Maigret et l’homme du banc – Critique aisée n°246

temps de lecture : 6 minutes 

Critique aisée n°246

Maigret et l’homme du banc
Simenon – 1952
Editions Rencontres – 166 pages

Bon !

Maintenant que Paris, ses pavés et ses marbres
et sa brume et ses toits sont là autour de moi,
maintenant que j’ai laissé en plan Anticythère
et ce couple inachevé dans la Maison Marie,
maintenant que je n’écris plus de diatribe contre Vladimir Hidalgo, Donald Poutine ou Anne Trump,
maintenant que les seules choses que j’arrive à écrire, laborieusement, sont des Critiques aisées ou des commentaires de commentaires,
maintenant que le planning du JdC est rempli de vieux articles recyclés,
je vais enfin pouvoir me consacrer à la paresse, au cinéma, et, pourquoi pas, à la littérature et même peut-être à rien du tout.
Entendons-nous bien, quand je parle de me laisser aller à la littérature, je parle d’en lire, pas d’en faire, bien sûr.

Comme je ne vois quand même pas me mettre à lire la Recherche une troisième fois,
comme j’ai abandonné ma relecture du Voyage à la fin du deuxième tiers,
comme Salammbô ne m’a jamais vraiment tenté
et comme L’Education ne vaut pas Madame Bovary,
je devrais m’intéresser un peu à la littérature contemporaine.

Alors, j’écoute Le Masque et j’écoute la Plume, et dans le tas des livres discutés, j’essaie d’en identifier un ou deux qui ne soit pas une autobiographie, un témoignage ou un document, parce que ce dont j’ai besoin, c’est un roman.

Mais je tombe sur un barrage de Beigbeder, sur les bronches de Blier
quand ce n’est pas sur un vieux serpent exhumé par Pierre Lemaitre, un Connard méprisant ou sur une Anomalie virtuose et sans âme mais couronnée d’un Goncourt,
et je m’énerve devant tout ce temps et cet argent perdu.

Pour le temps, on sait
que tout le temps qui passe ne se rattrape guère,
que tout le temps perdu, ne se rattrape plus.

On n’y peut rien, c’est comme ça.

Mais pour ce qui est de l’argent, il y a moyen de faire quelque chose, par exemple redécouvrir ces collections à 2 euros qui vous servent du Maupassant, du Tourgueniev, du Sénèque aussi bien que du n’importe quoi. Alors j’en ai relu, du Maupassant, du Tourgueniev, du Sénèque — ah! Sénèque, très décevant, Sénèque ! — et du n’importe quoi. Et j’en ai eu du n’importe quoi, mais au moins quand c’est mauvais, c’est court.

Par contre, quand c’est bon, c’est court aussi et donc, c’est frustrant. Alors on se dit qu’on ne peut pas passer son temps à lire des trucs aussi courts dans lesquels on n’a à peine le temps de s’installer que c’est déjà fini.

Du coup, j’ai pioché dans une belle collection reliée des œuvres complètes de Simenon dont un jour on me fit cadeau.
Et je suis tombé, presque par hasard, sur un Maigret des années 50, Maigret et l’homme du banc.

Je ne l’avais jamais lu.

Vers l’âge de 15 ans sans doute, indisposé par les insupportables petites cellules grises d’Hercule Poirot, agacé par les poses mystérieuses de Sherlock Holmes, très vite lassé par les lourdeurs de Bérurier et les fantasmes de Malko Linge, je m’étais mis à lire Maigret. J’en ai surement lu beaucoup, des Maigret. Déjà intoxiqué par Paris, j’aimais la description de ces quartiers sous la pluie de novembre ou la chaleur du mois d’août, de ces petits métiers aujourd’hui disparus qui créaient ce qu’on appelle aujourd’hui la mixité sociale, j’aimais être plongé dans ces ambiances du 36 quai des Orfèvres, de la Brasserie Dauphine, des interrogatoires dans les fumées de tabac…
Et puis aussi, je n’avais pas tardé à découvrir que Simenon n’écrivait pas que des Maigret.  En cas de malheur en particulier avait plongé l’adolescent que j’étais dans un monde de sensualité, plus évoquée que décrite, mais c’était l’époque qui voulait ça.

J’ai donc pris le joli volume relié qui s’ouvrait sur Maigret et l’homme du banc, suivi de deux autres enquêtes de l’homme à la pipe. Je me voyais déjà pénétrer dans un quartier de Paris, cette fois-ci celui de la Porte Saint-Martin, sous une météo soigneusement évoquée par les réflexions de Madame Maigret et les manteaux de Jules. J’allais rencontrer des petites gens, bien braves, et des autres, mesquins, étriqués, étroits, aigris. J’allais retrouver le petit Janvier, l’inspecteur Lucas, un juge d’instruction timoré ou exigeant, tout un monde que j’avais abandonné plus d’un demi-siècle plus tôt. J’ouvris le livre :

Pour Maigret, la date était facile à retenir, à cause de l’anniversaire de sa belle-sœur, le 19 octobre. Et c’était un lundi, il devait s’en souvenir aussi, parce qu’il est admis au Quai des Orfèvres que les gens se font rarement assassiner le lundi. Enfin, c’était la première enquête, cette année-là, à avoir un goût d’hiver.
Il avait plu tout le dimanche, une pluie froide et fine, les toits et les pavés étaient d’un noir luisant, et un brouillard jaunâtre semblait s’insinuer par les interstices des fenêtres, à tel point que Madame Maigret avait dit :
–Il faudra que je pense à faire placer des bourrelets.
Depuis cinq ans au moins, chaque automne, Maigret promettait d’en poser le prochain dimanche.
–Tu ferais mieux de mettre ton gros pardessus.
–Où est-il ?
–Je vais le chercher.
À huit heures et demie, on gardait encore de la lumière dans les appartements, et le pardessus de Maigret sentait la naphtaline(…)

Ça y était, c’était parti. J’étais déjà en plein dedans, content, confortable, dans cet état de demi conscience que donne une bonne digestion dans un cadre agréable et familier tandis qu’il vente dehors ; je ronronnais presque. Les personnages se succédaient, Louis Thouret , la victime, soumis à son épouse dominatrice et méprisante, employé modèle licencié, sans travail depuis deux ans et le cachant à sa femme ; Monique, sa fille, volontaire, intéressée ; la brave concierge de la rue de Bondy ; les souliers jaunes de Louis, son train de vie inexplicable ; Mme Machère, la maitresse de Louis, toute semblable à son épouse. Albert Jorisse, le gringalet, faux étudiant, amant méprisé de Monique ; Jef, l’ancien du cirque… Tout cela avançait bien, et puis :

(…) Maigret déjeuna seul dans son coin, à la Brasserie Dauphine. C’était un signe, d’autant plus qu’aucune besogne urgente ne l’empêchait d’aller manger chez lui. Comme d’habitude, plusieurs inspecteurs du Quai prenaient l’apéritif et le suivirent des yeux quand il se dirigea vers sa table, toujours la même, près d’une des fenêtres, d’où il pouvait voir couler la Seine.
Sans mot dire, les inspecteurs, qui n’appartenaient pourtant pas à son service, échangèrent un coup d’œil. Quand Maigret avait cette démarche lourde, ce regard un peu vague, cet air que les gens prenaient pour de la mauvaise humeur, tout le monde, à la PJ, savait ce que cela signifiait. Et, si on se permettait un sourire, on n’en ressentait pas moins un certain respect, car cela finissait tôt ou tard de la même façon : un homme — ou une femme — qui avouait son crime.
— Le veau marengo est bon ?
— Mais oui, Monsieur Maigret.
Sans s’en douter, il regardait le garçon du même œil qu’il aurait regardé un présumé coupable.
— De la bière ? (…)

Et je réalisai d’un coup que je nageais en plein cliché. Bien sûr, je l’avais cherché et bien sûr, en même temps, j’étais conscient que, ces clichés, c’était Simenon lui-même qui les avait créés, que, du temps où il les écrivait, ils n’étaient pas encore devenus des lieux communs. Pourtant, je n’arrivais pas à me défaire de l’impression de lire un pastiche, et si un pastiche de quelques pages, ça peut être amusant, un pastiche de 166 pages, c’est long. Je laissais tomber Louis Thouret, Jules Maigret, l’inspecteur Lucas et Georges Simenon avec.

Une heure plus tard, je fonçai à La Compagnie, la libraire de la rue des Écoles, et je dénichai un bon vieux Donald Westlake de 1966 et de 241 pages pour 7,15€. Je le commençai juste après déjeuner et me mis à ronronner.

2 réflexions sur « Maigret et l’homme du banc – Critique aisée n°246 »

  1. Le premier qui dit « de canard », je brule le journal.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *