Le Cujas (52)

G.C. : Vous savez, dans ces moments-là, on n’a pas beaucoup de temps pour réfléchir. J’étais surtout bouleversé par l’agonie de Jacques et, quand j’ai repris mes esprits, c’est cette incroyable opportunité de m’enfuir qui m’a occupé tout entier. Ce n’est qu’ensuite, quand je fuyais à travers la forêt, quand je pensais que j’allais être rattrapé d’un moment à l’autre que j’ai réalisé l’héroïsme de Jacques et que je me suis promis de suivre son exemple si je devais être repris. J’ai eu la chance de ne pas avoir à le faire.

Chapitre 8 – Georges Cambremer

Quinzième partie

Combat :  Vous êtes donc arrivé à Paris.

G.C. : Oui, et là, j’ai pris contact avec le commandement des FFI de la Rue de l’Abbé de l’Épée. Je me suis fait connaître et on m’a intégré dans l’organisation. Il y avait beaucoup de fébrilité parce que le débarquement de Normandie était annoncé pour bientôt. Et puis, dans la nuit du 5 juin, le message codé est arrivé : c’était pour le lendemain matin. Le message était surtout destiné aux réseaux de Normandie qui devaient préparer le terrain pour les alliés. Mais il avait mis le feu aux esprits des FFI de Paris. Pour l’instant ils avaient ordre de demeurer inactifs. On ne voulait pas risquer de déclencher les terribles représailles dont Von Choltitz avait menacé Paris.
Les informations que nous recevions sur les plans des alliés étaient vagues, imprécis. On ne savait pas quand ils allaient arriver à Paris ni même s’ils n’allaient pas le contourner. Ce sont les communistes, les Francs-Tireurs, qui ont déclenché l’insurrection, le 19 août, un peu trop tôt sans doute, on le sait aujourd’hui. Mais ce qui était fait était fait. Il n’était plus possible de revenir en arrière. Rue de l’Abbé de l’Épée, on s’est décidé à lancer aussi l’ordre d’insurrection générale. La suite, on la connait : l’occupation de la Préfecture de Police et de l’Hotel de Ville, la Wehrmacht prise au dépourvu qui se ressaisit vite et qui tire au canon sur la Préfecture, la situation désespérée des assiégés, et puis l’entrée de Leclerc dans Paris, la capitulation de Von Choltitz, l’arrivée de De Gaulle, son formidable discours du 25 Aout, et toute la suite…

Combat : C’est effectivement encore dans toutes les mémoires, Monsieur le Ministre. Mais ce que nos lecteurs ne savent pas c’est quel a été votre rôle pendant ces évènements. Pouvez-vous nous en parler ?  

G.C. :  Je pourrais, bien sûr, mais à vrai dire je n’aime pas beaucoup me mettre en avant dans ce genre de choses. Ce sont les soldats de Leclerc, les FFI et le peuple de Paris qui ont libéré la Ville. Mon rôle à moi n’a été que modeste. Disons simplement qu’avant le 19 aout, j’ai rendu divers services en faisant la liaison entre les réseaux des différents quartiers et deux ou trois fois, j’ai transporté des munitions. J’ai même collé des affiches un peu partout dans Paris. C’était pendant la nuit du 13 au 14 juillet ; les affiches donnaient des informations sur l’avancée des alliés vers Paris et appelaient la population à célébrer la Fête Nationale et à se préparer à l’insurrection. Du 19 au 24 aout, pendant que les Allemands assiégeait la Préfecture et l’Hôtel de Ville, j’ai continué à assurer la liaison entre les FFI des quartiers. Et puis le 24 au soir, j’ai reçu l’ordre de me poster avec un petit groupe d’une dizaine de FFI du Vème à Denfert Rochereau et d’y attendre les chars de la 2ème DB qui devaient entrer dans Paris le lendemain matin par la Porte d’Orléans. Vous vous souvenez que ce jour-là, dans Paris, c’était déjà la fête depuis dix heures du soir parce qu’une dizaine de blindés de l’armée Leclerc était parvenus sans encombre jusqu’à Notre Dame. Il faisait chaud, et les cloches sonnaient de partout. À Denfert, toutes les brasseries de la place étaient ouvertes et débordaient de gens qui chantaient, qui dansaient, qui s’embrassaient. Curieusement, les Allemands ne se montraient pas. Nous avons passé la nuit là. À l’aurore, les civils étaient partis se coucher et nous demeurions sur la place à guetter l’avenue d’Orléans par où devaient arriver les chars. Ce n’est que vers 9 heures et par l’avenue du Parc Montsouris qu’une colonne est arrivée. Nous nous sommes faits connaître du char de tête et, par deux ou trois, nous avons grimpé sur les tourelles des premiers engins pour les guider vers l’Hôtel de Ville. Nous avons rejoint la rue Saint-Jacques et c’est quand nous commencions à descendre vers la Seine que la colonne a été prise sous le feu de mitrailleuses lourdes. Elles étaient installées tout en haut de l’observatoire de la Sorbonne et prenaient toute la rue en enfilade, depuis la rue Soufflot jusqu’à la Seine. Le FFI qui se tenait à côté de moi a tout de suite été tué. Tout le monde a sauté à terre pour s’abriter et les chars ont attaqué la tour au canon. Au bout d’une dizaine de minutes, les mitrailleuses se sont tues et nous avons pu continuer vers Notre-Dame, mais brusquement le char sur lequel j’étais a tourné à gauche pour remonter vers le Sénat, suivi par cinq ou six autres. En fait, il y avait une poche de résistance allemande fortement installée dans le Palais du Luxembourg, avec des tranchées, des blockhaus, et des armes lourdes. Il a fallu plusieurs heures pour la réduire. Ensuite, nous avons fait notre jonction avec les autres groupes de Leclerc et avec les Américains place de la Concorde. Paris était libéré.
Voilà ce qu’ont été mes quelques jours à Paris au moment de la Libération. Vous voyez, pas d’acte d’héroïsme particulier, mais je suis fier d’avoir pu participer à la bataille.

Combat : Monsieur le ministre, nous vous remercions pour ces éclaircissements qui, nous n’en doutons pas, permettront à nos lecteurs de se faire une opinion sur votre action pendant les années d’occupation. Passons maintenant, si vous le voulez bien, à votre carrière politique. Comment a -t-elle débuté ?

G.C. : Voyez-vous, je suis né dans une famille catholique. Mon père était un homme d’affaires. On parlait peu de politique à la maison, mais je savais que ses sympathies allaient plutôt à l’Alliance Démocratique, c’est-à-dire au centre. Je ne dirai pas que je n’étais pas influencé par lui, mais je n’avais pas vraiment de position affirmée.

Combat : On a dit pourtant que votre père était inscrit au Parti Populaire Français, qui était notoirement pro-nazi. D’ailleurs, l’accident de voiture dans lequel il a été tué s’est produit sur la route de Berlin alors qu’il revenait de la grande parade nazie de Potsdam organisée par Goebbels après le succès d’Hitler aux élections de février 33.

G.C. : C’est inexact. Tout d’abord, j’affirme que mon père n’avait aucune sympathie pour le régime nazi, qui n’était d’ailleurs que naissant à l’époque. Il n’était inscrit à aucun parti politique, pas plus au PPF qu’à l’Alliance Démocratique, d’ailleurs. Pour ce qui est de l’accident dans lequel il a trouvé la mort, il s’est effectivement produit en Allemagne, mais la présence de mon père là-bas n’avait rien à voir avec les Nazis. Il s‘était rendu à Berlin pour ses affaires, comme il le faisait très régulièrement. Ce jour-là, il aurait tout aussi bien pu se trouver en Italie, en Belgique ou en Angleterre qu’en Allemagne.
Tout le monde sait que ces calomnies ont été répandues pour me nuire. Ce sont d’ignobles procédés malheureusement devenus courants de nos jours en politique. Ils ont profondément blessé ma mère qui a eu du mal à s’en remettre. Pour ma part, après quelques années au service du pays, j’en ai pris l’habitude et je sais à présent comment traiter ces insinuations : par le mépris.

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