Le mécanisme d’Anticythère – Chapitre 10-1 – Agapimenimou

Chapitre 10-1 – Agapimenimou
1902 

Pendant ce temps, Seirina s’ennuie. Ce soir, appuyée au balcon de la grande maison, elle regarde le soleil descendre sur l’Acropole. Mais la splendeur du spectacle la laisse indifférente. Depuis deux mois qu’elle a emménagé dans la maison de son anglais, presque chaque soir, elle a regardé le soleil se coucher en attendant que celui qu’elle appelle Agapimenimou veuille bien s’occuper d’elle. Le coucher de soleil, l’Acropole, tout ça, elle s’en fiche. Ce qu’elle voudrait, c’est qu’il sorte un peu de son atelier où il passe ses journées et une partie de ses nuits à tourner autour de ce morceau de ferraille verdâtre qui l’obsède et qu’elle n’a fait qu’apercevoir par l’entrebâillement d’une porte.  Elle voudrait qu’il l’emmène à Omonia pour lui acheter des robes, des foulards, des colliers. Elle voudrait qu’il s’habille en gentleman et que, tous les deux, ils entrent avec nonchalance dans un de ces restaurants chics de Syntagma. Ce qu’elle voudrait, c’est qu’après diner, ils prennent un fiacre pour aller boire et danser à Plaka dans ce cabaret à bouzouki où il l’avait rencontrée pour la première fois.

Une fois de plus, elle s’ennuie, mais aujourd’hui, elle en a assez. D’un seul coup, furieuse, elle rentre dans la maison, claque la porte

du salon et commence à monter vivement l’escalier qui mène au laboratoire qui il lui est interdit. Arrivée devant la porte, elle se reprend un peu. Elle respire profondément puis elle frappe, trois petits coups, tout doucement.

— Agapimenimou, je m’ennuie. Ouvre-moi !

Comme elle n’obtient pas de réponse, elle frappe un peu plus fort :

— Timothy, ouvre s’il te plait !

Elle frappe à nouveau, encore un peu plus fort et sous les trois petits chocs, la porte, d’habitude fermée à clé, pivote sans bruit sur ses gonds et s’ouvre légèrement.

Timothy est là, assis sur un haut tabouret, penché sur une stèle qui supporte le fameux objet verdâtre. Il a fermé tous les rideaux noirs dont il a équipé les fenêtres. Une seule grosse lampe électrique allumée derrière lui éclaire la scène en contre-jour. Il tient dans sa main gauche une grosse loupe et dans sa main droite une toute petite brosse. Ses dents sont serrées sur un crayon qu’il tient en travers de sa bouche, et un carnet ouvert est attaché par un gros élastique sur sa cuisse droite. Impressionnée, Seirina a quitté toute impatience. Doucement, elle dit :

— Agapi, qu’est-ce que…

Sans lever les yeux de sa loupe, il agite vers elle la petite brosse en signe de dénégation. Puis il dépose l’instrument sur la stèle, ôte le crayon de sa bouche, et écrit un seul signe sur son carnet. Enfin, il pose le crayon et se tourne vers elle. Il la regarde sans la voir, l’air béat. Puis il se lève, le carnet toujours collé à sa cuisse et s’avance vers elle.  Il a l’air halluciné. Il lui fait peur. Elle recule.

— Excuse-moi, Agapi. Je ne voulais pas…

Mais il lui sourit, lui pose les deux mains sur les épaules et lui dit dans un souffle exalté :

— Ce n’est pas Hipparque ! Ce n’est pas lui qui a fait cette machine ! C’est extraordinaire !

Comme elle reste sans voix, il continue :

— Mais, tu ne comprends pas ? Ce n’est pas Hipparque qui a fabriqué cet astrolabe !

— Mais enfin, qu’est-ce que c’est que ce vieux machin tout abimé ? Et c’est qui, Hipparque ? Et c’est quoi, un astrolabe ?

Timothy la regarde étonné, presque choqué par cette incroyable ignorance, puis il se ravise :

— Ah, oui, c’est vrai, ma pauvre Seirina, tu ne sais rien de tout ça, toi.

Il la pousse doucement par les épaules jusqu’au grand canapé qui fait face à la stèle.

— Assieds-toi là, je vais tout t’expliquer.

(A SUIVRE)

 

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