La tempête – Critique aisée n°120

La tempête
William Shakespeare – 1608
Comédie Française – Salle Richelieu – jusqu’au 21 mai 2018

WALTER : — Alors ? Vous y êtes allé, à la Comédie Française ?

EGO : —  Dimanche soir.

WALTER : — Et ?

EGO : — Et quoi ?

WALTER : — Eh bien, c’était comment ?

EGO : — Pas mal.

WALTER : — Pas mal ? Comment ça, pas mal ?

EGO : — Ben oui, pas mal. Bar agréable, Graves blanc bien frais, jolie vue sur la place. Quelques caricatures de Cabu amusantes, un buste de Molière splendide. L’air de la salle était conditionné, l’ouvreur distribuait les programmes et refusait les pourboires, les sièges d’orchestre n’étaient pas inconfortables et la pièce a commencé à l’heure. Elle s’est finie à l’heure, aussi, c’est vrai.

WALTER : — Dites, le bar, la salle, les fauteuils, vous vous fichez de moi, hein ?

EGO : — Moi ? Non, pourquoi ?

WALTER : — Parce que tout ça, on s’en fiche ! C’est la pièce qui compte ! Shakespeare, quand même !

EGO : — Ah, oui. Shakespeare, bien sûr, Shakespeare…

WALTER : — Alors ?

EGO : — Alors quoi ?

WALTER : — Bon, maintenant, ça va, hein ! Dites-moi ce que vous avez pensé de la pièce, sacré bonsoir !

EGO : — De la pièce ? Eh bien, j’hésite, j’hésite…

WALTER : — Vous hésitez ? Pourtant Shakespeare, vous adorez. Et la Comédie Française, on est rarement déçu.

EGO : — C’est vrai. Les acteurs étaient excellents, Vuillermoz, formidable. Le décor, les costumes, minimalistes, mais pour une fois je ne m’en plains pas, au contraire. Des jeux d’ombres impressionnants, des projections vidéo pas trop envahissantes…Et on ne s’ennuie pas un instant.

WALTER : — Ah ! Vous voyez !

EGO : — Oui, mais j’hésite, j’hésite…

WALTER : — Mais vous hésitez à faire quoi, finalement ?

EGO : — Eh bien, j’hésite à donner un avis sur la pièce.

WALTER : — Allons bon ! Et pourquoi, s’il vous plait ?

EGO : — Écoutez, c’est après-demain le quatre-cent deuxième anniversaire de la mort de Shakespeare, alors je ne veux pas en rajouter. D’autant plus que je lui ai déjà taillé quelques costumes, récemment.

WALTER : — Taillé des costumes ? À Shakespeare ? Comment cela ?

EGO : — Eh bien, j’ai eu l’occasion de révéler quelques aspects peu connus et peu reluisants de sa personnalité dans un ouvrage qui, je dois le dire, a fait un certain bruit chez les spécialistes. Vous n’avez pas lu mes « Nouvelles aventures de William Shakespeare » ?

WALTER : — Jamais entendu parler. Mais la pièce, la Tempête ?

EGO : — Je vous en ferai porter un tiré-à-part. Mais la pièce, la Tempête ? Eh bien, c’est là qu’est le problème.

WALTER : — Le problème…

EGO : — Ah oui ! Le problème ! Je n’en ai pas compris le sens. C’était trop compliqué pour moi.

WALTER : — Pourtant, en général, Shakespeare, ce n’est pas compliqué. C’est parfois confus. Disons plutôt, foisonnant. L’intrigue est rarement linéaire, ça part souvent dans tous les sens, il y a des tas de tout petits personnages qui ne servent presque à rien, ça chevauche plusieurs genres en même temps, mais ça vous emmène quelque part, et en général on y arrive, quelque part, essoufflé, mais on y arrive.

EGO : — C’est vrai tout ça, mais cette fois-ci, pour moi, ça n’a pas marché. Je n’avais jamais vu ni lu La Tempête avant cette soirée au théâtre. Eh bien, j’ai dansé d’un pied sur l’autre pendant toute la représentation. Ces naufrages, ces prodiges, ces blagues d’ivrognes, ces élans amoureux, cette vengeance, ces traitrises, ce pardon final, tout cela se produit-il réellement — je veux dire comme dans un conte de fées — ou bien seulement dans la tête de Prospero ? Ce décor, blanc sur blanc, représente-t-il la chambre de l’hôpital où Prospero ne vit plus qu’en imaginant sa vengeance, ou bien le vide de cette ile déserte dans laquelle par sa puissance magique il a réuni tous ses ennemis pour s’en venger ? Eh bien, je ne sais pas !

WALTER : — Mais la mise en scène a bien dû vous donner une indication ?

EGO : —Pour ça, oui. Il est évident que le metteur en scène a opté pour une Tempête sous un crâne. Bien sûr, cette option règle le problème de l’invraisemblance des scènes magiques, celles qui font intervenir les deux esprits, Ariel et Caliban, puisque tout se passerait dans la tête d’un malade paranoïaque, persuadé qu’il est de disposer lui aussi de pouvoirs magiques. Mais alors, comment dans ce schéma expliquer les scènes comiques, celles qui font intervenir les deux ivrognes, Trinculo et Stephano. Comment un malade torturé par sa vengeance inassouvie peut-il raisonnablement imaginer de telles rigolades ? Avec l’autre façon de voir la pièce, celle du conte de fées, tout peut s’expliquer, puisqu’on est dans une ile magique.

WALTER : — Quand même, la version cérébrale parait plus intéressante, non ?

EGO : — Sans doute et c’est même pour cela qu’elle a été adoptée cette fois-ci. Mais ça m’a gêné et de ce fait, je ne me suis intéressé au sort d’aucun des personnages. Dans les autres pièces de Shakespeare, on prend part aux souffrances des personnages, qu’ils soient bons ou méchants. Que ce soit Juliette ou Richard III, Cassius ou Iago, Béatrice ou Falstaff, on s’intéresse à leur sort. Eh bien là, je me foutais carrément de ce qu’il pourrait bien advenir de Miranda, de Ferdinand ou d’Alonso. C’est triste, non ?

WALTER : — C’est triste, oui. D’autant plus que c’est la dernière pièce que Shakespeare a écrite.

EGO : — Enfin… Quand même, reste la langue. Cette fois-ci j’ai retenu une courte exclamation : « —L’enfer est videtous les démons sont ici ! » Quelle formule incroyable, hein ! Et de quoi disserter pendant des générations…

 

ET DEMAIN, LA TOILE, LE WEB, LE NET

Une réflexion sur « La tempête – Critique aisée n°120 »

  1. “Hell is empty and all the devils are here” est en effet l’un des vers de William Shakespeare qui, quatre siècles plus tard, continue d’être communément cité tant il est expressif en si peu de mot dans une situation conflictuelle. Mais j’en citerais un autre qui termine La Tempête sur une note positive: “Our revels now are ended” (“nos réjouissances sont maintenant terminées”), comme se terminent tous les contes de fée.
    J’ai assisté à une une représentation de The Tempest jouée dans la langue de Shakespeare par une troupe d’acteurs anglais amateurs dans un petit théâtre de poche à Paris et ce fût un véritable régal.

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