Une douche froide (5/5)

5- Marantza, femme fatale ou femme d’intérieur ?

Quand la porte du sas s’était refermée sur Ptlamn, Marantza était demeurée allongée sur le ventre, les yeux fermés, la tête enfouie dans l’oreiller, dans l’exacte positon où Ptlamn venait de lui mordre la fesse.  Elle les avait bien reconnus, les symptômes qu’il manifestait. On les lui avait appris, elle les connaissait : les gestes, les regards, les attentions, la fébrilité, la susceptibilité, les exigences subites, la soumission, l’exaltation, les rires, les larmes… Tous les symptômes de l’amour, Ptlamn les présentait tous. Elle jugea que c’était une situation regrettable et même dangereuse. Oh ! Pas dangereuse pour elle, non, mais pour lui ! Elle, elle en était bien incapable, d’aimer. Elle faisait simplement ce qu’on lui demandait de faire et elle le faisait bien. Mais ça ne pouvait pas aller jusqu’à aimer !  Elle ne pouvait pas, elle ne savait pas.

Ces réflexions faites, Marantza ouvrit brusquement les yeux et, tout en pivotant sur son bassin, elle fit sortir ses longues jambes en dehors de la couchette puis elle les inclina vers le sol. Quand elles furent presque à la verticale, poussant sur ses avant-bras, elle se laissa glisser hors du lit pour se recevoir au sol sur ses deux pieds nus. Elle avait exécuté les phases successives de son mouvement avec une grâce parfaite, une souple élégance, une coordination de félin. Si Ptlamn avait été témoin de sa sortie de lit, il l’aurait sans doute comparée à l’une de ces panthères qu’on voit sur les écrans quand elles descendent silencieusement de l’arbre où elles ont dormi. Elle était nue, splendide, luxueuse. Sa peau était lisse, comme brunie par le soleil, ses cheveux noirs coiffés court, son cou presque trop long, ses seins presque trop petits et ses jambes interminables. Maintenant qu’elle était debout, les bras ballants un peu écartés du corps, la tête légèrement inclinée sur le côté et qu’elle observait dans une sorte de torpeur la pièce qu’elle n’avait pas quittée depuis trois jours, on aurait dit une déesse sortant de l’onde, hésitant entre s’allonger sur le sable pour se laisser sécher au soleil ou défier à la course une gazelle de passage. Mais les yeux de la déesse clignèrent et Marantza se mit en mouvement. Si elle ne pouvait pas aimer, au moins elle pouvait être une femme d’intérieur, et plus que ça même. Elle commença à rassembler les vêtements que Ptlamn avait dispersés trois jours plus tôt à travers la pièce : combinaison, gilet flottant, masque de survie, casque antimagnétique, gants et chausses de sécurité. Elle les plaça dans les compartiments où ils seraient nettoyés, désinfectés, vérifiés ou remplacés par le S.R.H. (Service Résidentiel d’Habillement) avant le lendemain. Puis elle ramassa sa combinaison étoilée qui attendait tassée dans un coin depuis trois jours pour la mettre à défroisser sur la planche à micro-ondes. Elle n’avait nul besoin de consulter l’ECU pour savoir qu’il n’était que sept heures et quart. Elle avait donc encore tout le temps. Elle refit le plein de la machine à B.U.R., vérifia la quantité de P.U.E. restant dans le distributeur et elle passa un petit coup d’aspirateur. Ensuite, elle se rendit au T.U.I. 3 pour contrôler le taux de dioxyde de carbone, le degré hygrométrique et la programmation de la température. Sept heures vingt-cinq… Il lui restait trente-cinq minutes, peut-être même quarante. Elle avait encore largement le temps… Utilisant l’ongle de son index gauche, elle dévissa les quatre vis Parker du panneau supérieur avant du T.U.I. et le déposa sur le sol. Un clavier sortit du tableau sous l’écran de contrôle qui s’alluma. C’était un modèle un peu ancien mais ça devrait aller. Elle pianota rapidement sur quelques touches et regarda le système s’auto-analyser. C’était lent, un peu trop lent, mais ça irait quand même. Le résultat finit par tomber sur le petit écran : dans la séquence douche, le temps de latence affiché entre la fin de la phase de séchage par ultrasons et le début du massage par air chaud était aberrant : il correspondait à plus d’un an, alors que la durée conforme était de 1,3 secondes. C’était sans doute cette fichue Intelligence Artificielle qui avait décidé de changer d’unité sans rien dire à personne. C’était un défaut connu qui affectait beaucoup de ces I.A. des années cinquante. Revenant au clavier, Marantza entra dans le logiciel du sous-système salle de bain et ne tarda pas à trouver la faille de l’algorithme qui provoquait de façon aléatoire ces changements intempestifs d’unité. Elle procéda à la correction de l’instruction correspondante. Elle alla ensuite se placer sur le disque antidérapant et prononça le mot « douche« . Le cycle se déroula en une minute et quinze seconde en conformité avec la norme4  établie par la réglementation du sous-continent. Quand elle eut remis en place la face avant du T.U.I., il était huit heures moins trois. Marantza avait encore trois minutes devant elle. Trois minutes, et elle n’avait plus rien à faire. Elle se figea aussitôt devant le TUI, debout, bras ballants, épaules basses, tête baissée et yeux clos.

Trois minutes plus tard, Marantza se réveillait, se déplaçait jusqu’à la machine Sinté qu’elle débrancha et introduisit l’index et le majeur de sa main droite dans la prise murale qu’elle venait de libérer.

Le robot 2101Byc@3KKZ 5, connu temporairement sous le nom de Marantza, rechargeait ses batteries. Il était exactement huit heures.

FINI !

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NOTE 3 : Tableau Universel d’Instrumentation. Certains prétendent que l’acronyme T.U.I. correspond en réalité à Tableau Universel d’Information. Bien que tous les instruments de ces tableaux soient tout naturellement reliés au M.U.S.C., le R.U.I. (Règlement Universel Intérieur) interdit formellement que les données enregistrées par le TUI soient utilisées par le MUSC à des fins de contrôle du comportement individuel. Seules les utilisations statistiques globales sont autorisées.

NOTE 4 : Norme NSC / 2112-17.2-HY-SEC-EN : Deuxième révision de la norme sous-continentale du 17ème jour de l’année 2017 relative à l’Hygiène, la Sécurité et l’Énergie.

NOTE 5 : Le robot dénommé provisoirement Marantza à la demande du client désigné au contrat porte le numéro de série 2101Byc@3KKZ-l890-67-12. Ce numéro permet aux initiés de savoir qu’il a été construit au cours de l’année 2101 de l’E.U. (Ère Universelle) dans l’usine de Bmacylaric, la plus importante du groupe U.U.F. Les signes qui suivent indiquent ses qualifications de substitut : courtisane de niveau 3, femme d’intérieur électronicienne, traductrice bilingue L.U.N.E. / P.L.U.S. (Première Langue Universelle du Sud). Les derniers chiffres indiquent le numéro d’ordre dans la fabrication de ce type et les mises à jour dont il a fait l’objet depuis sa mise en service. Le robot 2101Byc@3KKZ-l890-67-12 a donc été construit 72 ans avant les faits rapportés.

FINI AUSSI ! 

3 réflexions sur « Une douche froide (5/5) »

  1. Je trouvais la fin trop transparente. Je veux dire que je pense que le lecteur la voit venir de loin. Apparemment, ça n’a pas été le cas pour toi.

  2. Bizarre autant qu’étrange, ton histoire! Je ne m’attendais certes pas à ce que Marantza se révèle être un robot!
    Par contre, je comprends pourquoi tu n’es pas satisfait de la fin; cela finit un peu à la va-vite. Pourquoi ne pas la retravailler?

  3. Zut! C’est fini, juste quand le fantasme commençait à agir.

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