Journal de Campagne (33)

Journal de Campagne (33)
Vendredi 17 avril 2020 – 16h47

Ça y est, je suis vieux. Plus exactement, je me sens vieux.

Au cours de ces dernières années, quelques-uns de mes amis et moi-même ayant pris, à peu près au même rythme, de la bouteille, j’ai passé pas mal de temps à leur dire, à me dire, et cela jusque dans des discours d’anniversaire, qu’on est peut-être vieux dans les artères, les muscles et les viscères, mais que dans la tête, on est toujours jeune, on a toujours selon les besoins 17, 25 ou 30 ans, et que, quand par exemple on atteint 70 ans, on en a en fait 18 avec 52 ans d’expérience. Jolie formule, que j’ai crue vraie jusque récemment. Jolie formule mais, finalement, foutaise, calembredaine et billevesée.

Hier encore —  pas le 15 avril, hier en tant que licence poétique — hier encore, disons l’année dernière, j’avais selon le cas 17, 25 ou 30 ans comme tout le monde, mais aujourd’hui, non. Je me sens vieux.

Il n’y a pas si longtemps, quand on parlait devant moi de personnes du 3ème âge, je ne me sentais jamais, mais vraiment jamais, concerné. Mais maintenant, c’est plus pareil. Maintenant, on parle de personnes à risques.

Les enfants se font un peu de souci ; ils téléphonent ; ils disent « Surtout fais attention, hein ! Parce que… » Ils n’achèvent pas leur phrase, mais j’ai compris.  Le gouvernement n’arrête pas de me dire que je fais partie des personnes fragiles, qu’il faut m’isoler tout en m’entourant mais sans trop s’approcher quand même, attention ! Je me sens le cœur de cible de tout un tas d’actions destinées à me protéger. On me prépare un petit déconfinement sur mesure, rien que pour moi et mes vieux camarades. Et tandis que bientôt, folle jeunesse, vous pourrez aller vous goberger dans les cafés de la rue Soufflot et les restaurants de Montparnasse, je serai contraint de chercher mon inspiration dans la chute des feuilles des trois bouleaux du jardin.

Bon, ne vous inquiétez pas. J’ai ici toute une collection de Tintin et de Spirou et je vais alterner leur relecture avec celle de ce livre que j’avais acheté il y a peut-être 6 mois et que j’ai ouvert pour la première fois hier : Correspondance 1944-1959 – Albert Camus – Maria Casarès. 1265 pages. Je ne pense pas arriver à faire aisément de ce livre une Critique Aisée, mais on ne sait jamais.

Enfin, voici un lien vers une chanson confinée : La Tendresse. Si vous avez déjà vu cette petite vidéo, car l’image est essentielle, vous savez déjà qu’on peut la revoir plusieurs fois et cliquez sur ce lien. Si vous ne l’aviez pas encore vue, osez cliquer sur le lien, ne vous laissez pas abuser par les premières secondes qui pourraient vous faire penser qu’il s’agit là d’une cucuterie de plus, et cliquez sur le lien. Vous verrez, c’est très doux, et même assez beau, et la réalisation technique est parfaite.

LA TENDRESSE

 

 

8 réflexions sur « Journal de Campagne (33) »

  1. Oui, la tendresse, que cette chanson est touchante comme une caresse…
    Mais la vie passe et elle perd son élasticité , son brio, sa pétillance, un peu de sa folie douce, ou folle; presque la perte de faire de bétisses tout simplement. Nous percevons l’age dans le regard des autres; le degré de l’age est une conception récente, avant nous écoutions  » certain age, age avancé, age mure..,ou carrément très age », le troisième …. je déteste ! Là on a perdu la tendresse.

  2. Dis, qu’as-tu-fait, toi que voilà,
    De ta jeunesse?
    Verlaine

  3. Jeune Philippe, je viens de lire le 33ème Journal de Campagne, et j’ai quelques commentaires spontanés à ajouter à ceux déjà fait. Le premier, pourquoi je m’adresse à toi par « jeune philippe ». Tout simplement parce que depuis quelques temps je m’adresse ainsi à tous ceux plus jeunes que moi, ne serait-ce que de quelques mois. De même, avec tous ceux plus vieux que moi, ne serait-ce que de quelques mois, je m’adresse par « ce vieux François » (par exemple). Le « ce », je ne sais pas pourquoi, peut-être par affection. C’est ainsi que je me sent entre deux âges, hors d’âge en quelque sorte. Le deuxième, c’est pour dire que, bien qu’ayant redécouvert dernièrement les romans d’Albert Camus, les comprenant encore mieux qu’autrefois, je n’ai pas acheté le recueil des lettres échangées avec Maria Casarès parce que trop gros, trop long à lire en entier. J’aurais pu lire une lettre par ci, une autre par là, mais non, je recule devant tout livre qui dépasse les 250-300 pages . Ce qui m’amène en troisième à dire que je relis en ce moment un Tintin par jour, ou plutôt je regarde les images comme le ferait un illettré, et je découvre des tas de détails qui m’avaient échappés jusqu’à aujourd’hui. Retour en enfance? Enfin et cinquième commentaire, merci pour cette Tendresse symphonique. Elle est magnifique, un exploit fantastique. Bourvil et Marie Laforêt, auraient aimé ça.

  4. Et oui on en a tous pris un gros coup sur la tete eT meme si j ai une toute petite chance d échapper au couperet, je resterai solidaire de ma chere moitié
    Que le traitemnt débile anti covid est en train de perturber fortement : il jure, il tempete, perd son calme légendaire…par un curieux paradoxe des contraires, c est moi l impatiente qui essaie de dériver cette humeur chagrine : Irene à gazouille , Antoine fait un programme C++, rien n y fait!
    Meme la lecture roborative de la Nouvelle Héloïse du pacifiste Rousseau est impuissante à calmer une haine grandissante à l égard de Jupiter .On dirait Victor Hugo se déchaînant contre Napoleon le petit.
    Moi c est décidé demain je sors avec un brassard noir; l étoile jaune des internés 2020.
    Ps: sublime cette tendresse orchestrée…et Christophe est mort….Journee de merde.

  5. Toi vieux ?
    Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain !
    Allons bon ! on ne va pas faire la litanie des formules de dénégations empressées et de protestations empoulées qu’en ces cas-là on assène volontiers !
    Disons que j’ai vu plus vieux à ton âge…
    J’espère que tu n’as pas l’ambition de lire Camus/Casarès d’une traite ! C’est sublime, mais à consommer avec un peu de modération : l’excès des plats les meilleurs peut autant mener à l’indigestion que celui des daubes de gargotes. Ce serait dommage.
    Plus de 1200 pages, mais je regrette d’avoir laissé mon exemplaire sur ma table de nuit parisienne : c’est la preuve que, contrairement à ce que murmurent certaines mauvaises langues, je ne savais pas que j’allais finir confiné à la campagne!

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