Madame Hidalgo est en colère parce que cette affaire des Disparus de la rue de Rennes ne tourne pas du tout comme elle le voudrait. Alors, elle se retire dans ses appartements pour visionner son film favori : « L’Impératrice rouge ». Elle dit que ça la calme.
(…)
À la fin du film, sa colère était calmée et elle pouvait réfléchir plus sereinement. Bientôt, lui revint en mémoire une phrase de cet ancien député de Corrèze, ministre récidiviste et éphémère de la IVèmeRépublique, Henri Queuille. Ce politicien expérimenté et cependant homme d’esprit avait un jour déclaré : « Peu de problèmes résistent longtemps à l’absence de solution. » Elle était là, la solution, la vraie, la troisième voie politique quand étouffer l’affaire et faire porter le chapeau à quelqu’un d’autre ne sont pas réalisables. Comment n’y avait-elle pas pensé plus tôt ! Ne rien faire ! Il suffisait de ne rien faire, de laisser les choses en l’état, de faire comme si de rien n’était, de ne pas constituer de commission ni de sous-commission et de ne plus jamais parler de cette disparition.
Sa décision était prise. Après s’être félicitée de la vivacité de son sens politique, elle appela son Directeur de Cabinet à son domicile.
— Mawouais…
— Allo, Hubert ? demanda-t-elle presque aimablement, car il n’était pas loin de deux heures du matin.
— Mawouais…
— C’est moi.
— Qui ça, mouha ?
— Vous avez bu, Hubert ?
— Qui ça ? Mouha ! C’est pas vwai, j’ai pas bu ! Pas une goutte ! Pwomis, juwé ! Tiens c’est mawant, je pawle comme le planton du twoisième !
— Hubert, vous avez bu !
— Ah, alors mouha, c’est vous… c’est Not’ Dwame de Pawis…
— Hubert, vous êtes ivre ! C’est dégoutant !
Hubert avait bu, c’était évident. Mais aussi, c’était excusable. Après le savon qu’il avait pris quelques heures plus tôt, devant tant d’injustice, il avait décidé de se confier à une bouteille de Marie Brizard. Il l’avait consommée sans eau ni glaçon et, la bouteille achevée, il était passé à la bière tiède. Il venait d’ouvrir l’avant-dernière boîte du pack quand le téléphone avait sonné.
— Non, pas ivwe, juste un peu fatigué, c’est tout. Faut que j’aille dowmiw. Maintenant, foutez-moi la paix ! Bonsoiw !
— Dites donc, Hubert, reprenez-vous ! Je vous rappelle quand même que vous parlez à votre Maire !
— Ah, c’est toi, Maman ? Comment ça va, Maman ? C’est vwaiment gentil de m’app…
— Mais non, à votre Maire, bon sang, à votre Maire, je veux dire à votre patronne.
— Oui, Patwonne. Qu’est-ce que vous désiwez, Patwonne ?
— Que vous veniez à la Mairie immédiatement. J’ai des instructions à vous donner. Allez, sautez dans votre voiture et… Non, dans votre état, il ne vaudrait mieux pas. Je vous envoie mon chauffeur. Et que ça saute !
— Ben, Patwonne, j’ai pas vwaimant envie, là. Vous pouvez me wepasser Maman ? Allo, Maman, tu sais, je suis twès, twès fatigué, une petite gwippe peut-êtwe, je sais pas. Tu voudwais bien expliquer à la dame que je peux pas…
À ce moment du dialogue, Madame la Maire était déjà entrée en éruption depuis longtemps. Tout en reprenant son souffle pour hurler un ordre dans le téléphone, elle se rendit compte que toutes les instructions qu’elle pourrait donner cette nuit-là à son Directeur de Cabinet seraient oubliées ou transformées ou mal exécutées ou, pire encore, divulguées. Elle envisagea un instant de le réaffecter à la gestion du gravier des jardins publics. Mais à la réflexion, ne valait-il pas mieux conserver à la tête de son cabinet ce jeune crétin d’Énarque qui ne comprenait pas grand-chose aux finesses de la politique plutôt que de le remplacer par un autre jeune crétin d’Énarque, mais qui, celui-là, aurait les dents longues ?
(…)
Bon, c’est vrai que mon dernier bouquin, « Les Trois premières fois », se vend plutôt bien : 3 exemplaires en 15 jours, on ne pouvait guère espérer mieux. Mais ce n’est pas une raison pour négliger mes autres oeuvres, comme cette incroyable, haletante et véridique affaire des Disparus de la rue de Rennes, qui en 2 mois n’a été vendu qu’à 9 exemplaires. Alors, n’hésitez plus, cliquez sur l’image de la couverture :