À Illiers-Combray

C’est en revenant de vacances que nous nous sommes arrêtés à Illiers-Combray. 

Illiers-Combray — « Illiers » tout court  jusqu’en 1971, année du centenaire de la naissance de Marcel Proust où le conseil municipal vota l’augmentation du nom du village — se situe à quelques kilomètres au sud-ouest de Chartres au bord de l’autoroute Océane et jouit depuis quelques années d’un bel échangeur à son nom, avec péage, parking et tout. 

Depuis longtemps, ou plutôt, depuis le temps où je suis tombé dans la Recherche du Temps Perdu, peut-être une petite quinzaine d’années — je sais, c’est tardif, mais on ne peut pas être précoce en tout — depuis ce temps donc, j’avais le vague désir de m’arrêter un jour à Illiers-Combray, ou même de m’y rendre spécialement en un aller-retour spécifique. Mais ce désir était toujours contrarié par le manque de temps, le manque de volonté, et surtout par cette tendance presque irrésistible que l’homme a — et la femme, oui, oui, et la femme — que l’homme et la femme ont de céder à la procrastination, tendance qui nuit grandement à l’accomplissement de l’individu mais qui offre l’immense avantage de lui conserver l’illusion que rien ne sera jamais fini.
Or, par ce milieu de matinée d’un beau jour d’été finissant, nous avions enfin  simultanément et le temps et l’envie de nous arrêter à Illiers-Combray. Nous commençâmes par en visiter l’église, sa tour-clocher, sa voûte peinte lambrissée et ses box à prie-Dieu, puis, incités par une page internet fallacieuse, nous allâmes jusqu’à un prétendu « Chateau de Swann », car nous souhaitions garder la « Maison de Tante Léonie » pour la bonne bouche. 

Nous savions parfaitement qu’à aucun moment, dans toute la Recherche, Marcel Proust ne mentionne de «Chateau de Swann », évoquant seulement et assez vaguement un « côté de chez Swann », et qu’en conséquence, et au contraire de la maison de Tante Léonie, il ne pouvait exister un tel château. On nous y promettait pourtant quelques souvenirs rassemblés dont nous savions aussi qu’ils seraient faux, Charles Swann n’étant qu’un personnage de fiction dont aucun des modèles n’a eu de propriété à proximité d’Illiers-Combray.
Mais le touriste élégant doit savoir se laisser prendre de temps en temps, parfois même sciemment, aux pièges que lui tendent des individus peu scrupuleux qui profitent indûment à la fois de la renommée d’un lieu ou de celle d’un homme — ou d’une femme, oui, oui, ou d’une femme — célèbre et de la connaissance confuse que les gens ont de ce lieu ou de cette homme — ou de cette femme.
Bref, nous allâmes au « Château de Swann ». C’était une grosse maison bourgeoise avec tourelles comme on en voit un peu partout dans les bourgs de France, et que je désigne souvent et ironiquement sous le vocable de « Maison du notaire ». Malgré ce que pouvait annoncer une plaque de cuivre mal fixée sur la grille cadenassée, le « Chateau de Swann » ne semblait pas avoir accueilli  de touristes, élégants ou ordinaires, depuis longtemps. 

Alors, refusant de retarder plus longtemps notre plaisir, nous nous rendîmes à la Maison de Tante Léonie. 

Dans les lignes qui suivent, vous chercherez vainement une description de cette maison-musée où le petit Marcel se couchait de bonne heure, où Charles Swann venait sonner le soir à la grille du jardin et où Tante Léonie s’étonnait de voir passer sous sa fenêtre un chien qu’elle ne connaissait pas. N’y cherchez pas non plus une quelconque admonestation de ma part à venir la visiter de toute urgence.
Au contraire, si, d’À la Recherche du temps perdu, vous n’avez lu que les cinquante premières pages, ou si, en ayant lu davantage, vous n’êtes pas tombé en passion définitive pour cette oeuvre à la fois colossale, intelligente et sensible, si vous trouvez ridicule, ou précieux, ou trop faible, ou trop méchant, ou trop égoïste son Narrateur, si vous clamez que la société qui y est décrite n’est pas la vôtre et que, par conséquent, elle ne vous intéresse pas, si vous préférez lire les malheurs d’Annie Ernaux, les constructions sèches d’Amélie Nothomb ou les clichés de Joel Dicker, j’irai même jusqu’à vous conseiller de ne pas rendre visite à Tante Léonie et, pourquoi pas, d’éviter Illiers-Combray. Vous n’y trouveriez qu’une maison désuète, bien tenue et plutôt modeste, autrement dit rien qui puisse vous titiller ni l’esprit ni le coeur.

Mais si vous n’appartenez à aucune des catégories ci-dessus, apprenez que la visite de la maison de Tante Léonie nous a intéressés, ravis et émus. Je n’en dirai pas davantage. 

Sachez également que faute de dresser un compte-rendu touristique enthousiaste mais ennuyeux de notre visite, j’ai préféré écrire le pastiche intitulé assez finement, je dois dire, Trou de mémoire, que j’ai publié ces jours derniers  en quatre parties.  

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