Le Serpent majuscule – Critique aisée n°241

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Critique aisée n° 241

Le Serpent majuscule
Pierre Lemaitre – 1985
Le Livre de Poche – 305 pages – 7,90€

On ne sait jamais, ça pourrait vous intéresser de savoir comment j’en suis venu à acheter ce bouquin. Alors voici : je trainais l’autre jour à la FNAC de la rue de Rennes à la recherche des présentoirs de ces petites collections (Librio, par exemple, mais il en existe d’autres dont les noms ne me reviennent pas à cet instant) qui pour 2 euros vous offrent de courts mais grands classiques. Ne les trouvant pas — je ne trouve jamais rien à la FNAC — je demandai de l’aide à l’un de ces intellectuels neurasthéniques qui tiennent en principe les guichets d’information mais que l’on ne trouve qu’ailleurs et tout à fait par hasard.

— Bonjour, Monsieur, les petits livres pas chers qui donnent les grands classiques, vous savez, du genre de Librio par exemple, où sont-ils ?

— Vous cherchez quel livre ?

— Eh bien, comme je vous l’ai dit, les petits livres pas chers qui donnent les grands classiques, je veux dire leurs présentoirs… Où sont-ils ?

— On n’a pas.

— Vous n’avez pas ?

— On n’a pas.

— C’est curieux, ça !

— Vous cherchez quel livre ?

— Un grand classique pas cher. C’est pour offrir.

— Vous cherchez quel livre ?

— Je ne sais pas, moi. N’importe quoi… La Maison Tellier, Cyrano de Bergerac…

— La Maison Tellier, Maupassant, rayon Littérature française, étagère des M ; Cyrano, Rostand, même rayon,  étagère des R.

— Si je comprends bien, les livres à 2€ et ceux à 10€ ou 20€ sont mélangés… sur les étagères, donc.

— C’est ça.

— Et vous n’avez pas de présentoirs pour les ivres à 2€.

— Non, on n’a pas.

J’ai renoncé à l’achat de mon cadeau culturel — ce n’est pas la première fois que je renonce à un achat à la FNAC — et j’ai trainé dans les rayons de la librairie. Bien à plat sur des tables et pas anonymement debout sur des étagères, étaient exposés toutes les sorties à succès du moment. Parmi eux, un petit bouquin à la couverture voyante, jaune vif , avec dessus une tête de chien malin, ou soupçonneux ou pervers (voyez vous-mêmes). On ne voyait que lui. Mais ce qu’on voyait surtout, en trois fois plus gros que le titre, Le Serpent majuscule, c’était le nom de l’auteur : Pierre Lemaitre. « Pierre Lemaitre… voyons… Pierre Lemaitre… ça me dit quelque chose, me dis-je, Pierre Lemaitre ».  Je demandai donc à Siri qui me répondit gentiment que Pierre Lemaitre était l’auteur du Goncourt 2013, Au revoir là-haut, un excellent bouquin que j’avais lu avec plaisir. En douce, debout dans une allée, je parcourus l’avant-propos que Lemaitre avait rédigé pour présenter son Serpent majuscule :

 (…) Voici donc mon premier roman.
Comme toujours en pareil cas, il sera jugé avec sévérité par le lecteur intransigeant et avec bienveillance par le lecteur amical. À le relire, je lui ai trouvé quantité de défauts et, au moment d’en envisager la publication, la question s’est posée de savoir jusqu’où le corriger. En 1946 dans la préface à la réédition du Meilleur des Mondes, Aldous Huxley écrivait : « Méditer longuement sur les faiblesses littéraires d’il y a vingt ans, tenter de rapetasser une œuvre défectueuse pour lui donner une perfection qu’elle a manquée lors de son exécution primitive, passer son âge mûr a essayé de réparer les péchés artistiques commis et légués par cette personne différente qui était soi-même dans sa jeunesse – tout cela, assurément, est vain et futile. » Pour redresser ses défauts, précise-t-il, il lui aurait fallu réécrire le livre.
Je pourrais dire la même chose.
Il m’a semblé plus loyal de le livrer aux lecteurs à peu près tel qu’il a été écrit.
(…)
Aussi m’a-t-il semblé assez logique que mon dernier roman noir publié soit précisément le premier que j’ai écrit.

Roman noir ? Premier roman d’un futur bon prix Goncourt ? Allez zou ! Vendu, le Serpent !

Je l’ai lu. Et voilà :
Ça commence bien, le Serpent majuscule, le style est alerte, plaisant et la suite fera preuve d’une certaine originalité dans la création du personnage principal. On se rendra rapidement compte qu’en fait de roman noir, il s’agit plutôt d’une farce. Mais pourquoi pas ? Il y aura même parfois de l’épique dans la description d’assassinats programmés et du délire dans les improvisations où la tueuse à gage devra se démener du fait de sa mémoire défaillante. On pourra même penser deux ou trois fois à Donald Westlake quand il raconte les mésaventures de John Dortmunder, (Ah ! Dortmunder !) cambrioleur poursuivi par la poisse.

Mais ces instants sont rares. Mise à part Mathilde, ancienne résistante devenue tueuses à gages, les autres personnages, l’inspecteur, le commissaire, le commandant, les autres tueurs, l’infirmière,  sont d’une grande banalité, déjà rencontrés mille fois dans les romans et films policiers français des années 50. Le style est souvent laborieux, les dialogues parfois inadaptés, et les métaphores, indispensables à tout roman noir respectueux du genre, hasardeuses, en particulier celle qui donne son titre au roman.

Le dernier tiers du livre devient très répétitif et, par là, interminable.

« Il m’a semblé plus loyal de le livrer aux lecteurs à peu près tel qu’il a été écrit », a dit Lemaitre dans son avant-propos. A ce niveau, ce n’est plus de la loyauté, c’est de la flemme.

 

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