Le Cujas (48)

Pour la deuxième fois en moins d’un an, on me proposait un engagement radical et c’était le même Cottard qui m’avait engagé à servir Vichy qui m’incitait à présent à le combattre. Bien sûr, il avait raison : un soldat de plus ou de moins dans les rangs des F.F.L., quelle importance ? Mais un agent au sein du gouvernement ennemi, c’était inespéré. Bien sûr rester à Vichy, dans ce milieu délétère de la collaboration, ce serait pénible. Je savais que j’aurais du mal à toujours dissimuler mes sentiments, mais au moins je servirais la France, la vraie, plus efficacement qu’en allant faire le coup de feu dans le maquis ou en Afrique du Nord.
Ma décision était prise et je le dis à Cottard.

Chapitre 8 – Georges Cambremer

Onzième partie

« Très bien, a-t-il dit. Je prends cela comme votre parole d’officier. Maintenant, vous allez retourner à Vichy. Trouvez une bonne explication pour ce voyage à Marseille. Reprenez votre travail et même si certaines tâches vous écœurent, ne changez rien, ne faites de zèle ni dans un sens ni dans un autre. Soyez un fonctionnaire modeste et modèle, ne prenez pas de risques, écoutez, regardez, ne notez rien, souvenez-vous. Dans un mois, dans trois mois, dans six, on vous enverra quelqu’un qui vous dira quoi faire. Voulez-vous choisir un nom de guerre ? Ce sera en même temps le mot de reconnaissance pour votre futur contact. »
Je ne sais pas pourquoi ça m’est revenu à l’esprit d’un seul coup, mais je n’ai pas hésité une seconde et j’ai dit « Charles Martell avec deux ailes ».
Cottard a acquiescé, il a fait signe au patron de mettre la note sur son compte et en se levant pour partir, il m’a dit : « Moi, je suis Guermantes. Je vous laisse. Mais avant, laissez-moi vous dire une dernière chose : ne soyez plus jamais imprudent comme vous l’avez été aujourd’hui avec moi. J’aurais pu tout aussi bien être un fidèle de Vichy et vous dénoncer aussitôt. Ne faites plus jamais part de vos vrais sentiments ni de votre activité à qui que ce soit, votre maîtresse, votre mère, votre confesseur… personne, je dis bien personne. » Et il a achevé dans un sourire : « Et maintenant, adieu, Charles Martell avec deux ailes, et bonne chance ».
Deux mois plus tard, on m’a fixé un rendez-vous à Vichy le long de la promenade du Lac d’Allier. C’est une femme qui est venue. Ce jour-là, tout en lançant du pain aux canards, en moins d’une demi-heure, elle m’a donné toute une série d’instructions, sur la façon de communiquer, les boîtes aux lettres, les procédures d’urgence, quel genre d’information je devais rechercher. Elle devait avoir une cinquantaine d’années. Elle ne m’a pas dit son nom et je ne l’ai jamais revue, même pas après la guerre, dans les associations de Résistance. C’est ce jour-là que je suis devenu un espion. Le mot me faisait sourire parce qu’il me rappelait les romans de ma jeunesse. Mais c’est pourtant ce que j’étais devenu en quelques minutes. Et à vrai dire, c’est ce que j’ai été pendant près de deux ans, jusqu’à ce que je décide de rejoindre ouvertement la Résistance en décembre 43… Voilà !

Écoutez, mon vieux, soyez gentil. J’ai une migraine épouvantable et ma fièvre est loin de s’arranger. Vous ne pensez pas que vous en savez déjà beaucoup et que nous pourrions mettre un terme à ce dîner ? D’ailleurs, le restaurant va bientôt fermer. Ah ! Monsieur Wang, nous allons partir ; voulez-vous me préparer la note, s’il vous plaît ?

Plus de détails ? Mais sur quoi, grands dieux ? Sur ce que j’ai fait à Vichy ? Mais je vous l’ai dit. J’ai suivi les conseils de Cottard et les instructions que je recevais de mon correspondant : continuer mon travail de fonctionnaire loyal et dévoué au sein du Ministère de l’Intérieur et transmettre à la France Libre les renseignements que je pouvais obtenir. C’était un rôle modeste, vous savez, et la plupart du temps, j’ignorais si les informations que je transmettais étaient précieuses ou anodines ou même seulement utiles. Mais je suis fier d’avoir ainsi contribué, même de façon mineure, à la victoire des alliés…
Maintenant, je vais aller me coucher. Je suis vraiment épuisé, vous savez ?

Dites, vous êtes insatiable, vous ! Oui, Cottard est mort. Il a été tué par la Résistance en juin 43. Lui et son chauffeur se sont fait mitrailler dans une voiture de la Préfecture. Ça a été une erreur tragique :  ceux qui avaient décidé de son exécution le prenaient pour un collaborateur ; ils croyaient qu’il était responsable de nombreuses arrestations de résistants et de juifs. Ce qu’ils ne savaient pas, ce qu’ils ne pouvaient pas savoir, c’est qu’au sein de la Préfecture de Marseille, et plus particulièrement dans sa fonction de directeur adjoint de la police, il rendait de nombreux services à la Résistance et à Londres. Je suis persuadé qu’un jour, il sera réhabilité. Ça ne saurait tarder.
Bon, écoutez, maintenant ça suffit ! Je vous laisse, que vous le vouliez ou non. Je ne vous en dirai pas plus ce soir. Ne m’en veuillez pas, mais je ne me sens pas bien du tout.

Écoutez, je vous propose une chose. Dans quelques jours, je vous écrirai une lettre. Je vous raconterai ce que j’ai fait entre début 42 à Vichy et la fin de la guerre. Cela vous va ?

….

Oh ! Pas avant quelques semaines, probablement. Comme je vous l’ai dit, notre gouvernement est en crise et en ce moment, je n’ai pas une minute à moi.

Dans ce cas, je vous la ferai parvenir chez vous, à New-York. Écrivez-moi votre adresse sur ce bout de papier, s’il vous plaît…Merci.
Eh bien, bonsoir Monsieur Stiller. Monsieur Wang se fera un plaisir de vous appeler un taxi. Moi, je rentre me coucher. Mon chauffeur m’attend. Adieu.

***

A SUIVRE 

Bientôt publié

28 Mar, 07:47 Stations de Métro – 4, 5, 6
29 Mar, 07:47 ¡ Adelante !
30 Mar, 07:47 Le Cujas (49)

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