Les corneilles du septième ciel (31)

Chapitre 31

Bruno Body et le suspect avaient fait leurs études secondaires ensemble au Lycée Saint Louis, à deux pas du Cyrano qu’ils fréquentèrent assidument dès qu’ils purent remplacer le chocolat chaud de leur goûter par des demis de Leffe. Leurs familles catholiques pratiquantes les avaient inscrits aux scouts de France ce qui leur permit pendant les grandes vacances de visiter notre beau pays à moindres frais. Tous les week-ends de l’année, ils partaient avec leur groupe dormir tantôt dans la forêt de Fontainebleau, tantôt sur les voies ferrées désaffectées de la banlieue nord.

Astreints comme tous leurs camarades au rituel de la totémisation*, ils choisirent le leur avec l’aide de leurs parents bienveillants. Pour Bruno, ce fut l’âne, à cause de Bob, suivi d’ébouriffé, un totem qui ne reflétait pas du tout son quotient intellectuel au-dessus de la moyenne puisqu’il intégra à l’âge de 17 ans une très célèbre Ecole d’Ingénieurs. Bruno jouit d’ailleurs d’une réputation internationale méritée auprès des économistes scientifiques du monde entier pour sa découverte de la fameuse équation dite de Body qui révolutionna au début des années soixante les péages de toute la France et bientôt de toute l’Europe :

X Ponts + Y Chaussées = Z Autoroutes

* La totémisation est une tradition rituelle scoute consistant à attribuer un totem, c’est-à-dire un nom d’animal ou d’une plante reflétant le physique, le comportement ou le caractère, suivi d’un adjectif qualifiant la personnalité, appelé quali. Le nom et l’adjectif peuvent être suivis d’un lieu ou d’une circonstance et d’une année.

En réalité, son totem s’inspirait de sa chevelure fournie qui le faisait ressembler à un chanteur américain en vogue, Bob, dit l’âne. Son directeur de conscience lui joignit ébouriffé pour bien rappeler son origine capillaire et lever toute ambiguïté sur les capacités intellectuelles hors normes de son détenteur.

Ph. choisit le lama auquel sa maman associa de l’Aisne bien que cet animal n’y ait jamais mis les pieds. Ce totem était une élégante référence à Marcel Proust et à leur résidence secondaire dans ce département chatoyant de l’est du Bassin Parisien. D’après le biographe de Ph., sa maman le destinait sans l’ombre d’un doute au monde merveilleux des plus grands écrivains français. Rappelons aussi le sobriquet qui le poursuivit jusqu’à ce que ses biceps devinssent assez volumineux pour lui permettre de casser la gueule à tous ceux qui osaient se moquer de lui. Ce calembour pourtant assez drôle le mortifiait tous les week-ends et tous les étés. Ses copains lui lançaient immanquablement à l’heure de l’apéritif : « Eh, lama de long, viens nous servir à boire ! ». Pourquoi long ? Parce qu’il était très grand pour son âge. Certains y voit l’origine de sa haine tenace des garçons de café (mais pas des serveuses, NDLR).

L’été, leurs familles les confiaient pendant un mois entier à leur compagnie de scouts. Ils découvrirent ainsi la forêt de la Palmyre non loin de Royan où pullulaient des centaines de ragondins sauvages. Ils apprirent les us et coutumes de ces animaux qu’ils savaient débusquer en pleine nuit à l’aide de bougies. Malgré l’interdiction de leurs moniteurs, ils descendaient souvent dans leurs terriers pour tuer à l’arme blanche ces inoffensives bestioles et les faire rôtir ensuite au barbecue. Autant dire que Ph. en connaissait un rayon sur leur mode de vie ce qui, pensa-t-il, l’aiderait à déjouer la sagacité des enquêteurs. Il n’avait pas imaginé que son fidèle compagnon lors de ses expéditions punitives au royaume des ragondins ferait partie des limiers lancés à ses trousses.

Et ce fut effectivement un jeu d’enfant pour Bruno Body de découvrir le poteau rose dans l’œil de son ex-voisin de classe.

3 réflexions sur « Les corneilles du septième ciel (31) »

  1. Ce n’est pas la publicité qui est proscrite sur le Journal des Coutheillas, ce sont les annonceurs qui manquent.

  2. Bien que la publicité soit proscrite dans le JdC, vous avez tort de bouder ce trente et unième chapitre des Corneilles qui déborde de jeux de mots les plus drôles les uns que les autres.
    Lorenzo

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