Le mécanisme d’Anticythère – Chapitre 6

Chapitre 6 – Lettre de César à Cicéron
Hiver 74 avant J.C.

Ave Marcus Tullius Cicéro,
Salut à toi

Avant de t’informer des développements récents de ma propre carrière, je dois te dire que je suis la tienne avec intérêt et admiration. Avec ton accession au rang de questeur, la République n’aurait pu trouver d’homme plus méritant ni plus compétent pour administrer cette belle province de Sicile. Cependant, et pour importante qu’elle soit, cette élection me parait n’être qu’une étape vers les très hautes fonctions qui t’attendent un jour à Rome.

Pour ce qui est de mon propre sort, tu sais qu’après mes succès militaires de Mytilène, j’avais été envoyé comme ambassadeur auprès de Nicomède et que j’ai pu y servir grandement la République en persuadant le roi de Bithynie de respecter ses engagements de soutien indéfectible de Rome dans sa lutte contre Mithridate. Je te connais assez pour savoir que tu n’accorderas aucun crédit à cette infâme rumeur selon laquelle je serais devenu à cette occasion l’échanson et le favori du roi et que tu lutteras contre elle avec toute ton intelligence et tout ton talent.

Depuis que j’ai quitté la cour de Nicomède, les Dieux m’ont fait connaitre des péripéties que je me dois de te raconter dans le détail. Tu en comprendras bientôt la raison.

Voici : devant les résultats de mon action en Bithynie, le Sénat m’a confié une nouvelle mission diplomatique qui m’a conduit dans cette belle ville Pergame. Toi qui suis les affaires de la République mieux que personne, tu n’ignores pas que les relations entre Rome et le Royaume de Pergame étaient devenues exécrables. Des troubles éclataient épisodiquement dans l’arrière-pays et le paiement de notre tribut en souffrait considérablement. En moins de quatre semaines, j’ai conçu et mis en place une transformation complète de l’administration du royaume ; Grâce à la signature d’accords commerciaux avec des hommes dont je me suis assuré la fidélité, le tribut sera désormais payé régulièrement et le gouverneur corrompu, envoyé en exil aux confins de la Germanie, sera remplacé par Appius Claudius Sabinus, un ami très proche.

De plus, et si les Dieux ne m’avaient pas été si contraires, je serais rentré à Rome couvert d’autant d’or que de gloire. En effet, usant de pressions, de caresses et de corruption, moyens souvent d’une grande efficacité dans ces régions reculées, je m’étais fait remettre la plus grande partie du trésor tiré du sac de Corinthe dont Lucius Mummius avait scandaleusement privé Rome pour le distribuer à des fins personnelles.

J’ai donc embarqué sur la trirème Alba à la fin de l’automne. Au préalable, j’avais fait aménager la cale et la partie arrière de la galère pour y accueillir mes appartements ainsi que ce fameux trésor. Le vaisseau serait plus lent que d’ordinaire, car il ne comporterait plus que soixante rameurs au lieu des cent habituels. Mon retour à Rome en serait donc retardé, mais combien plus glorieux.

Alors que je voguais vers notre chère patrie, l’Alba fut abordé de nuit près de l’ile de Farmakosini par l’un de ces groupes de pirates qui, depuis quelques années, rendent notre mer si peu sûre. Après s’être traitreusement rendus maitres de la galère, les pirates reconnurent vite en ma personne un Romain de haute noblesse dont ils pourraient tirer profit. Ils me laissèrent donc la vie sauve ainsi qu’à deux de mes serviteurs et à une grande partie des galériens. Cependant, et malgré mes menaces, ils passèrent toute ma garde au fil de l’épée. Tout en me traitant avec le respect dû à mon rang, les pirates m’enchainèrent dans mes appartements. Désormais commandée par le chef des pirates, l’Alba se mit à naviguer plein sud, de concert avec la mauvaise barcasse qui nous avait arraisonnés. Je soudoyais facilement la crapule chargée de m’apporter mes repas et j’appris de lui que nous nous dirigions vers Lipari, à toute proximité de la côte Nord de la Sicile. Lors de ma troisième nuit de captivité, nous avions mis cap à l’ouest et nous nous trouvions quelque part entre la pointe du Péloponnèse et la Crète. L’Alba et le bateau des pirates avaient été mis au mouillage presque bord à bord à proximité d’une petite ile. Une tempête survint brusquement. Si le vaisseau pirate tint bon sur son ancre, la galère, plus lourde et mal arrimée par ces mauvais marins, rompit ses amarres pour aller se fracasser sur les rochers. Certainement protégé par Vénus dont tu sais que je descends, je fus projeté sur l’ile sans autre blessure que des estafilades aux jambes et au dos. Mes deux serviteurs connurent le même sort, mais les trésors de Pergame et la plupart des galériens sombrèrent avec l’Alba. Au matin, la tempête s’étant calmée, je parcourus la petite ile pour y trouver du secours. Elle était malheureusement déserte. Je fus donc très vite capturé à nouveau par les pirates qui me ramenèrent sur leur pauvre bateau. Nous reprîmes notre route. Trois jours plus tard, arrivé à Lipari, je constatai que cette petite ile constituait pour les très nombreux pirates qui s’y trouvaient un repère idéal, riche en eau et en abris côtiers. Les pirates se réunirent en assemblée et décidèrent de demander pour ma libération la considérable rançon de vingt talents. Je pris aussitôt la parole pour protester contre la somme et réussis à les convaincre que ma personne valait beaucoup plus que cela et que ma famille et mes amis seraient heureux de réunir cinquante talents pour obtenir mon retour à Rome. Je leur promis également que s’ils me libéraient, je lèverais une armée pour les pourchasser, les capturer et les faire crucifier un par un tout au long de la route qui va d’Ostie à Rome. Les barbares se moquèrent de moi et de mes menaces, mais acceptèrent que l’un de mes serviteurs se rende à Rome, porteur d’une lettre demandant rançon. C’est cette lettre, que je n’ai écrite de ma main qu’après m’être assuré qu’aucun de mes ravisseurs ne savait lire, que tu tiens entre tes mains.

Voici donc, mon cher Marcus, ce que je te demande : Vas voir toute ma famille et visite tous mes amis. Expose-leur ma situation et demande-leur de te confier tout l’argent qu’ils pourront pour réunir non pas, cinquante talents, montant de la rançon, mais le double. Voici l’explication de cette énorme somme : une fois constituée, tu en confieras la moitié au porteur de cette lettre qui reviendra à Lipari pour payer la rançon. Avec l’autre moitié, tu rassembleras quarante vaisseaux et une armée de mille hommes qui m’attendra au port d’Ostie. J’en prendrai le commandement dès mon retour pour partir en campagne et tenir ma promesse.

Si par extraordinaire, les contributions de ma famille et de mes amis ne parvenaient pas jusqu’à la somme nécessaire, je te mandate, mieux, je te prie d’emprunter aux conditions que l’on pourra te faire pour la compléter en faisant valoir comme garantie la confiance que chacun doit avoir dans mes futures et fructueuses conquêtes et dans mon avenir politique.

Aussi certain suis-je de tenir la promesse que j’ai faite aux bandits, aussi certain je suis que tu sauras en réunir les moyens, et je te laisse avec cette tâche aussi immense que l’amitié et l’admiration que j’ai pour toi.

Porte toi bien, Marcus Tullius Cicero, mon ami

Caius Iulius César, ton ami

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