terminant par les phrases ci-dessous qui sont celles qui achèvent Victoireroman de Joseph Conrad. 

Davidson sortit son mouchoir pour essuyer la sueur de son front.
« Et alors, Excellence, je suis parti. Il n’y avait rien à faire là-bas.
– Manifestement », acquiesça l’Excellence.
Davidson, pensif, sembla peser l’affaire dans son esprit puis murmura, avec une tristesse placide :
« Rien ! »

L’éclat de la baudruche
par Jim

Les historiens s’accordent à penser qu’il existait autrefois un petit état, disparu aujourd’hui dans les circonstances que nous allons voir, situé quelque part au centre du continent sud-américain et dont l’origine remontait à la fin du quinzième siècle quand quelques conquistadors égarés y prirent racine. Son nom supposé était le Guadalatecas. Cet état avait une apparence : une gouvernance héréditaire depuis l’origine sur le modèle Kim nord-coréen ; et une réalité : une solitude imposée par la gouvernance et un confinement hermétique de la population dont seulement quelques très proches du gouverneur, totalement inféodés, pouvaient s’affranchir sous conditions drastiques. L’un d’eux avait pour nom Davidson, nom qu’il choisit de préférence à Davido, celui de ses ancêtres, une faveur que le gouverneur lui accorda car il était flatté d’avoir un homme de main à consonance anglosaxone.

Le gouverneur se faisait appeler Excellence sans y accoler le possessif qui précède généralement ce titre. Pourquoi aurait-il affublé son titre d’un possessif pour s’entendre dire Son Excellence, ou bien Votre Excellence ? Pour lui cela n’avait pas de sens, il abrogea donc ce possessif qu’il jugeait inutile puisqu’il était de facto l’État tel Louis XIV plus tard, qu’il en possédait tout, le territoire comme les âmes de la population. L’activité économique était réduite à l’agriculture nécessaire à l’alimentation et à une plantation d’hévéas qui fournissait la matière première pour la fabrique d’une gomme à mâcher, laquelle mélangée à la coca maintenait la population, friande de cette mastication perpétuelle, dans un état de stupeur et de soumission.

D’après les historiens, cet état disparut subitement corps et biens vers la fin du 19ème siècle. Un survivant, ou prétendant l’être, en a relaté quelques temps plus tard la tragédie. Par un après midi semblable à tous les autres , à l’heure de la sieste du gouverneur, une explosion se fit entendre à la fabrique de gomme. Davidson courut immédiatement sur les lieux pour s’enquérir de la cause de cette explosion car lui seul connaissait le fonctionnement de la fabrique. Mais alors, la population vit avec effroi une bulle gonfler au-dessus du site de la fabrique, une bulle verdâtre ressemblant à un ballon de baudruche dont la taille grandissait régulièrement jusqu’à atteindre celle d’une grosse montgolfière. La population apeurée courait dans tous les sens. Certains s’agenouillaient et imploraient la clémence des dieux. D’autres imploraient l’intervention divine du gouverneur. Mais la baudruche continuait à enfler jusqu’à ce que, avec un POF gigantesque, un POF assourdissant, gargantuesque à la puissance 10, elle éclata en millions de particules envahissant le ciel comme un nuage de criquets et libérant une odeur pestilentielle et asphyxiante. Davidson courut au palace du gouverneur pour rendre compte. Celui-ci émergeait de sa sieste, hébété.

Davidson sortit son mouchoir pour essuyer la sueur de son front.
« Et alors, Excellence, je suis parti. Il n’y avait rien à faire là-bas.
– Manifestement », acquiesça l’Excellence.
Davidson, pensif, sembla peser l’affaire dans son esprit puis murmura, avec une tristesse placide :
« Rien ! »

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