¿ TAVUSSA ? (54) : Les fontaines du Rond-Point

Nul doute qu’il ne s’agisse de fontaines démontables. C’est sûr, elles sont là provisoirement en attendant la mise en place après rénovation des anciennes fontaines qui ornaient les six bassins du Rond-Point des Champs Elysées avant qu’elles ne soient bousillées par les supporters de l’équipe de France de football un soir de victoire.

À coup sûr,  cette remise en place, qui devait avoir lieu avant la fin de l’année dernière, a été retardée du fait des réunions hebdomadaires de l’Amicale des Ronds-Points Occupés (A.R.P.O.) On comprend que, afin de ne pas décevoir le touriste exigeant, on ait lancé courant novembre et de toute urgence un appel d’offres pour la réalisation en six exemplaires, plus un exemplaire de rechange, d’une structure légère et démontable destinée à combler le vide laissé par le retard des six fontaines habituelles. C’est le consortium formé des sociétés Entrepose, spécialiste des échafaudages en tous genres, et Technip, spécialiste des tuyauteries industrielles, qui a remporté le marché. Le modèle présenté a enthousiasmé les Services Techniques de la Ville de Paris pour sa facilité de démontage chaque samedi matin et de remontage chaque dimanche matin. De son côté, le Conseiller Culturel de la Mairie a rendu hommage à l’audace du concepteur de l’œuvre en lui décernant un Hidalgo d’Or. Une ombre a été apportée à ce tableau en même temps qu’une fausse note à ce concert quand le PDG d’Entrepose, à qui Anne remettait le trophée à son effigie, a déclaré que c’était son petit fils de 9 ans qui avait fait le dessin de la chose en quelques minutes, mais qu’il trouvait ça moche quand même.

Sur la photographie qui illustre cet article, on remarquera plus particulièrement la légèreté arachnéenne de cette structure, conséquence heureuse de sa démontabilité, comme l’a dit notre Maire à tous, et, comme l’a dit un plouc qui passait par là, sa ressemblance frappante avec trois tuyaux flexibles sans pomme de douche pendouillant lamentablement au-dessus du bac à douche. Ce que la photo ne peut malheureusement pas montrer, c’est que l’ensemble tourne lentement autour de son axe vertical. C’est du plus bel effet.

Mais assez plaisanté, car la réalité est la suivante :

Ces fontaines ont été conçues par Erwan et Ronan Bouroullec, deux designers en vogue qui se bornaient jusque là à dessiner des meubles, des vases et des lampes de chevet, et approuvées spécifiquement par Anne Hidalgo.

De la manière péremptoire qui sied à tout artiste à succès, les Bouroullec ont déclaré : « Ce projet est un iceberg ! » (Personnellement, je ne vois pas ce qu’ils ont voulu dire par là, la ressemblance n’étant pas frappante. On peut en tout cas espérer que ledit iceberg ne coulera pas la caravelle qui représente traditionnellement Paris.) Les mêmes ont ajouté : « Les fontaines sont associées aux moments de joie. Nous avons voulu produire du merveilleux subtil, pas grossier, sans recherche de spectaculaire. Ces six pièces tournent en chorégraphie sur un rond-point où tournent les voitures.  » Si ça, ce n’est pas de la rationalisation du n’importe quoi dans l’approximatif, alors je jure de ne plus jamais boire d’eau d’aucune fontaine, serment qui de toute façon ne sera pas difficile à tenir.

Dire que ces fontaines sont hideuses serait inadapté. Le hideux parfois devient grandiose quand il est placé dans un certain cadre. Regardez le Sacré-Cœur, ce comble du mauvais goût, et voyez comme il est beau parfois en haut de sa colline. Faites-en de même avec l’Arc de Triomphe et ce sera pareil. Les fontaines des frères Bouroullec eussent-elles été hideuses qu’un espoir nous était laissé qu’un jour, devenues inévitables, elles s’imposent en prenant un peu de majesté. Mais non, ces fontaines ne le sont pas, elles n’occupent pas l’espace, elles n’accrochent pas le regard, elles n’existent pas, elles ne sont pas. De leur grêle structure émane un sentiment de fragilité qui met l’oeil mal à l’aise dans cet environnement d’hôtels particuliers somptueux, d’immeubles massifs et d’arbres centenaires (les grands arbres sont toujours centenaires). Leur maigreur maladive les empêche d’encadrer les diverses avenues qui confluent vers le Rond-Point. Déjà laides sous le soleil quand, comme lorsque je les ai vues, elles sont en eau, on imagine le triste et flasque spectacle qu’elles donneront lorsque, leurs robinets fermés pour la saison, elles apparaitront sous un ciel de novembre.

Reprocher à ces tourniquets d’avoir coûté un peu plus de 6 millions d’euros serait pusillanime et malvenu, d’abord parce que les performances de l’A.R.P.O. précitée coûtent dix fois cette somme chaque samedi, ensuite parce qu’on affirme que c’est le mécénat qui en a supporté les frais. Alors, au Quatar, à Dassault, à Svarovsky, aux Galeries Lafayette, à Weston et à la Famille Descours, je dis « Merci les gars ! »

ET DANS LES JOURS QUI VIENNENT

  • 10 Avr, 7 h 47 min Esprit d’escalier n°7
  • 11 Avr, 7 h 47 min Les pavés de l’Hôtel de Guermantes
  • 12 Avr, 7 h 47 min Mon roman – 1

7 réflexions sur « ¿ TAVUSSA ? (54) : Les fontaines du Rond-Point »

  1. On semble oublier ici que la Place de l’Étoile est un Rond-Point à part entière et que son centre a été orné lui aussi d’un machin décoratif, résultat final d’un consensus exceptionnel entre Napoléon 1er , Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe, pas vraiment joli mais auquel on tient d’autant plus que les Gilets Jaunes ont tenté de le détruire.

  2. Je signale, à propos de ronds-points ruraux, celui d’Auvillar Saint-Loup qui, pour rappeler la vocation de l’ancien port du bord de Garonne, arbore fièrement une « pinasse », à moins que ce ne soit une « Marie-Salope » ou une « Gabarre ».
    Ainsi qu’un « hélicoptère », un vrai, sur la route de Paris à Montauban. Ou encore, à Tarbes, un Noratlas de notre jeunesse parachutiste. Et on ne compte plus, à Valence d’Agen, le nombre de pigeonniers anciens mais tout neufs. A Lafrançaise, une véritable ruine romaine à moitié écroulée, toute neuve elle aussi. De quoi ravir les victimes de l’épidémie de jaunisse qui traverse la France.
    Nos ronds-points : une vraie brocante ou une leçon d’Histoire : il m’arrive en voiture d’en faire trois fois le tour, vu que ce sont des tours gratuits. Pourquoi s’en priver.

  3. A propos des spécialités locales qui ornent – ou occupent – les ronds-points, il en est une ici en Bretagne que je trouve exécrable: des beaux petits bateaux de pêche en bois aux couleurs gaies, qui ont noblement fièrement accomplis leurs missions côtières avant qu’une sinistre loi du sinistre ministre de la pêche Melick (oui, rappelez-vous, celui-là même qui était maire de Valencienne et avait fricoté avec le non moins sinistre Tapie dans un match de foot trucqué avec l’OM) les envoient honteusement finir leurs jours sur des ronds-points, ces dépotoirs dont la France détient le record du monde. Les plus chanceux ont eu la chance d’être repris avantageusement par des pêcheurs anglais ou irlandais.

  4. Les sculptures, non, les créations, qui ornent, non, qui occupent les ronds-points de nos villages, à l’opposé des tuyaux de douche qui pendouillent aux Champs-Elysées, sont souvent des allégories ou des illustrations rudimentaires des spécialités du pays. Une cigale et une fourmi en ferraille pour Chateau-Thierry, un pressoir en bois et un joyeux vigneron en plastique pour un village de Bourgogne, une charrue en miniature et une botte de paille en paille pour un village de Beauce. L’honnête naïveté qui caractérise souvent ces installations fait sourire le voyageur débonnaire en même temps qu’elle fait la fierté du Conseil Municipal. Alors, bon…Le voyageur débonnaire tourne autour, poursuit sa route et le Conseil Municipal se félicite et tout va bien.
    Il n’en est pas de même pour les tristes tourniquets des Champs. Tandis que le Bobo s’extasie et que le Parisien en colère cherche ailleurs où accrocher son regard, l’asiatique mystérieux et de passage ricane en transmettant les photos qu’il en a prise avec son téléphone-espion Huwaei au Ministère de la Culture Conforme et de l’Agriculture Efficace, lequel en fera fabriquer 25000 par une usine de matériel d’arrosage automatique de Shenzhen pour les disperser dans le désert du Taklamakan.

  5. Et voilà comment la Mairie de Paris, sous l’impulsion de sa Mairesse du Palais visionnaire, est déficitaire en entretenant tout un petit monde obséquieux aux ordres, dont effectivement les S.T.V.P. et le C.C.P. cités plus haut, tous rigolards à bord de la nef (c’est pas une caravelle!) avec une seule devise « Pouvu que ça Dure », adaptation moderne du traditionnel « Fluctuat Nec Mergitur ». Et Raymond Devos tournant autour du R.P.C.E. (Rond-Point des Champs Elysées), pris dans l’engrenage des tourniquets, disait, tout interdit, « il n’y a plus de bon sens ».

  6. Dérisoire, effectivement, c’est ce qui qualifie le mieux ces choses.
    Dérisoire : qui est si insuffisant que cela semble une moquerie, qui mérite d’être tourné en ridicule.
    Synonymes : insignifiant, ridicule, piètre, risible, vain

    Insignifiantes, insuffisantes, ridicules, mais quand même là. Et pour longtemps. A moins que… Les Gilets Jaunes ?…

  7. Après avoir lu dans la presse (bien pensante) les louanges convenues et commandées de rigueur et dans Télérama l’interview des concepteurs (je n’écris pas « auteurs », qui ferait croire à une œuvre d’art), je suis allé voir sur place, précisément hier.
    Je me doutais bien de mon incompréhension, mais à un tel niveau, je n’aurais pas cru.
    Ce n’est jamais facile de « faire beau », mais le choix du laid et du dérisoire qui agrémente de plus en plus systématiquement les ronds-points centraux des communes de France me sidère. Paris, finalement, ne fait que se ranger à grand prix dans la médiocrité.
    Les fontaines et leur symbolique m’ont toujours paru générer d’elles-mêmes la beauté, dans la simplicité au cœur d’un village corse ou dans le foisonnement créatif de celle de Trevi. Massacrer leur message de beauté et de vie est un crime contre l’humanisme.

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