Exposition Junya Ishigami – Freeing Architecture – Critique aisée n°140

Critique aisée 140

Exposition Junya Ishigami – Freeing Architecture
Fondation Cartier

Pour l’exposition « Junya Ishigami – Freeing Architecture« , c’est trop tard. La Fondation Cartier en a fermé les portes il y a deux mois déjà,  le 9 septembre dernier. Vous ne pourrez pas la voir. Dommage, vous auriez pu vous faire une opinion et me dire que je n’y avais rien compris. Mais maintenant vous allez être obligé de me croire sur écrits et sur photos.

Averti de la date de fermeture du 9, j’y suis allé d’urgence le 8 mais, malgré la proximité de la fermeture, il n’y avait encore rien de soldé, pas le moindre joli dessin, la moindre petite figurine en plastique poli, le moindre petit arbre en papier recyclé découpé. Je suis reparti bredouille. Mais avant, j’avais pu voir comment Junya Ishigami libère l’architecture.

Junya Ishigami est japonais et il a quarante-quatre ans. Il est diplômé de l’Université des Arts de Tokyo en 2000. D’après sa brève page Wikipédia,  « il travaille  aussi bien dans le design que dans l’architecture ».

À ce jour, ses réalisations architecturales seraient :

– En 2008, un atelier de l’institut de technologie de Kanawaga. C’est un léger et élégant bâtiment qui fait penser à une boite à ranger les timbres de chez IKEA ou à un Palais des Glaces de fête foraine.

– En 2008 encore, l’aménagement du magasin de Yohji Tamamoto à New York dans un bâtiment des années 50. Joli, mais banal pour un magasin de fringues de luxe de Manhattan.

– À une date non précisée Chapel of Valley, une église œcuménique dans la province du Shandong. Cette chapelle est présentée dans l’exposition. On en reparlera plus bas.

Toujours selon Wikipedia, ses œuvres dans le domaine du design sont plus nombreuses. Elles consistent en une chaise en papier, une installation en forme de table, une table en plexiglass et un paysage miniature dans une soucoupe.

Accomplissements légers, quand même, on en conviendra. Par contre, les récompenses et les expositions sont plus nombreuses, dont celle de la Fondation Cartier.

Il est temps d’en parler :

Sur deux niveaux, on peut voir quelques grandes maquettes de projets architecturaux qui frappent le visiteur par leur élégance et leur audace technique. On s’étonne, on s’interroge et on finit par consulter la luxueuse plaquette que l’on a reçu à l’entrée des mains de l’une des charmantes hôtesses.

Cette plaquette, au format aussi inusité que les formes des bâtiments présentés, vous en explique la philosophie, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Rien d’anormal ou de critiquable à cela. En tout cas, c’est courant : les architectes, les plasticiens contemporains et les auteurs d’autobiographie ont toujours une explication à donner sur leur œuvre, que cette explication ait réellement présidé à sa réalisation ou qu’elle ait été plaquée sur elle a posteriori.

Ceci est l’une des deux maquettes consacrées à Chapel of Valley. Les dimensions réelles de l’édifice sont indiquées : hauteur 45 mètres, largeur intérieure minimale 1,30 mètre, largeur intérieure maximale environ 3 mètres. Constitué d’un seul voile courbe, la maquette est assez élégante. Mais, compte tenu de la forme du plan masse, vous imaginez mal un office religieux se tenir dans cette enceinte. Vous comprenez à regret qu’il s’agit en fait plus d’une sculpture — symbolique appuyée d’une élévation vers le ciel ? — que d’un bâtiment. La plaquette vous explique que « Ishigami creuse d’une vingtaine de mètres une faille rocheuse« … », élève un édifice qui prolonge la vallée existante »… créant « une nouvelle vallée, exposée à la pluie et au vent« . La même plaquette vous donne la date de réalisation : « 2016 –     » Le tiret semble vouloir dire que la chapelle n’est pas achevée, autrement dit en cours de construction. Normal, vous dites-vous, pour un tel ouvrage. Mais lorsque vous fouillez un peu, vous êtes dans l’incapacité de trouver la moindre photo du chantier en cours, le moindre article de presse parlant d’une inauguration, d’une mise en chantier ou d’une première pierre. Toutes les images que vous avez trouvées sont d’élégantes vues d’artiste ou de belles photos montages. Vous relisez attentivement le texte et vous vous apercevez qu’il est habilement rédigé pour entretenir dans l’ambiguïté l’illusion qu’il s’agit d’un édifice véritable, ce qui n’est pas le cas. Déception, car la prouesse architecturale était belle. Inutile, mais belle.

Poursuivant votre visite, vous ne tardez pas à constater que cette tromperie organisée concerne la totalité des projets d’envergure présenté à la Fondation Cartier. On n’en trouve aucune photo véritable et les textes sont tous rédigés dans le sens que j’ai dit plus haut.

Ainsi le projet Kanawaga University Multipurpose Plaza, qui présente un bâtiment de 4109 m2 constitué « d’un toit fait d’une seule et même feuille d’acier de 12mm d’épaisseur, soutenue par quatre murs latéraux » sans aucun poteau intermédiaire. Même percée des ouvertures que montre la maquette, j’imagine cette feuille peser près de quatre-cents tonnes. Par contre je n’arrive à imaginer ni la structure des murs ni le système d’accrochage qui parviendra à tenir cette feuille en l’air, même si l’on néglige le poids de la neige ou la force du vent sur une telle voile.

Il n’en est pas tout à fait de même pour le Cloud Arch de Sidney, sculpture monumentale dont la date de réalisation est indiquée « 2015 —     » , l’habile tiret laissant planer le doute sur la date d’achèvement. Là, j’ai pu trouver quelques articles de presse qui m’ont appris que le projet avait été approuvé par le conseil Municipal en aout 2017, mais qu’un conseiller demandait à présent son abandon, le budget étant passé de 2,5 millions $ à 11,3 millions $.

A la fin de la visite, on aura constaté que les seuls projets effectivement achevés ou en voie de l’être sont des bâtiments de faible envergure ou des aménagements paysagers.

A la sortie de cette exposition, je me posais la question suivante : Ishigami est-il un architecte génial, un esbroufeur branché, un designer, un paysagiste, un artiste, un poète ou une star de la mode ?

En toute honnêteté, le peu que j’ai vu de ses œuvres ne me permet pas de répondre à ma propre question, mais quand même, quand un architecte s’affranchit totalement des contraintes de la matière, peut-il garder ce nom ?

En tout cas, ce que je venais de voir à la Fondation Cartier n’était pas une exposition de projets d’architecture mais une exposition de jolies maquettes.

ET DEMAIN, CÉSAR BIROTTEAU, UNE ESCROQUERIE SOUS LOUIS-PHILIPPE

Une réflexion sur « Exposition Junya Ishigami – Freeing Architecture – Critique aisée n°140 »

  1. Faute d’avoir le privilège de visiter toutes ces expositions, je suis mal placé pour les commenter.
    Cependant, car il y a un mais, il doit être flippant d’habiter un espace de trois mètres de large, aussi long soit-il : on se demande où ranger ses chemises.
    S’agissant de la toiture-feuille d’acier, j’ai deux solutions à proposer afin d’éviter que la feuille ploie sous son propre poids :
    1) traiter la structure protonique de l’acier pour en évacuer les bosons de Higgs (qui confèrent son poids à la matière).
    2) Traiter localement la structure de l’espace-temps afin d’inverser les effets de la gravitation.
    3) Sinon je ne vois pas.
    Tamamoto (rends-la moi) ne manquera pas de nous expliciter tout ça.

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