Retour de Campagne (17) – À la mer comme à la mer

À la mer comme à la mer

Nous voilà à nouveau confinés au bord de la mer mais cette fois-ci, ce  n’est plus le printemps, et, croyez moi, en hiver, c’est une toute autre aventure ! Heureusement, il y a des compensations. D’abord, les rues sont   (presque) désertes et le nombre d’irresponsables sans masque est bien moindre qu’à Paris. Mais, attention, comme me l’a fait remarquer un ami ingénieur bienveillant, il faut se méfier d’un effet d’échelle qui pourrait bien pondérer mon enthousiasme. Malgré le pessimisme de ce rabat-joie, c’est tout de même rassurant pour le moral des septuagénaires. Ainsi, en allant faire mes courses ce matin, je n’ai croisé que cinq personnes dont une seule sans masque. Remarquable, non ?

Mais la vie au bord de la mer à la mauvaise saison n’a pas que des avantages, loin de là ! Il m’est revenu le souvenir des B., jeunes retraités enthousiastes de 60 ans, partis s’installer dans leur village d’adoption, Lesconil, où ils réussirent à survivre six mois en plein hiver avant d’être rapatriés à Paris. Je connais bien ce charmant village breton à deux pas de la Pointe de Penmarch qui a vu se multiplier à l’infini les petites maisons blanches toutes identiques les unes aux autres avec des toits en ardoises grises. Malgré cela, c’est assez beau à condition d’aimer le comique de répétition et de ne pas sortir de sa voiture car il n’y a rien à voir ni à faire. A quelques kilomètres, Saint-Guénolé est plus intéressant, surtout en cas de tempête, et, à la rigueur, la Pointe du Raz, mais là, il faut marcher contre un vent effrayant ce qui est amusant à vingt ans mais beaucoup moins à soixante dix.

Ici, comme nous ne lisons pas les journaux et n’avons pas la télévision, notre moral d’autruches dépend surtout de la météo : hier, le temps était magnifique, sans nuages ni vent. Il faisait si chaud qu’on a déjeuné dehors, c‘est vous dire, et on s’est même endormis au soleil après le café. Quel luxe scandaleux quand on pense aux malheureux confinés en appartements ! Que ces défavorisés se rassurent, ça n’a pas duré. Vers 14 heures, le vent s’est levé, que dis-je le vent, la tempête, plutôt. Ce n’était pas grave parce que l’après midi, d’habitude, nous restons à la maison. Le soir, à la tombée de la nuit vers 17 heures, un froid glacial s’est installé et le thermomètre indiquait 4 degrés. C’est peu. On a augmenté les chauffages électriques et on a réussi à dormir avec un pull, la couette, deux couvertures et le calva. Ce matin, le froid persistait et le vent soufflait encore plus fort. Malgré ce temps inhospitalier, le mot est faible, je suis quand même sorti me promener. A marée basse, l’estran est couvert d’algues dont la couleur verte n’est pas déplaisante, mais l’odeur, elle, est insupportable. Elle durera jusqu’à la marée haute, mais auparavant, il n’était guère possible de se promener car le masque ne protège pas des odeurs nauséabondes, mais alors pas du tout !

Ce que l’on ignore quand on a passé toute sa vie à Paris, c’est que le plus éprouvant au bord de la mer en hiver, ce n’est ni le froid, ni le vent, ni la pluie mais l’humidité qui vient vous rappeler votre âge et surtout celui de vos articulations. Pour lutter contre ce fléau, il y a bien le feu dans la cheminée mais à condition d’avoir fait des réserves de bûches pour qu’elles aient eu le temps de sécher. Debout, à quelques centimètres des flammes, vous avez alors une pensée envieuse pour vos amis qui se sont équipés, eux, de poêles inesthétiques mais autrement efficaces …

Du matin au soir, nous sommes donc à l’écoute de la météo au cas où elle se serait trompée dans le bon sens : mauvais temps annoncé mais beau temps à l’arrivée. Si, ça arrive, mais c’est rare. Pour vous faire mieux comprendre nos espoirs insensés, sachez qu’après trois jours sibériens avec 4° aux aurores, elle prévoit une période bénie avec 18° dans l’après midi ! On croit rêver ! On va pouvoir à nouveau déjeuner dehors, dans le petit carré au fond du jardin où la bassesse du soleil, au propre comme au figuré, nous éblouit entre 11h30 et 13H30 précises. Après, il se cache derrière le toit de la maison et la froidure se réinstalle. Cette embellie doit durer une bonne semaine. Dans ces conditions, vous l’imaginez bien, on ne va tout de même pas rentrer à Paris.

Malgré l’absence de télévision, nous sommes des privilégiés entourés de  centaines de livres. Anne et moi adorons les livres, pour l’objet lui-même et les rêves qu’ils recèlent, et nous en avons achetés plus que de raison. La plupart, je ne les ai pas lus et je les garde « pour plus tard » sur les rayons de bibliothèques gigantesques comme celle qui occupe tout un mur là où nous sommes confinés aujourd’hui. J’ai aussi enregistré dans ce merveilleux appareil que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, l’i-pod, plus de vingt mille morceaux de musique classique, de jazz, de chansons françaises et anglaises. J’ignore toujours le sens de ces dernières mais j’ai appris récemment qu’elles n’en avaient pas. Mon dernier stockage compulsif, ce sont des bouteilles, beaucoup de bouteilles, éparpillées un peu partout, dans la cave, la cuisine, les placards et les salles de bains.

Vos interrogations légitimes sur mon comportement et ma santé mentale se sont également posées à moi depuis pas mal de temps. Après des nuits d’insomnie, je suis arrivé à la conclusion suivante : j’accumule tout cela pour le jour où je ne serai plus capable physiquement de sortir de la maison. Vous comprenez alors pourquoi le confinement est à mes yeux une aubaine (dans le contexte actuel, le choix de ce substantif peut sembler déplacé, mais ses synonymes comme une bonne fortune ou une chance auraient été d’encore plus mauvais goût) venue à point nommé me permettre de profiter de toutes ces richesses accumulées. Confiné, certes, mais avec mes livres, ma musique, mes bouteilles, et au bord de la mer, en plus ! Le bonheur, en quelque sorte …

Hélas, la réalité a balayé mes trop belles illusions. Les livres, d’abord : en période de confinement, personne n’a envie de lire, et puis, en plus, les fictions me sont devenues insupportables, comme à cet écrivain tombé dans l’oubli qui avait dit : « Je ne lis plus de romans d’amour parce que c’est trop loin et je ne lis plus de romans de mort parce que c’est trop près ». Il ne me reste donc pas grand-chose en dehors des Trois Mousquetaires. Quant à la musique, j’en écoute le soir mais je m’endors en général au troisième morceau. Aurai-je assez de temps pour écouter les dix neuf mille neuf cent quatre vingt-dix sept autres morceaux ? Ce n’est pas certain. Si mes investissements dispendieux en littérature et en musique se sont avérés peu rentables, l’accumulation de bouteilles de vin aura été, elle, une réussite incontestable. Malgré mes prévisions conséquentes, je crains cependant qu’il ne vienne à manquer si le confinement dure au delà d’un mois.

Après ces digressions intellectuelles, je reprends le cours de mon exposé sur les avantages et les inconvénients de la vie confinée dans une maison au bord de la mer en plein hiver. Afin d’illustrer mon propos et vous faire mieux comprendre notre quotidien et ses multiples implications psychologiques, je vous joins trois photos prises pendant mes dernières balades de soixante minutes. Je signale aux envieux des villes que le confinement en bord de mer a un inconvénient majeur : les possibilités de promenade dans un rayon de un kilomètre autour de chez soi sont réduites de moitié à cause de la mer qui occupe 180 °.

Qu’allais-je donc pouvoir photographier tous les jours pendant un mois ? J’ai décidé de prendre le phare dont les aspects changeants m’évoquent la série des meules de Claude Monet …

1 : le phare par mauvais temps,

2 : le phare par beau temps

 

 

3 : le phare de nuit, au moment d’un éclair de lumière provenant de La Rochelle suivi d’un coup de tonnerre assourdissant comme s’il y avait eu un orage terrible sur le continent ; on  y voyait comme en plein jour !

 

Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes confinés si les gendarmes n’étaient pas passés ce matin nous informer d’un léger changement de programme concernant la durée du confinement. Nous étions un peu surpris parce qu’ils ne portaient pas leur tenue réglementaire habituelle mais une drôle de combinaison argentée et brillante qui les couvrait de la tête aux pieds. Ils nous ont annoncé que, suite à l’explosion de la Centrale Nucléaire de La Rochelle dans la nuit, notre confinement allait durer beaucoup plus longtemps que prévu …

Lorenzo Dell’Acqua

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