Archives de catégorie : Thème imposé

Le jour où j’ai rencontré César

C’est un samedi d’octobre 1956 que je l’ai rencontré pour la première fois. C’était le tour de la mère de mon ami René-Jean de s’occuper de nous pour toute la journée et, pour l’après-midi, elle avait choisi de nous emmener au Jardin d’Acclimatation. Nous y aimions particulièrement les vraies voitures à essence que nous pouvions conduire nous-même et dont les petits moteurs à deux temps crachaient bruyamment des volutes de fumée bleue. Nous aimions aussi les tirs à la carabine sur des pipes en plâtre blanc qui éclataient sèchement sur leur fond de tôle noire. Mais, vers la fin de la matinée, tandis que nous jouions encore au salon, une grosse pluie d’orage était venue frapper les vitres. C’était fichu pour les petites voitures. Alors, la mère de mon ami s’était plongée dans le journal à la recherche d’un film décent. Nous avions déjà vu Peter Pan, le nouveau Disney, dès sa sortie et il n’était pas question d’aller voir le dernier film d’Eddie Constantine, « La Môme Vert de Gris », ni même « Touchez pas au Grisbi » malgré la présence de Jean Gabin.

Ne restait que « Jules César », qui venait de sortir au milieu de la semaine. Elle dut se dire que c’était une de ces productions américaines, un péplum de plus, un genre de « Quo Vadis ? », et que ça conviendrait très bien à deux garçons de treize ans. C’est en tout cas comme ça qu’elle nous le présenta.

Dans l’immense salle du Paramount Opéra, Continuer la lecture de Le jour où j’ai rencontré César

Une émission de Berthe Granval

Il est dix-sept heures et cinq minutes. Les premières notes du Clair de Lune de Claude Debussy s’égrènent lentement, puis une voix s’élève, effaçant presque la musique :

-Bonsoir, c’est Berthe Granval qui vous invite comme chaque après-midi à écouter ses « Histoire d’écrire ».

Le son du piano remonte quelques secondes, puis redescend. A nouveau, la voix :

– Aujourd’hui, je reçois l’écrivain Pierre-André Mariotte. Bonsoir Pierre-André Mariotte.

-Bonsoir, chère Berthe Granval

Les notes remontent, ruissèlent, s’affaiblissent et disparaissent. C’est le silence ; une, deux, trois secondes. Inconcevable… C’est Berthe Granval qui le veut, ce silence interminable. Elle ose ce que tous les animateurs de radio craignent le plus au monde, le blanc à l’antenne. Elle sait que par cette vacuité, elle ouvre à l’auditeur un espace de calme confortable, d’attention bienveillante et de distinction décontractée qui caractérisent son émission quotidienne.

-Tout d’abord, merci. Merci d’avoir répondu à mon invitation.

La voie est amicale, rauque, sensuelle…des années de travail et de tabac.

-Chère amie, c’est un plaisir et il est de ces plaisirs Continuer la lecture de Une émission de Berthe Granval

Hotel des Folies Olympiques

Exercice de style : inspiré de l’Hôtel des Folies Dramatiques (Le sang d’un poète- Jean Cocteau-1930)

Jean avance au bord de cette falaise, vertigineuse. À droite, la mer, en  furie. À gauche, une plaine, désolée. La falaise est blanche, la mer est noire, la plaine est bleue. Le vent souffle en tempête de la terre et le pousse vers l’abîme. Jean lutte contre le vent. Il est seulement vêtu d’un pantalon de pyjama rayé qui flotte sur ses jambes. Il est nu pied et se blesse aux cailloux du chemin. Il a froid mais il transpire.

Devant lui, loin, se dessine une bâtisse, immense, rouge, rouge sang. Elle approche. Elle est dressée au-dessus de la falaise blanche.  Ses volets rouges battent sous l’effet des rafales.

Une allée s’avance vers la porte. Un enseigne se balance au vent : Hôtel des Folies Olympiques. Une bourrasque ouvre violemment la porte.

Jean hésite et entre. A gauche, derrière le bureau de la réception, personne. Le tableau des clés ne comporte que Continuer la lecture de Hotel des Folies Olympiques

Cours de mythologie 1ère année-Leçon 10

Tout se tient

Où l’on verra que tout se tient : les Mosches, l’Amérique, les patronymes, l’or, le gros lot, la pensée unique, les noeuds, l’impérialisme, la musique, les chapeaux, la République, les roseaux, la dépression nerveuse. Tout se tient, je vous dis ! 

Midas était roi des Mosches, quelque part en Macédoine. Un jour, une bande de Mosches rencontra Silène, un ami débauché de Dionysos. Ils le firent prisonnier et l’amenèrent à leur roi. La spécialité de Silène, c’était de raconter des histoires, ce qu’il fit pour Midas. Il lui raconta celle d’un continent au-delà de l’Océan, séparé de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie, où les habitants sont grands et forts, où ils vivent longtemps et heureux et bénéficient de lois justes.

-Sans blague ? dit le roi des Mosches.

-Non, je rigole ! répondit Silène.

Midas se mit à rigoler lui aussi et pour remercier Silène, il le rendit à Dionysos, qui en retour proposa à Midas de réaliser deux de ses vœux.

– Que veux-tu que je fasse pour toi en premier ?

– Eh bien, mon dieu, je ne sais pas vraiment… Ah, si, tiens ! J’en ai assez d’être le roi des Mosches. Le voilà mon premier vœu : ne plus Continuer la lecture de Cours de mythologie 1ère année-Leçon 10

Le cercle de famille

J’ai épousé une veuve qui avait une fille que mon père épousa. Mon père devenait ainsi mon gendre et ma belle-fille devenait ma belle-mère (puisqu’elle est la femme de mon père).

Ma femme et moi avons eu un fils, donc frère de la femme de mon père, par conséquent mon oncle (puisqu’il est le beau-frère de mon père).

Mon fils est donc mon oncle.

La femme de mon père a eu à Pâques un garçon qui est à la fois mon frère et mon petit-fils puisqu’il est le fils de la fille de ma femme. Je suis ainsi le frère de mon petit-fils et, comme le mari de la mère d’une personne est le père de celle-ci, il s’avère que je suis le père de ma femme et le frère de mon fils.

Je suis donc mon propre grand-père.

Tout étant mis au clair, j’ai demandé pour Noël un train électrique et une assurance-vie.

Rapporté par Paul Delcampe
inspiré par les travaux de Sarah Wojakowski, généalogiste

NDLR- Pour une parfaite compréhension de ce cercle de famille et pour en parachever la quadrature, ajoutons que son père est maire et que son frère est masseur.

 

Antiochos est inquiet

Antiochos le troisième, dit le Grand, dit le Magnanime, mégas basileus, roi de Pergame, souverain de la grande Syrie, suzerain de toutes les tribus qui voyagent sous son auguste protection entre les rives de la mer infinie du Couchant et les sommets enneigés du Levant, sublime inspirateur des arts et des sciences, général infaillible des armées innombrables, Antiochos est inquiet.

Antiochos est inquiet parce que le Sage est mort. Celui qui annonçait les éclipses de lune et de soleil est mort, brusquement, sans laisser de testament, sans laisser de prophétie. Alors Antiochos est inquiet.

Tout le monde sait qu’une éclipse de soleil ou de lune est une manifestation du mécontentement des dieux. Bien sûr, à part le peuple, personne ne croit plus à cela. Mais le peuple y croit. Et quand le peuple croit que les dieux sont mécontents, le peuple prend peur. Et quand le peuple prend peur, il arrive qu’il accuse le gouvernement de ne pas avoir su garder les dieux satisfaits, d’avoir ergoté sur les sacrifices, et même d’avoir gardé pour soi l’argent des offrandes. Et quand le peuple a peur et qu’il accuse le gouvernement, il arrive qu’il se révolte. Il arrive même qu’il couse le roi dans un sac et qu’il le jette Continuer la lecture de Antiochos est inquiet

Écrire, mais avec quoi ?

Et d’abord, pourquoi écrit-on ?

Question sempiternelle que tous ceux qui écrivent se posent un jour. Question cliché à la Jacques Chancel : « Dites moi, cher ami, nous approchons de la fin de l’émission, il nous reste à peine une minute, alors une dernière question : cher Marcel Proust, pourquoi écrivez-vous? »
Eh bien, si moi, j’avais été invité à Radioscopie et si Jacques Chancel m’avait posé cette question, il ne m’aurait pas fallu trois minutes pour y répondre. J’aurais dit :

« Voyez-vous, cher Jacques Chancel, comme beaucoup, je vis des émotions. Comme certains, je voudrais les partager. Mais comme personne n’écoute, j’écris. »

Donc j’écris sous le règne Continuer la lecture de Écrire, mais avec quoi ?

Tout est revenu

En un instant, tout est revenu, tout ce qui s’était passé avant, notre retour du cinéma de la rue d’Odessa, notre discussion sur les amis qui viendraient diner ce soir, sur Cate Blanchett, sur la différence entre la beauté, la classe et le charme, sur la douceur de la température, notre choix de prendre par l’extérieur du Luxembourg plutôt que de traverser le jardin, notre attente au bord du trottoir que le petit bonhomme devienne vert, et puis ce petit choc sur le côté de la tête, et moi qui me sentais vaciller et m’affaisser doucement contre le feu de circulation, et qui restais là, la tête penchée sur mon épaule, qui croyais que j’avais glissé, ou bien que j’avais eu un étourdissement, enfin rien, que j’allais me relever, qu’il suffirait de vouloir, mais que j’allais me reposer là encore un peu parce que j’étais fatigué et que j’avais Continuer la lecture de Tout est revenu

Réponse de Lilith à Eve

Avertissement
Si vous ne savez pas qui est cette Lilith, et si vous n’avez pas lu la lettre qu’elle a reçu hier de Mme Eve de Lagenaise, vous n’allez rien comprendre du tout. Alors, cliquez sur le lien ci-dessous et vous saurez ce qu’il y à savoir.

Mais qui est donc cette Lilith et pourquoi écrit-elle à Eve ?

***

Lilith Mefis-Tofelesse
666 impasse Denfert
Hadesville

Madame Eve de Lagenaise
1 bis rue de Paradis
Edenbourg

Madame,

Vous allez être surprise, mais je vais répondre à votre petite lettre revancharde et satisfaite.

Votre Adam vous revient ? Tant mieux, ça m’arrange ! Croyez bien que j’ai d’autres occupations plus gratifiantes que de faire l’éducation sexuelle d’un grand benêt sans imagination et de traîner un éteignoir dans les sabbats du samedi soir.

Adam veut rentrer à la maison ? Grand bien lui fasse ! Mais, quand il en aura assez  du gratin de courgettes et de vos petits câlins furtifs toutes lumières éteintes, soyez certaine qu’il reviendra gémir devant ma porte en me suppliant de le reprendre.

Je le sais, il fait ça à chaque fois…

Mais vous paraissez surprise…C’est l’expression « à chaque fois » qui vous étonne ?

Ah, vous ne saviez pas Continuer la lecture de Réponse de Lilith à Eve

Lettre d’Eve à Lilith

Avertissement
Tout le Monde connaît Eve, la Femme d’Adam, mais il est possible que quelques-uns d’entre vous ne sachent plus tout à fait ou, plus probablement, n’aient jamais su qui est Lilith.
Avec les quelques lignes qui viennent, vous en saurez bien assez sur cette Créature pour comprendre ce qui va suivre.
Lilith fut la première femme d’Adam, avant Eve. Comme Adam, et en même temps que lui, elle fut façonnée avec de l’argile, mais son argile à elle était de mauvaise qualité, ce qui explique son caractère démoniaque. La preuve : elle refusa tout de suite de se soumettre à l’Homme. Cette situation créa bien du souci au Créateur qui, pour la remplacer auprès d’Adam, dut fabriquer Eve à partir d’une côte d’Adam. Lilith devint très vite un démon sexuel, une femme fatale, une croqueuse de fortunes, une activiste féministe, bref, une personne peu fréquentable.
Voici donc la lettre que Madame Eve de Lagenaise écrivit récemment à Mademoiselle Lilith Méfis-Tofelesse.
La réponse de la demoiselle est attendue pour demain.

***

Eve de Lagenaise
1 bis rue de Paradis
Edenbourg

Mademoiselle Lilith Mefis-Tofelesse
666 impasse Denfert
Hadesville

Mademoiselle,

Vous savez qui je suis et vous connaissez sans doute mon existence depuis une éternité. Je ne connais la vôtre que depuis quelques heures. Vous possédez donc sur moi un avantage considérable. Aussi, soyez indulgente et, si agaçante qu’elle puisse vous paraître, poursuivez s’il vous plait la lecture de cette lettre.

Ce que vous savez de moi, Mademoiselle, vous l’avez appris d’Adam, bien sûr. Depuis le temps que vous êtes sa maîtresse, il a eu tout le temps de vous dire bien des choses sur moi.

Ses confidences sur l’oreiller vous ont appris que Continuer la lecture de Lettre d’Eve à Lilith