Le mécanisme d’Anticythère – Chapitre 11-1 – François Coulon

Chapitre 11-1 – François Coulon
Hiver 1902

Timothy reprend conscience peu à peu. Il se soulève légèrement et la peau de son torse se décolle lentement du cuir du canapé comme un sparadrap d’un membre blessé. Il tourne la tête péniblement et regarde autour de lui. Une demi-obscurité règne dans le laboratoire. Le puissant projecteur qui éclairait la machine est toujours allumé. Il git de tout son long, de l’autre côté de la pièce, son abat-jour métallique tourné vers le mur. Une chance qu’il n’ait pas mis le feu au rideau tout proche. Sur le bureau, deux bouteilles et une carafe vides à côté d’un verre renversé voisinent avec le carnet de notes de Timothy, tâché de vin. À côté du canapé, une chaise est renversée. L’extrémité d’une longue ceinture de toile est encore attachée à son dossier. Un foulard de soie roulé en forme de bandeau et noué aux deux bouts git sous la chaise à côté d’un verre brisé. Le chapeau de tweed de Timothy est posé un peu de travers sur la machine. Dans la pénombre, ses rouages lui donnent l’apparence d’un visage offusqué qui, du haut de sa sellette, observerait le désordre de la pièce avec réprobation. Seirina est nue, renversée sur le dos dans le fauteuil club. Sa nuque et ses épaules sont appuyées au fond du siège et son menton repose sur sa poitrine. Ses coudes sont relevés sur les accoudoirs tandis que ses mains pendent à l’extérieur. Ses jambes, raides, sont écartées sans pudeur. La sueur a collé la frange de ses cheveux en une succession de festons sur son front. Sa bouche est entrouverte. Elle dort.

Timothy s’assied avec effort. Au contact du cuir sur ses cuisses, il s’aperçoit qu’il ne porte rien d’autre que sa large chemise de lin, déchirée à l’emmanchure.

Il se lève et s’approche de Seirina pour mieux la contempler. Malgré sa pose désarticulée, sans grâce, malgré le petit filet de salive qui coule du coin de sa bouche et le léger ronflement qui émane de sa gorge, il la trouve belle. Elle est belle, et il l’aime. Maintenant, il en est sûr, il l’aime. Depuis tous ces mois qu’ils vivent ensemble, jamais ils n’avaient connu une telle union, aussi longue, aussi forte, aussi débridée. Elle avait crié, rit, pleuré, juré, en grec et en anglais. Elle s’était assoupie, réveillée, relevée à nouveau. Elle était allée chercher de l’eau, du fromage, des olives, du vin résiné. Ils avaient mangé, bu, et fait l’amour encore. Elle avait inventé des jeux. Elle l’avait embrassé, caressé, bousculé. Elle avait raconté sa vie, écouté la sienne, s’était rendormie, réveillée à nouveau. Il n’en était pas certain, mais il pensait qu’il avait dû s’évanouir deux fois. Il n’imaginait pas qu’un tel paroxysme de plaisir soit possible. Pour le timide orphelin de la Saint Faith’s Public School, l’étudiant isolé du King’s College, le chercheur solitaire passionné d’archéologie, une telle fusion dans l’union physique ne pouvait signifier que l’amour.

Il allait épouser Seirina, tout de suite, demain, le plus tôt possible. Il allait la réveiller, l’emmener dans un grand restaurant et lui demander sa main à la fin du repas. Le King George du Megali Britannia serait le meilleur endroit pour ça. Il était encore connu là-bas et il pourrait glisser un billet au maître d’hôtel pour qu’il arrange quelque chose de somptueux mais qui aurait l’apparence de l’impromptu. Ce serait parfait.

Il s’avance, ébloui, et touche doucement l’avant-bras de Seirina.

A SUIVRE

2 réflexions sur « Le mécanisme d’Anticythère – Chapitre 11-1 – François Coulon »

  1. Il est vrai que ce récit manque un peu d’unité sur le plan du style et de la tenue morale (ça va avec), mais il faut dire qu’on écrit pas au temps du siège de Syracuse comme à celui du tournant du XXème siècle.
    Il est vrai qu’avec la libération des moeurs qui l’a accompagné (le tournant), le narrateur (qui n’est pas assez omniscient à son goût) a écrit, non sans plaisir, quelques pages débridées. Mais après la solennité historique des premiers chapitres, après la chaleur torride des après-midi sur les pentes du Lycabette, la rigueur scientifique et l’ennui ne vont pas tarder à envahir le plateau.

  2. Allons bon , voilà qu il devient torride ce récit inclassable: car il est inclassable ce mécanisme débridé qui nous balade au gré de la fantaisie illimitée de son auteur….
    Mais il écrit où notre auteur depuis que les cafés sont fermés?
    À force de fréquenter les clochards , aussi..

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