Une semaine aux Seychelles – 3

Troisième partie : Room service

Le lendemain de ma rencontre nocturne avec ce rat d’hôtel était un samedi. Les prochaines opérations d’expertise n’auraient lieu que le lundi suivant, ce qui me laissait tout un week-end pour me remettre. J’avais parfaitement conscience que mon hôtel n’était pour rien, ou pour pas grand-chose dans la présence d’un rat dans ma chambre. On imaginait facilement en effet que celui-ci, entré sans effraction par la baie entr’ouverte, avait exploré la pièce à la recherche de nourriture — contrairement à l’homme, le rat ne pense qu’à ça ; le reste, il le fait fréquemment mais machinalement, sans y penser — jusqu’à ce que, surpris par notre entrée, il se précipite dans la salle de bain et ne trouve rien de mieux pour se cacher que la cuvette des WC. Cette erreur grossière devait, je crois, lui être fatale. A y bien réfléchir, et me connaissant, s’il avait fait front, il aurait conservé une chance notable de s’en sortir, mais voilà…

Donc, l’hôtel n’était pour rien dans ma mésaventure, je le savais. Mais je me dis qu’une petite séance de protestation auprès de la direction pouvait être amusante et, pourquoi pas, source d’avantages. Au matin, je pris donc tranquillement mon petit déjeuner au bord de la piscine, puis je me rendis à la réception. C’était l’heure à laquelle les vacanciers s’y réunissent pour se renseigner sur la température de l’eau, la présence de requins, les cours de Tai Shi et les locations de voitures ou de catamarans. J’attendis sagement mon tour, puis, au moment de remettre ma clé au jeune homme de service, je m’adressai à lui d’un air badin. Badin, au début en tout cas, mais seulement au début. Pour mieux vous rendre compte de la scène, il faudrait vous rappeler le crescendo du Boléro de Ravel. Non, trop lent. Ou alors le glissendo du solo de clarinette qui ouvre la Rhapsody in Blue. Non, trop court. Alors imaginez quelque chose d’approchant, d’entre les deux, une montée en puissance contrôlée dans le ton et l’expression. Ça commença doucement :

—Ah, au fait, s’il vous plait, lui dis-je. Pourriez-vous envoyer quelqu’un dans ma chambre ? Il y a un problème avec les toilettes.

—Un problème, Monsieur ?

­—Oui, je ne suis pas un spécialiste, mais je crois que c’est un problème… ennuyeux… assez.

—J’en suis navré, Monsieur. Cela peut-il attendre ? Notre technicien n’est pas là le samedi.

—Eh bien, c’est regrettable, très regrettable. Parce que, voyez-vous, j’ai passé la nuit avec un rat !

A partir de cet instant, je vis les touristes qui m’entouraient relever le nez des prospectus qu’ils avaient glanés sur le comptoir et commencer à prêter attention à mon glissendo. Je continuais :

—Oui, monsieur, avec un rat. Et je vous assure que c’est très désagréable, de passer la nuit avec un RAT !

C’est bien sûr à dessein que je répétais le mot aussi souvent que possible, et de plus en plus fort. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais le mot rat provoque une réaction quasi immédiate chez le touriste usuel, c’est-à-dire en général chez le type qui, en boxer-short trop large, en chemise flottante aux dessins ridicules et en Birkenstocks, ou pire, en tongs, expose à tous vents des parties fragiles de son individu. Cette réaction, c’est un sentiment mêlé de peur et de dégoût. Et c’est encore plus rapide si ce touriste est une touriste. Bref, j’avais maintenant un auditoire et il était anxieux d’en savoir davantage. Je montai encore un peu le niveau :

—Parce que le RAT est agressif, vous savez ! Surtout quand il est caché dans la cuvette des toilettes d’une salle de bain ? La nuit a été pénible, Monsieur, très pénible ! Est-ce qu’il y a beaucoup de RATS dans votre établissement ? Parce dans ce cas, il vaudrait mieux en avertir la clientèle.

Le jeune homme de la réception :

—Vraiment, je suis désolé, Monsieur. Nous allons vous changer de chambre immédiatement. Je vais envoyer une femme de ménage …

—Vous n’allez quand même pas envoyer une pauvre femme de ménage affronter toute seule cet énorme RAT ? Bon, après tout, c’est votre affaire !

Je tournai le dos à la réception en jetant par-dessus mon épaule cette dernière flèche : « Peut-être qu’elles en ont l’habitude… de chasser les RATS ! » puis je m’éloignai dignement vers le parking et ma voiture de location.

La petite Mini-Moke que j’avais louée pour le séjour m’attendait sur le parking tandis que le pauvre réceptionniste tentait de calmer les touristes qui, dès mon départ, s’étaient pressés autour de son comptoir.

A suivre…

ET DEMAIN, LE DUC DE BOURGOGNE 

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